L’annonce de non-maladie pas grave

NON-maladie-pas-grave.jpgEn  communication médicale,  on enseigne l’annonce de mauvaise nouvelle  et  de maladie grave. Perso, après avoir été formée, j’assure aussi des formations à l’annonce de mauvaise nouvelle.


Pour autant, la plupart des gens qui viennent chez le médecin ne relèvent pas du registre de l’annonce de maladie grave. Au contraire,  nous annonçons souvent une bonne nouvelle .   Car de nombreux patients, en effet, n’ont rien de grave. Voire rien du tout.., hormis, en tous cas dans ma spécialité, une douleur abdominale quelques fois intense, et prenante. Nombre d’entre eux  assimilent  « avoir mal » et « avoir une maladie ».  Avoir mal au ventre de manière récurrente est en effet inquiétant,  et les patients les plus sensibles à ces douleurs dites fonctionnelles  en déduisent qu’avoir mal signifie être (très) malade.  Ressentir une douleur  digestive ne leur semble  pas dans l’ordre des choses,  traduit pour eux un fatal  ennemi tapi au fond de leur corps.


Pour ces patients, que l’on nomme fonctionnels, colopathes, etc, une bonne nouvelle, comme : vous n’avez pas de maladie, ou bien ce n’est pas grave, est  une nouvelle bonne à dire pour le médecin, mais pas toujours bonne à entendre par le patient.


Quelles explications satisfaisantes fournir  à ces consultants inquiets mais pas malades ? On ne peut pas les juger ;  s’ils se plaignent, même sans avoir de maladie organique, c’est parce qu’ils ont vraiment mal, ou en tous cas une vraie intolérance à leurs douleurs physiques quelles qu’elles soient.  On ne peut  pas trouver de solution à leur place. On ne peut pas leur affirmer que nous allons les soulager de manière définitive. On ne peut pas s’impatienter ouvertement de leurs tendances à la régression, et de leurs consultations trop fréquentes, parce que cela les ferait  piétiner, pas avancer.


En parole, trouver la bonne formulation est compliqué.  Les 2 formules les plus mal considérées sont : « vous n’avez rien de grave », et,  pire, « vous n’avez RIEN » ;  Notre expérience de médecin nous démontre qu’on ne calmera jamais un douloureux en lui affirmant qu’il n’a « rien de grave »,  bien au contraire. Dire à un plaignant qu’il n’a « rien », constitue une négation de sa douleur,  faisant augmenter sa souffrance. Une  question jaillit immédiatement de la bouche des patients  lors  d’un diagnostic négatif : mais alors…« pourquoi j’ai mal ? ». Le médecin honnête dira « je ne sais pas », mais le patient veut savoir… Comment faire passer à un douloureux du ventre ou d’ailleurs le fait que le savoir médical ne connait pas toutes les causes de douleur et ne les guérit pas toutes ?


La formation médicale nous apprend à soigner les maladies et les malades, elle nous enseigne moins la manière de gérer les angoissés, les anxieux, les hypochondriaques, les stressés. 


Etant donné que le patient cherche une réponse que nous ne savons pas, nous devrons recourir à des échappatoires,  des comportements transitionnels … pour temporiser  sans régler  en une fois les problème.


La première méthode, la plus utilisée, reste la prescription d’un ou de plusieurs médicaments ou d’examens complémentaires. Le médicament, l’acte technique, représentent  une sorte de gestion de l’espoir. En tous cas, au moins pour un temps, cela  diminuera les attentes du patient vis-à-vis du corps médical.  La prescription d’un examen résonne avec les attentes du patient. On va aller fouiller dans son intérieur afin d’y voir quelle mystérieuse alchimie le fait souffrir.


En remplacement ou en complément de l’acte technique ou médicamenteux, le médecin peut opter pour une version de style « Merlin l’enchanteur ». reposant sur des rituels baguette magique. Ceux-ci concernent souvent l’alimentaire, symbole élementaire de beaucoup de troubles pour plein de patients. Ainsi des réponses aléatoires sont fournies à ce rituel questionnement; « Docteur, dois je faire un régime particulier? . C’est l’occasion pour les médecins de conseiller la suppression de certains aliments, des interdits alimentaires plus ou moins fantaisistes (les tomates devraient porter plainte…) . Conseils d’horaires, de composition de repas, de compléments alimentaires, et les inévitables  vitamines, et machins pour la circulation.


Inventer des physiopathologies complexes afin d’expliquer  les douleurs peut aussi être une roue de secours pour le soignant. Les champions de ça, ce sont les kinés, qui diagnostiquent avec emphase des nœuds dans les colons des patients qui ont mal au dos.  Allez voir le gastro, votre ventre est surement responsable de votre mal de dos, moi je vous le dis. Ou encore les urgentistes, qui font un ASP, constatent la présence de matières coliques, ce qui est normal, et affirment à un patient venu aux urgences pour des douleurs atypiques qu’en vrai celles-ci relèvent d’une constipation qu’il ignorait jusqu’à maintenant.


Tant de patients embolisés par leurs douleurs, viennent chercher du  temps et de l’écoute.  Ils veulent  être entendus dans leur plainte, ils ont la conviction d’avoir quelque chose de grave, et leur attente est double :  la première, savoir une fois pour toute ce qu’ils ont ; la deuxième,  en être guéris une fois pour toutes  en sortant du bureau du médecin. Ils n’ont pas de tolérance, en particulier à la frustration de s’entendre dire : vous n’avez rien, vous n’avez rien de grave. Et pour le médecin, formé à l’annonce de mauvaise nouvelle et de maladie grave, annoncer de la non-maladie pas grave n’est pas si simple que ça…

 

 

A lire : « Communication soignant-soigné – Repères et pratiques

Antoine Roy, Françoise Bourgeois, Isabelle Nègre

Editions Breal, 3ème édition 2013

 

4 commentaires sur “L’annonce de non-maladie pas grave

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  1. Il y a aussi une solution que j’utilise souvent: Annoncer qu’on n’a pas assez d’éléments pour faire un diagnostic, prescrire un traitement symptomatique  (et l’annoncer comme tel) et dire qu’on se donnne une « période d’observation » parce qu’il n’y a « aucun signe de gravité » (je propose une période longue = un mois). Annoncer que cette dernière promet d’être plus riche en renseignements que n’importe quelle radio ou examen: Mieux vaut attendre la manifestaion éventuelle d’autres symptômes qui nous mettent plus sûrement sur la voie que de faire des examens « tous azimuts » sans savoir ce que l’on cherche. J’annonce alors qu’il se peut que l’on observe que tout rentre dans l’ordre, il faudra alors accepter la frustration de n’avoir rien compris. Je déclenche souvent un sourire entendu du patient dans ces cas. Parfois je les revois (pour tout autre chose quelques années plus tard): « Alors? » – « Tout va bien, ce n’est pas pour ça que je reviens vous voir ».

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    1. C’est une façon de reporter le problème à plus tard. Mais quand le patient est venu chez le spécialiste, ne penses tu pas qu’il est venu trouver la solution d’un problème par d’autres reporté ?

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  2. je ne me souviens pas avoir été formé à l’annonce d’une maladie grave et encore moins à l’annonce d’une maladie pas grave.  les rares fois où j’ai du « annoncer le grave » j’ai géré avec les moyens du bord  en ophtalmo médicale nous passons bp de temps sur les gratouillis et larmoiements rarement graves.   nous avons quasi une interdiction tacite de prononcer les mots cécité ou aveugle…  on se débrouille…

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    1. Pour la formation, je l’ai faite bien après les études. C’est très instructif de faire ce genre de formation, dans lequel on apprend des techniques de communication et la gestion des émotions des patients. Maintenant, j’assure parfois des formations. Dommage ce n’est plus tellement un sujet de formation professionnelle actuellement. Dommage parce que c’est très important et beaucoup plus facile pour les médecins qui doivent annoncer des choses graves et pour les patients concernés.

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