La « dysempathie »

Ma vie est dure et personne ne compatit

Mon mari est handicapé mais son apparence est normale. Physiquement le handicap cérébral ne se voit pas. Quotidiennement confrontée à son handicap, je suis la seule à en connaitre la lourdeur, et la seule à savoir l’importance de mon investissement.  Les autres le trouvent vachement bien, mon mari.  Les autres ne trouvent pas que ma vie est dure, Je suis médecin, j’ai une belle maison, de beaux enfants, je gagne bien ma vie.. Personne ne comprend que je me plaigne.

Et personne ne compatit

Ta vie est dure, et personne ne compatit

Tu as 30 ans et mal au ventre, tu ballonnes, tu vas chez le médecin, et il te dit que c’est fonctionnel.  Que c’est psychosomatique.  Tu as moins de 10 minutes pour esquisser les duretés de ta vie qui génèrent tes maux de ventre. Une belle mère incompréhensive, des frères et sœurs désunis, un mécontentement de toi-même, le peu de confiance que tu as en toi, les conseils donnés de ci-de la par différentes personnes, mieux manger, faire du sport, faire comme ci ou comme ça, conseils que tu n’arrives pas à suivre et cela te stresse encore plus. Mais personne de ton entourage ne trouve que ta vie est dure.  Ils sont indifférents aux états d’âme qui te mangent de l’intérieur. Quand tu te plains, ils te répètent tous que tu as tout pour être heureuse et que cela suffit comme ça.

Et personne ne compatit

Il a une vie dure et personne ne compatit

Le marché de Rungis l’attend chaque petit matin à 3 heures, dans les chaleurs de l’été et le froid de l’hiver. Les nuits sont courtes, le repos aléatoire parce qu’il est le premier à rentrer de la journée, et enchaine directement avec les tâches domestiques pour soulager son épouse qui a une heure de transport matin et soir pour aller au boulot. Puis, après une courte sieste, les gosses rentrent de l’école et il veut en profiter un peu, alors le soir il se couche toujours plus tard que prévu. Personne ne le comprend quand il se plaint que sa vie est dure. Son entourage lui dit qu’il a vraiment de la chance d’avoir tant de temps libre.

Et personne ne compatit

Notre vie est dure et personne ne compatit

Nous sommes une profession pas reconnue à sa juste valeur. Professeurs, soignants, médecins, cadres nous avons le sentiment de fournir un travail bien trop important et pas assez estimé.  Chefs d’entreprise, nous avons l’impression de passer le temps à faire des chèques. Nous sommes des intellectuels insatisfaits. Nous sommes chauffeurs de bus, techniciens, cadres intermédiaires, ouvriers, employés, et nous partageons une impression commune, celle de ne pas être reconnus pour notre juste valeur.  Nous nous plaignons tous à des degrés divers et plus ou moins. « Notre » travail est difficile, et pas assez considéré.  En fait, du plus bas de l’échelle au plus haut, du plus physique au plus intellectuel, ce qui est dur, ce n’est pas NOTRE travail, c’est LE travail.

Et personne ne compatit de la difficulté du travail des autres

Votre vie est dure et personne ne compatit

Vous n’avez jamais assez d’argent pour finir le mois. Tant de choses tentantes dans les magasins que vos moyens ne vous permettent pas de vous offrir.  Tant de dépenses sont incompressibles, incontournables. Et il n’y a aucune issue, pas moyen de gagner plus. Vous vous lamentez tout haut ou en silence que votre vie est dure, mais qui a pitié de vous ?  Vous avez de la chance d’avoir un travail, de gagner votre vie, d’avoir la sécu, vous rétorque ceux à qui vous vous plaignez. Vous pourriez être au chômage et n’avoir pas de logement, cette fois ce serait à considérer.

Et personne ne compatit

Leur vie est dure et personne ne compatit

Ils font la quête au feu rouge, quand ils n’essayent pas en plus de faire semblant de vous laver les carreaux. Nul ne sait qui ils sont, d’où ils viennent, ou ils vont le soir. Ils choquent quand leurs enfants au regard vide les accompagnent dans la mendicité. Ils choquent les passants qui se rassurent en se convainquant que la manche ça doit bien gagner finalement, que l’état leur offre les soins gratuits et surement un toit, et l’école pour leurs enfants s’ils le voulaient.  Que savons-nous de la dureté de la vie de ces gens la. Le passant sollicité se contente le plus souvent de s’agacer d’en croiser un de plus, daigne parfois donner la pièce à l’un d’eux, en se murmurant à lui-même qu’il n’est pas responsable de toute la misère du monde, que sa propre vie aussi est dure, et qu’il ne voit pas pourquoi il aurait pitié de tous les autres.

Ainsi va la vie. On est convaincu, on dit : « la vie est dure » Pourquoi ? Parce qu’il faut gagner sa croute, assumer de récurrentes difficultés quotidiennes, des dysfonctionnements personnels répétitifs, des obstacles imprévus,  de grands malheurs ? Quel humain échappe à une vie comme ça ? Aucun de ceux qui n’ont pas la malchance de mourir jeune. Vieillir suppose son lot d’évènements positifs et négatifs.

On ajoute à la dureté de la vie l’obligation de supporter moralement  le poids d’une société qui semble partir en vrille, l’inquiétude des attentats, du terrorisme, l’insatisfaction des dirigeants que l’on affirme mous comme des flans, car ils ne font pas bouger les lignes de nos territoires personnels.

Autrefois, la vie était dure autant physiquement que psychiquement. Maintenant, le confort physique est certes variable, mais il est réel pour la majorité. Avoir un toit au dessus de la tête, même dans un HLM est une sécurité pour les humains.  De même, tout est fait pour que les gens puissent manger à leur faim. On ne rencontre pas de personnes faméliques et dénutries ici. Et pourtant. Chacun, à son niveau, se sent quand même un peu ou beaucoup malheureux, et aimerait de la considération pour les difficultés rencontrées dans son cadre de vie. 

Maintenant, la vie est surtout dure psychiquement. Toujours chercher de l’argent, devoir gagner sa vie, être menacé par tant de malheurs, tant de risques, maladie, horreurs du monde, c’est pourtant le lot des humains depuis la nuit des temps. Mais désormais, on veut un responsable et de la prise en considération.  Maintenant, ce qui rend la vie si dure à tant de gens, c’est l’indifférence des gens.  C’est que personne n’admet le malheur de vivre de l’autre, tant il est occupé par le sien propre. C’est l’incompréhension des autres, leur incapacité à se mettre à votre place, murés qu’ils sont eux aussi dans leurs problèmes personnels

Une écoute et une attention soutenue que de nombreuses personnes voudraient avoir chez les médecins, espérant trouver  comme seul  vrai havre de paix et de plainte, la sérénité sanctuarisée du cabinet médical.  Ils viennent chercher de l’empathie, enfin une écoute, enfin quelqu’un qui reconnaisse leur malheur. Beaucoup ressortent déçus, constatant que leur vie est toujours aussi difficile après la consultation, et n’ayant pas eu le sentiment de recevoir du médecin cette écoute empathique qu’ils quêtent sans relâche et ne reçoivent pas de leur entourage.

Ce que les médecins ne peuvent changer, c’est la solitude morale. Celle qui enferme les êtres dans leurs propres murs,  les laissant espérer en vain  que d’autres viennent démonter leurs barrières pour faire un pas vers eux..  Un pas que tous attendent, mais qu’ils ne savent pas faire (ou ne font pas l’effort de faire) en direction des autres.  Combien de fois celui qui se plaint de la dureté de sa vie s’entend t’il rétorquer cette remarque si dysempathique: « oui, mais…  moi c’est pire  ».

 

 

 

2 commentaires sur “La « dysempathie »

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    1. Après avoir été vérifier la signification exacte de dystopie, je suis d’accord pour dyre que les dys- expliquent en effet beaucoup de faits sociologiques !
      « Une dystopie, également appelée contre-utopie, est un récit de fiction peignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur, certains disent aussi que c’est une utopie qui vire au cauchemar et conduit donc à une contre-utopie. . »

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