Les pensées toxiques des médecins pas sur le terrain

montagne-papier-bureau_-DM051207_003.jpgMédecin de santé publique, de la CPAM, du ministère de la santé, de la HAS, de réseau, etc, mon parcours médical me conduit à vous fréquenter.

 

Franchement, non seulement vous êtes déconnectés de la vraie vie et de votre métier, mais en plus cet éloignement génère chez vous une sorte d’euphorie de la facilité.

 

Si jamais vous avez eu la chance d’exercer durant quelques années, votre mémoire a fait son travail de tri, ce qui est humain. Vous avez donc effacé vos mauvais souvenirs pour conserver de ces temps courts et révolus une vision embellie et simplifiée. Il faut dire qu’à ce court moment de votre carrière ou vous exerciez la médecine, vous étiez jeunes, pas épuisés par les contraintes, les astreintes, les gardes et les innombrables sollicitations. D’où le bon souvenir.


Du coup, au fur et à mesure que passent vos  années loin de la pratique, au fur et à mesure que vous construisez et réfléchissez sur les modes d’exercice des autres, votre déconnexion de la réalité s’intensifie. Vient le temps où tout vous parait aussi simple et simplifiable que les schémas que vous construisez depuis vos bureaux.  Vient un moment ou le parcours de soins d’un malade atteint d’insuffisance cardiaque vous semble évident au vu du référentiel de parcours que vous avez rédigé.  Le hic, c’est que le patient dont vous préconisez le parcours, cet insuffisant cardiaque bien calibré, auquel nous serons également sommés par vos soins de faire de l’éducation thérapeutique… ce patient la n’existe pas, n’a jamais existé, et probablement n’existera qu’en très peu d’exemplaire. Parce que nos insuffisants cardiaques à nous, dans les cabinets médicaux, ils sont aussi fumeurs, bronchitiques chroniques, anciens buveurs excessifs, diabétiques, en surpoids, artéritiques, dépressifs, seuls avec une famille qui ne s’occupe pas d’eux et un escalier dans leur maison… Des patients que vous n’imaginez même plus  du fond de vos fauteuils et de vos réunions de réflexion.

 

Un autre problème crucial, c’est qu’au fur et à mesure du temps qui vous éloigne de la médecine praticienne, non seulement les malades ne vous sont plus familiers, mais les médecins eux-mêmes vous deviennent étrangers,  vous les percevez avec une hostilité croissante, à la mesure de leur incapacité effective à  gérer les constructions que vous leur proposez pour vos patients idéaux.

Du coup, votre esprit dichotomise  la médecine en 2 mondes qui s’opposent : les bons patients d’un côté, les méchants médecins de l’autre.


Dans votre esprit, le patient est toujours à l’heure aux rendez-vous, aimable, compliant, il n’a qu’un seul problème à vous soumettre, n’est pas polypathologique. Il n’a pas oublié son ordonnance, il connait ses traitements, il sait à quoi correspond ses cicatrices, il comprend ce que vous lui expliquez, il adore les génériques, il prendra correctement ses médicaments, il ne viendra aux urgences que si vous n’êtes pas disponible. Bien sur, il n’aura jamais les moyens de subventionner les quelques euros de dépassement d’honoraires docteur-deprime-copie-1.jpgque le vilain docteur veut lui soutirer.


Dans votre esprit, le médecin est le méchant.  Je cite ici des exemples tirés d’une discussion avec quelques uns d’entre vous.  Dans votre vision, les anesthésistes gagnent beaucoup d’argent, et en plus ils font des petits actes faciles, de la simple anesthésie locale qui rapporte, par exemple l’ophtalmo. Dans votre esprit, l’anesthésie de l’endoscopie c’est de l’argent facile, alors que vous ignorez  que l’anesthésie en endoscopie est une des plus périlleuses avec son risque permanent de fausse route. Dans votre esprit, les médecins disent  travailler plus de 60 heures, mais cela repose sur des données d’enquêtes déclaratives, sans valeur.  Dans votre esprit, être de garde, ça paye bien, mais ne fatigue pas, y compris quand on repart bosser le lendemain matin après 50 ans. Dans votre esprit,  franchement être d’astreinte à domicile, sans rémunération, ce n’est pas très contraignant. Dans votre esprit, un  PH au dernier échelon, franchement c’est très bien payé. Avec en plus les gardes et ce qu’ils touchent des labo, plus l’indemnité de service public exclusif (environ 300 euros).  De quoi se plaignent t’ils ? Ils gagneraient plus qu’un PU-PH, m’avez-vous expliqué. On se demande alors pourquoi y a-t-il autant de postes de PH libres. Et quand on vous répond qu’un chef de projet HAS est rémunéré comme un PH, cela vous étonne, car vous ne le trouviez pas si bien payé, lui.


Dans votre esprit, franchement, des responsabilités, tout le monde en a, on ne voit pas de quoi les médecins de terrain se plaignent ni pour quelle raison ils voudraient être mieux rémunérés que les gratte-papiers. 


Mais, vous, est ce que l’on vient se mêler de vous demander des  comptes sur ce que vous faites durant vos heures de travail ? est ce que l’on vient vous signifier que c’est simple de construire des power-point, faire des copier-coller, se contenter de dire aux autres de quelle manière faire ce que vous ne savez plus faire.  Est-ce que nous nous mêlons de vos salaires, de vos RTT, de vos avantages en nature, qui n’ont absolument rien à voir avec les nôtres. Est-ce que nous venons vous expliquer que vous n’avez qu’à travailler plus si vous voulez gagner plus, alors que vous, vos salaires augmentent mécaniquement avec les échelons et l’ancienneté.


On espère de vous plus d’objectivité sur le travail de ceux que vous êtes censés cadrer.  Ceux que vous irez voir un jour, comme d’autres patients, en  urgence, entre deux comme on dit, pour une consultation de 5 minutes qui en durera 20. A ce moment là, et pour un court moment  de confrontation à la réalité, s’éteindra  le clairon de vos exigences.


Si j’avais un conseil à vous donner, ou une supplication à vous faire, je vous suggérerai de ne pas systématiquement porter ce regard critique sur la pratique médicale.  Cette criticité permanente est le creuset de votre inefficacité.  Le médecin idéal, celui de vos rêves, celui de vos documents, n’existe pas et toutes vos contraintes ne formateront aucun de vos confrères praticiens. Pour autant, ce n’est pas parce que les médecins ne sont pas calibrables ni formatables, qu’ils sont critiquables. Vos paroles  et vos actes s’imposent aux modèles de fonctionnement de la médecine. Il vous manque l’objectivité. Vous feriez bien d’y songer, car vos pensées sont très toxiques, et pas du tout porteuses de progrès.

7 commentaires sur “Les pensées toxiques des médecins pas sur le terrain

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  1. Bonjour. Je suis médecin conseil depuis 16 ans aprés une dizaine d’année d’exercice libéral. J’ai rencontré des médecins tels que vous les décrivez, en particulier des MC qui ne s’étaient jamais frottés aux contraintes du libéral. Mais pas que. Je trouve que vous tombez dans le travers que vous reprochez aux médecins de bureau : ils sont tous inconscients, n’y connaissent rien, obsolétes. Il manque « à 16h plus personne dans les bureaux ». Personnellement, j’estime tout le monde a priori et si cela change, c’est en raison des actes de la personne, pas de ce qu’elle est ou représente. Et j’estime particuliérement les MG qui ont un exercice difficile au quotidien.

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  2. Superbe reflexion sur la deconnexion observée au quotidien entre administration et  réalitén de terrain J’oserais poser une question de plus:si la médecine libérale disparait ou plutôt quand elle disparaitra  quid de l’avenir de la CNAM, CPAM et autres donneurs de leçons et de conseils, un seul organisme financier suffira certainement à tout régler non? JGB

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  3. Pour moi, médecin spécialiste de santé publique, billet cruel car description trop souvent vraie concernant les personnes travaillant en administration de la santé… mais pour ce qui est des médecins « de santé publique » que vous avez rencontrés, combien étaient véritablement qualifiés (au sens ordinal du terme) dans la discipline ? Or, leur place dans une institution fait que certains se disent tels car ils travaillent dans ce domaine, ou sont considérés ainsi. Dommage que vous n’ayez pas encore rencontré de spécialiste de santé publique qui pratique sa spécialité comme j’aimerais que tous le fassent. Vous êtes un peu comme un patient qui n’aurait vu que des médecins généralistes dont la consultation n’excède pas huit minutes, et ne comprend pas d’examen clinique (mais se conclut par une longue ordonnance), et des spécialistes d’organes ignorant tout de ce qu’est une prise en charge « globale » : que dirait-il du corps médical ? Et que lui diriez-vous sur les médecins, sur la médecine ? Bien cordialement LoL

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    1. Merci de me donner de l’espoir ! Bien sur j’en ai rencontré, et de qualité. Comme vous savez, en mémoire reste toujours le moins bien alors que le cerveau ne mémorise pas si facilement le positif. Néanmoins, même si la qualité est présente, je ne peux m’empêcher de ressentir dans tous les cas un décalage, car la santé publique est très éloignée de la vraie vie médicale. Et je pense que rester dans le soin est un vrai plus pour garder raison sur les sujets que l’on traite. Principe que j’applique à moi-même en pratique, en gardant, même si c’est beaucoup d’investissement et de boulot, une double casquette soignant et activité de coordination.

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