L’esprit carabin est-il soluble dans les déserts médicaux ?

Peut-on garder un peu son esprit carabin et produire quelques tournures d’esprit sur des sujets journalistiquement et associativement brûlants que sont les brèves de consultation, les déserts médicaux, les restes à charge, le tiers payant ?  

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Esprit carabin, ou es-tu ?

Esprit carabin, tes dessins fantaisistes sur les murs des salles de garde ont offusqué des bien- pensants. Des qui pensent que les médecins doivent rester sérieux, et ne jamais se marrer ensemble, y compris quand ils sont entre eux.  Des qui sont en passe de te dégrouper, de ne pas te permettre d’échanger avec tes confrères, dans le secret d’une salle privée, parce que maintenant tu manges au self..

Esprit carabin, tes citations de consultation, les phrases amusantes, les mots détournés, tout ce qui te fait sourire au milieu des misères que tu entends et tentes de soulager toute la journée, ces brèves de consultation tu as intérêt à te les garder pour toi. Ne les twitte pas. Tu fais sourire tes confrères connectés, certes, mais grimacer ceux qui pensent que c’est une offense pour tous les patients que de trouver drôles des tournures de langage d’un seul d’entre eux.

Esprit carabin, ne dis surtout pas publiquement ce que tu penses de certains patients dont les plaintes ou les exigences semblent aller bien au-delà de la pathologie.  Car d’aucuns interpréteront aussitôt ton point de vue comme une cri/tique. Et te le feront savoir, avec vigueur, en rameutant leurs amis contre toi. Dos au mur des lamentations de twitter, ton pseudo tu bloqueras, ou ton compte tu effaceras. Esprit médecin, aurais-tu pu imaginer qu’un mot de toi mal lu et mal vécu déclenche un séisme dans le petit monde de la toile que tu croyais agréable à fréquenter pour te détendre.

Avec tant de doigts accusateurs pointés au quotidien sur les médecins, avec tant d’imputations négatives, l’époque n’est pas vraiment à rire ni à sourire chez les praticiens.  Patients, on vous soigne, mais vous ne voyez pas comme on est tristes? Vous ne voyez pas comme on se tait. Parce que quoi qu’on dise, cela peut être retenu contre nous. Ca oblige à se surveiller, et être en permanence sur la défensive. Que de gens se sentent investis de la mission de museler l’esprit carabin. Et, au dela de ne pas laisser les médecins exprimer leur vie quotidienne, combien s’ingénient à désigner les carabins comme grands responsables des multiples défaillances du système de santé

Médecins sans humour, à l’humour muselé, nous sommes devenus des proies faciles.

Que de gens s’acharnent à critiquer le corps médical. Certaines associations de patients guerroient contre les médecins. Sans parler de la presse… A entendre et lire ce qu’on dit et pense de nous, nous perdons carrément l’envie de faire des vannes. . Que nous sortira t-on encore demain, qui nous enlèvera un peu plus encore le peu d’esprit carabin . Cet esprit pourtant si utile à prendre du recul après avoir côtoyé la misère des corps et des cœurs.

Grand inquisiteur de la semaine : « Que choisir ».

La défense des consommateurs vue habituellement par Que Choisir = la libre concurrence

La défense des consommateurs de soins vue par Que Choisir = la contrainte absolue. Des magasins de médecine partout on imposera, tout en maintenant des prix bas, voire une totale gratuité, et en se pliant au contrôle de diverses tutelles, comme l’état et les mutuelles.

Les médecins peuvent t’ils encore avoir de l’humour ?

Par exemple, si j’avais de l’humour et pas peur des rectificateurs de pensée de médecin me fonçant dessus à plume acérée, je rappellerai ce qu’est, selon  l’OMS, un désert médical.  Un désert médical est un pays ou on trouve moins de 23 personnels de santé (incluant médecins + infirmières  +  sage-femmes) pour 10 000 habitants.  En France on dispose en moyenne de 33 médecins pour 10 000 habitants. Souriez !!! Il y a des médecins en France, même si pas au pied de l’immeuble.  Et en plus, plein de gens ont une voiture ou un voisin qui en a une.

Par exemple, si j’avais l’humour (et le courage) de vouloir relativiser ce super spot pub attirant le lecteur,  le fameux désert, je  rappellerai qu’on parle en France de « zone fragile » =  c’est là ou qu’on doit faire plus que 30 minutes de route depuis son domicile pour aller voir un généraliste, et plus que 45 minutes pour aller consulter un spécialiste.  Parisiens, levez-vous et manifestez. Parce que votre distance moyenne domicile travail est 14.7  km (Source : Insee – SOeS, ENTD 2008), et  selon des calculs, en région Île-de-France, tous modes de déplacements  confondus, la durée moyenne de trajet domicile travail,  est estimée à  en moyenne  entre 31 à 36 minutes .  Donc en gros,  c’est probable que vous  mettez à peu près autant de temps à vous rendre chez le médecin qu’au travail. Même si le médecin exerce dans votre pâté de maison (il vous faut 35 minutes pour rentrer chez vous du boulot), ou sur votre lieu de travail (il vous a fallu 35 minutes pour vous y rendre), en terme de temps de déplacement, le francilien est en concurrence temporelle avec les zones sous dotées. 

Par exemple, si j’osais une vanne primaire de bas niveau, je dirais que les déserts médicaux sont insolubles dans le marc de café des voyants de tous bords voulant mettre un médecin partout ou yen a besoin.  En effet, pour peupler un désert, il faut beaucoup de grains de sable, donc beaucoup de praticiens disponibles pour remplir les trous laissés par les départs.  Je me tordrais de rire face à tous les obstinés de l’idée d’un taux de remplacement 1 pour 1. En France, les bassins de vie déficitaires (et pas désertiques, s’entend)  ont tous ont un point commun = LE vrai problème =  les médecins peinent tous à trouver des successeurs lors de leur départ à la retraite. 

Si j’avais encore une once de sens de l’humour, et que je ne tremblais pas de me faire casser par les nuls en maths, je leur dirais de bien compter sur leurs doigts (ils vont m’en vouloir c’est sûr). En 2007, il y avait 97 012 médecins généralistes. En 2016 : 88 886.  Remplacer des départs avec moins 10% de personnel disponible, ceux qui pensent y arriver doivent repartir en maternelle grande section et refaire la totalité du cursus scolaire en calcul. Tant pis, allons voir les rhumatologues, se diront les arthrosiques  (-10,3% depuis 2009), les dermatologues espéreront les boutonneux (-7,7% depuis 2009),  les ORL diront les malentendants (-7,8% depuis 2009). C’est pas grave, on trouvera toujours quelqu’un pour se faire opérer, non ? : -24,7%en chirurgie générale depuis 2009 … etc

Si j’avais encore une pointe de courage humoristique, je vanterais l’esprit  de sacrifice des médecins. Les médias pourraient d’ailleurs être admiratifs des prochains chiffres ci-dessous (mais c’est bien moins vendeur de dire des choses positives que de critiquer). Souriez, vous êtes soignés par des vieux. Plus du quart des médecins en exercice (27%) a plus de 60 ans. Même 7% sont retraités et toujours actifs.  Vous savez comment on reconnaît les médecins français dans les congrès ? Ce sont ceux qui ont les cheveux blancs…

Et vu le prix des congrès, qu’ils doivent désormais se payer eux-mêmes, les plus jeunes risquent de vieillir prématurément. Mais assurément, les patients aiment les médecins âgés, dont la toison grisonnante leur rappelle le bon vieux médecin de famille de leur jeunesse.  Un temps ou le mot permanence des soins n’existait pas, car ces bonnes vieilles pâtes de médecin  se déplaçaient de jour comme de nuit.

Des moins de 40 ans, il faut chercher. C’est moins d’un médecin de ville sur 5 (18.6%). Vous n’entendrez presque pas bruit de rire en provenance de leurs cabinets. Car, à leur propos, certains patients disent des choses méchantes et ça leur entame bien le sens de l’humour, à ces jeunes médecins : on les dit lamentables de ne pas vouloir s’installer dans les déserts, et on dit aussi qu’ils préfèrent être salariés, faire les mêmes heures que les autres travailleurs, prendre des vacances et des week-end, et dire stop aux demandes des patients…  On affirme aussi qu’ils ont fait des études payées par l’état (ils seraient apparemment les seuls étudiants dans ce cas ? ) et doivent donc rendre ce qu’on leur a donné, en devenant missionnaires de service public. Mais bon, quoi que missionnés pour être missionnaires, il restera que la population des ouailles demandeuses de soins primaires augmente tandis que le nombre de missionnaires de soins primaires baisse et va continuer à baisser de façon inéluctable sur les 10 prochaines années. Donc même contraints, il n’y aura plus de médecin dans chaque territoire.  Ce post est de plus en plus drôle, vous ne trouvez pas ?    

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 Avant d’aller pleurer, enfonçons nous un peu plus profond dans la franche rigolade avec le très porteur sujet des restes à charge.  Il est bien entendu totalement impossible de dire, et encore moins d’écrire, qu’on ne voit pas pourquoi un fumeur ayant les modestes moyens de se payer un paquet quotidien, n’aurait pas ceux de se payer un supplément de consultation valant le prix de 2 ou 3 paquets de cigarettes. Ca fait grimacer la pensée unique si un médecin ose écrire ça. Il faut l’empêcher. Notamment parce que le fumeur rapporte bien plus à l’état en lui achetant 3 paquets de clopes qu’en donnant la valeur de 3 paquets de clopes à un médecin. Choisir la manière dont les gens dépensent leur argent est très important pour l’état, plus que vous n’imaginez.. Souriez, là c’est gratuit de lire un blog, profitez’en.

 Ce serait une franche rigolade que de rappeler que le reste à charge n’est pas un mal français. Au contraire, le mâle, la femelle et le petit enfant français sont de loin les mieux lotis en matière de reste à charge. En France il reste 2 fois moins à charge que la moyenne des pays de l’OCDE, et jusqu’à trois fois moins qu’en Suisse. Bon, bien sûr, ça coûte un bras en cotisation, mais c’est qui qui fait les lois ?

Si je voulais terminer par une pointe de moquerie, je dirais que les associations, celles chargées de défendre les intérêts des patients ont bien foncé dans le miroir aux alouettes du CAS et de la mutuelle pour tous. Des gens dont les études n’avaient pas été payées par l’état leur avaient si bien expliqué la génialité du concept, que pris d’un fou rire nerveux à l’idée de contraindre enfin les médecins,  ils ont aussitôt imaginé que ce serait de vrais privilèges pour les malades !   Mais bon, ce n’est pas de l’humour que de rappeler l’adage vieux comme le monde «  ce qui est rare est cher ».  Ce qu’on veut, ce n’est pas paupériser les médecins. C’est limiter leurs dépassements afin qu’ils multiplient les actes pour gagner pareil. On manque de médecins. La seule équation valable, sans humour aucun, et sans avoir besoin de refaire des maths, c’est que les médecins disponibles travaillent plus.

Et donc, pour faire baisser les dépassements en tarif, voire en volume, l’idée de génie a été le coup du tiers payant généralisé. De franches rigolades en consultation se préparent.  Les mutuelles et son actrice principale, Marisol, pètent de rire tous les jours en regardant le film (parce qu’ils ont le temps de regarder le film dans la journée, eux).  Le scénario est immuable. « Vous me devez 1, 2, 3 paquets de cigarettes, c’est le montant que ne prend en charge ni la sécu, ni votre mutuelle » Mais non docteur, je ne veux pas payer, car on m’a dit que yavhé plus rien à payer chez le médecin….  Esprit carabin, révise à l’avance ton scénario pour répondre à ça avec humour…sinon, tu vas stresser !

Que reste t’il de l’esprit carabin ?. Il suffit qu’on parle santé pour dévier aussitôt vers le sérieux, voire le tragique. Bizarre, non, dans un des pays au monde où l’on est le mieux soigné !  

Que reste t’il de l’esprit carabin aux nombreux médecins hypersollicités et sous pressions. Que reste t’il de l’esprit carabin aux médecins de ma génération, qui voient  80% des patients de leur âge déjà  retraités leur demander avec ferveur : c’est bien vous docteur,  qui me ferez ma prochaine coloscopie dans 5 ans ?

Est-ce de l’humour, ou bien une prédiction : bientôt, il va falloir obliger les médecins à s’installer en libéral et sans une once d’esprit carabin. Parce qu’en somme c’est le seul moyen de trouver un médecin prêt à bosser beaucoup parce qu’il est libéral, facile à critiquer parce qu’il est libéral, qui n’ose pas se rebeller parce qu’il est libéral et a perdu son enthousiasme carabin, et qui en fait 3 fois plus pour pas cher parce qu’il est libéral.

4 commentaires sur “L’esprit carabin est-il soluble dans les déserts médicaux ?

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  1. Bonsoir,
    Si j’avais encore un peu l’esprit carabin, je dirais à mes patients :
     » le tiers payant généralisé, grosso modo c’est vouloir le beurre, l’argent du beurre et…le cul de la fermière ! »

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