Les « petites mains » du bloc.

homme heureux

Bloc opératoire. L’image du film est toujours celle de « l’équipe opératoire ».


Le médecin est la personne ressource du bloc. Mais, derrière l’image d’Epinal du bloc opératoire se cache un monde en mouvement perpétuel. Nombre d’acteurs de santé sont présents, sans lesquels le médecin ne serait rien.   Une sorte de spectacle se joue et rejoue inlassablement, un ballet continu, juste ralenti par la nuit. Des acteurs se succèdent dans les rôles à la fois identiques et différents, jonglant entre  les contraintes de l’organisation et les nécessités de l’improvisation. 


Chaque jour le scénario d’un bloc fait intervenir des acteurs permanents, tous les professionnels dédiés au fonctionnement de cette grosse machine, et des figurants que l’on pourrait qualifier d’intermittents de ce spectacle, les patients. Bien qu’ayant un rôle majeur, les patients ne connaissent ni ne maitrisent le scénario. Pourtant, sans eux, rien de tout cela n’existerait… Chaque jour, le ballet des soignants est dédié à une réalisation optimale de scène de prise en charge des patients.  On peut dire que L’hôpital, et en particulier le bloc, est un des seuls lieux ou les figurants jouent un rôle principal.


Pour illustrer, je choisirai forcément ce que je connais le mieux, l’endoscopie.


Les  séances d’endoscopies débutent à 8 heures du matin, et alignent une bonne dizaine de patients, soit  une bonne quinzaine d’examens (fibroscopies de l’estomac et coloscopies), sur la matinée, puis à nouveau sur l’après-midi, dans chacune des 4 salles  de notre grand centre d’endoscopie.

8 heures n’est pas l’heure d’ouverture… loin de là ! Le bloc endoscopie est éveillé depuis un bon moment. Aucun acte opératoire ne peut avoir lieu sans être précédé (puis suivi) de nombreux préalables.

En fait, la journée du lendemain… a commencé la veille.


La veille, aussitôt le dernier patient est sorti de salle, Astrid, l’infirmière instrumentiste,  est intervenue. Elle a regarni tous les tiroirs des chariots d’anesthésie, en matériel et en médicaments, ainsi prêts pour le lendemain matin. Les discrètes femmes de ménage ont accouru (je me demande toujours comment elles sont informées si vite qu’on a fini !). Un nettoyage de salle, ce n’est pas le petit dépoussiérage fatigué que vous faites chez vous. Vidange et échange de tous les flacons, notamment d’aspiration, récurage du sol et de toutes les surfaces horizontales et verticales, vérification de tous les branchements, changement de toutes les poubelles, nettoyage du plan informatique. A chaque fin de programme, le ménage est exhaustif.


Au matin, dès l’aube, bien avant l’arrivée des médecins, premier chapitre du jour, « préparation et mise en état de la salle ».


Caroline, Maria, Coco,  chargées de la désinfection des appareils d’endoscopie sont arrivées à  6h30. Leur boulot commence par un bio nettoyage préalable de tous les  endoscopes. Après une nuit dans une armoire de stockage, les appareils sont considérés comme potentiellement contaminés au plan bactérien.  Tout au long de la journée, ces petites mains souriantes, bavardes et remuantes se chargeront des nombreuses étapes de nettoyage et désinfection/stérilisation de tous les appareils utilisés. Pour chaque acte, doit être  préparé et mis en salle un bac d’eau avec savon désinfectant, ou l’endoscope est rincé, puis brossé juste après l’examen, avant d’aller subir plusieurs étapes de lavage et un passage en machine dans une salle dédiée juste à côté. Chaque geste réalisé par le personnel de lavage est consigné, heure de mise en machine, geste effectué, un document de synthèse est édité automatiquement en fin de lavage et conservé dans le dossier du patient.


Véronique, Emmanuelle, Jean-Pierre, Aurélie, Léocadie, les infirmières(ers),  sont présentes environ 30 minutes avant les médecins. Elles ont procédé à la vérification de leur salle,  particulièrement la disponibilité de tout le petit matériel qui sera utilisé tout au long de la journée. Les pinces à biopsie pour les prélèvements, les anses pour retirer les polypes, les aiguilles pour injecter, les tubulures pour les pompes de lavage. Elles ont préparé les flacons pour aspirer et laver dans les endoscopes, vérifié que ça fonctionnait, et s’il manquait des éléments, les ont cherché dans la réserve. Elles se sont assurées de la présence de flacons en nombre suffisant pour mettre les prélèvements et les adresser au laboratoire. Leur travail, avec l’augmentation de la technicité, n’est pas seulement instrumental. L’ouverture administrative et informatique de la salle est de leur ressort, elles disposent d’un ordinateur spécifique. Toute action y sera tracée, tout au long de la journée, avec les horaires. L’entrée en salle du patient,  chaque acte réalisé, les médecins intervenants, le nombre de prélèvements, tout le matériel utilisé, la sortie de la salle.. Pour finir la préparation de la salle, les infirmières  ont branché les appareils tout juste renettoyés sur les colonnes vidéo. En parallèle, elles ont pris le temps de s’assurer que les brancardiers étaient bien partis chercher les patients dans le secteur d’hospitalisation ambulatoire, de manière à débuter les programmes à l’heure. Elles savent à quel point un programme commencé en retard influence tout le reste de la journée, à courir après le temps, tant les examens sont nombreux, les horaires calculés au plus serré, et les urgences à rajouter nombreuses.


Leur dernière tâche n’est pas des moindres. Il s’agit de s’assurer que le patient entrant en salle est bien le bon patient. Pour ce faire, une check-list de questions est obligatoire à l’entrée de tout patient en salle. Les questions ne doivent pas influencer le patient. On ne lui dira pas : « vous êtes bien Mr ou Mme X ? », mais « comment vous appelez vous ? », « quelle est votre date de naissance ? »

Voila, maintenant, tout est en place au bloc… Les médecins peuvent entrer en scène. Interviennent tout d’abord les médecins anesthésistes, secondés par leurs infirmiers(ières) anesthésistes, puis tous les gastroentérologues du centre d’endoscopie.


Les anesthésistes, au fait… mais, les anesthésistes ne pourraient absolument pas endormir le moindre patient au bloc, si eux aussi n’avaient pas été précédés dans le bloc par les infirmières de la salle de réveil, tôt arrivées. De leur côté, elles ont réanimé la salle de réveil, à l’image de la salle d’endoscopie, afin de recevoir et de réveiller dans les meilleures conditions de sécurité les patients dès leur sortie d’examens. Comme a coutume de dire l’un de mes anesthésistes : je suis un bon anesthésiste pas seulement parce que j’endors bien, mais surtout parce qu’on les réveille bien !


medicament-bateau.jpgEnsuite, et c’est le seul ballet qui se passe ainsi, une fois le décor en place, d’autres acteurs, les malades,  vont s’immiscer dans le scénario ! Les patients sont à la fois acteurs et spectateurs.  Acteurs dans  un rôle improvisé par la circonstance qui les a menés la,  dans un rôle qu’ils ne connaissent pas, redoutent même, et pour autant, toute la scène est concentrée sur eux et autour d’eux. Les soignants, permanents du spectacle doivent en effet tout faire pour faciliter le rôle de chacun de ces figurants du jour que sont les patients.  Et en tant que spectateur, le patient pourra protester s’il est mécontent du scénario de sa prise en charge.


Au centre du système, pris en charge par tous ces médecins et leurs assistants, le patient,  avec ses angoisses, ses questions, sa découverte d’un inconnu qui l’inquiète, n’a pas conscience de l’implacable logique organisationnelle mise en place autour de son seul cas.  Il ne mesure pas combien de métiers et de personnes ont œuvré pour cette logistique, il attend seulement qu’elle réponde à son besoin de prise en charge médicalement correcte, d’attention, d’écoute. 


Chaque jour, pour satisfaire au mieux les besoins des personnes soignées et opérées, ce scenario à la fois identique et différent et sans cesse renouvelé, est aussi en permanente improvisation. Alors, le ballet s’adaptera au mieux de sa flexibilité à chaque patient venant passer son examen. Tous les intervenants ne seront pas forcément concentrés sur le cas du patient, car ils mènent de front de nombreuses tâches. Pourtant, chaque fois, les patients auront l’occasion de croiser un  brancardier aimable et chaleureux, une infirmière qui les salue avec gentillesse dès l’arrivée, une des jeunes femmes du lavage qui glisse un mot gentil en passant, le gastro qui rassure avant l’endoscopie, l’anesthésiste qui détend l’atmosphère avant de piquer un hyper-angoissé. Le rêve serait que les patients se souviennent des côtés positifs de leur prise en charge au bloc, délaissant de leur mémoire les quelques moments d’impatience de certains des acteurs, pressés par le temps, le stress, la charge de travail.


Le bloc opératoire, espace confiné, fermé, au sein duquel le, patient passe un moment plus ou moins long, est une entropie, une sorte de truc incroyable, en bouillonnement permanent, en mutation constante, et pourtant d’une solidité à toute épreuve. Tout au long de chaque journée, dans ce monde en équilibre, des malades se succèdent, bénéficiant sans s’en rendre compte de l’organisation logistique d’un ballet, chaque jour rejoué et réglé par une multitude d’acteurs de santé.  Technicisé, routinisé, et pourtant en pleine humanité, le bloc opératoire travaille avec les médecins, mais ne fonctionnerait point sans les très nombreuses « petites mains » .

 

 

 

PS: les prénoms ont été changés..

Un commentaire sur “Les « petites mains » du bloc.

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  1. Bonjour; magnifique description, on aurait presque envie de faire une scopie; je me souviens du temps pas si lointain (10 ans) où les spécialistes s’inquiétaient parce qu’il est impossible de désinfecter in tube optique et mécanique à 100%. Mais le corps humain est si incroyablement résistant! On a même pensé à des tubes jetables! Un mot me manque dans cette magnifique description si humaine si chaleureuse (et merci d’avoir pensé aux brancardiers, ils sont essentiels) ce mot est « check list ». On a écrit que les Grands patrons considèrent la check list comme une insulte personnelle. Juste un mot de tristesse, un mot gris, pas noir, pas sale, la période dans la salle de réveil est pénible et longue longue longue surtout lorsque l’anesthésiste de garde est introuvable (Poissy). et une question, le malade sur le brancard voit les plafonds, est-ce que cela si cher de les décorer de reproductions de peintures (libidineuses de préférence?°

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