Du timbre payant au tiers payant…

 

1990

Fin de la consultation, votre médecin, vous tend une feuille de soin illisiblement remplie à la main. Une fois chez vous, vous la complétez, payez un timbre que vous collez sur l’enveloppe, et postez. Deux jours après, elle arrive à la Caisse d’Assurance Maladie de votre ville, car chaque ville à l’époque possède son centre de sécurité sociale. D’ailleurs, si vous habitez pas loin, rien ne vous oblige à débourser quelques francs pour le timbre. Passez simplement glisser la feuille dans la boite à lettre de la sécu du coin.

Triée par l’employé local, durant une des 39 heures où il est présent, la feuille est souvent retoquée et renvoyée au patient. Il suffit que ledit employé juge une ligne défaillante ou une case mal complétée, par le médecin ou le patient, et hop, timbre (aux frais de l’état), et renvoi au patient. A lui de compléter correctement, ou bien de revoir avec son médecin. Souvent la faute est minime. Comme si la sécu aimait gagner du temps en s’amusant à renvoyer des papiers. Après l’avoir réadressée au centre de sécurité sociale (2ème timbre si vous n’avez pas le temps de vous déplacer) et à condition de ne pas être retoquée une seconde fois, la feuille repart dans le circuit habituel.

Une fois passées les fourches caudines de l’employé local, donc,  la feuille s’en va au centre de tri national où une machine fait de la lecture optique et la numérise. Cette étape prend en moyenne un mois. Sauf si la machine ne réussit pas à déchiffrer l’écriture illisible d’un médecin. Elle rejette le document, et celui repart vers les humains pour une nouvelle phase de traitement, manuel, cette fois.

Comme les services traitant manuellement les feuilles de remboursement manquent chroniquement de personnel, pour des raisons qu’on ne sait pas expliquer exactement (ne sont-ils vraiment pas assez nombreux ? leur rythme de travail est-il celui espéré ? bref, n’épiloguons pas sur le passé..), les feuilles s’entassent sur des bureaux sans personnel pour résorber les piles. L’embouteillage est de plusieurs millions de documents annuels. A la fin de l’année, on ne jette pas le tas de l’année d’avant. On entasse les feuilles de l’année suivante au-dessus de celles en souffrance. Finalement, le patient est remboursé de la part sécu en un mois environ si aucun grain de sable n’enraye le système, et en plusieurs mois si le parcours de sa feuille est accidenté. En ce temps-là, la part sécu est de 70% si mes souvenirs sont bons, on ne retire pas non plus 1 euro, ni 1 franc par consultation.

C’est un système énormément inégalitaire. D’abord le patient doit avancer tous les frais de santé durant des semaines voire des mois. Les médecins n’ont pas de vraie responsabilité. Sans effort de leur part pour écrire lisiblement, le malade en pâtit dans le délai de son remboursement. Mais pour les médecins, aucun boulot supplémentaire, sauf parfois de refaire en grommelant une feuille mal écrite ou perdue.

2016

Fin de consultation. La consultation est toujours payante, sauf exceptions inventées entre temps, et d’ailleurs parfaitement justifiées d’un point de vue social, dispensant certains patients de l’avance de frais chez le médecin.

L’employé de la sécurité sociale … est désormais, depuis une quinzaine d’années, le médecin. C’est en effet le médecin qui effectue maintenant toute la phase initiale de lecture optique de la feuille de soins. Pour cela, il utilise la carte vitale du patient, qu’il glisse dans un appareil spécifique. Un appareil que le médecin doit payer, la sécu ne lui fournit pas ; Le médecin le loue ou l’achète. Dans sa grande générosité, la sécu lui octroie quelques euros censés le dédommager de cet achat et du travail qui va avec. Car il s’agit bien d’un travail. En fait, c’est désormais le docteur qui effectue le premier temps de traitement d’une feuille de soins.

Ensuite, la nuit même, son appareil transmet vers un centre de tri automatisé toutes les feuilles de soins de  la journée  (par un numéro d’appel payant, et payé par le médecin). Ainsi dès le lendemain, la caisse du patient est reconnue, et l’acte peut être traité de manière automatisé, puis remboursé au patient entre le 3è et le 5è  jour environ. Le remboursement a baissé, il est maintenant de 60/65%, et 1 euro est retenu par consultation.

Triée par le système automatisé, il arrive régulièrement qu’une feuille soit retoquée. La cause principale vient du fait que le patient n’est pas trouvé dans les bases de la sécu, ou pas à jour de ses documents.  Si le patient a réglé le médecin, la sécurité sociale le contacte pour lui indiquer l’impossibilité de le rembourser et la nécessité de régulariser son dossier. Tant que c’est le patient qui a réglé la consultation, il est de sa responsabilité d’avoir géré correctement son dossier de manière à ce que la sécurité sociale le rembourse.

2017

Ca commence comme en 2016.  Le médecin glisse la carte vitale dans la boiboite pour coder la consultation. Mais 2017, New! c’est la période des soldes permanentes chez le docteur. Car une nouveauté arrive, et pas des moindres. En lieu et place du règlement, il a été décidé que tous les malades vont désormais bénéficier dans l’année du Tiers Payant. A titre de pied dans la porte, on a décidé de contraindre tous les médecins à commencer le système pour les patients à 100% et les femmes enceintes dès le 1er janvier. Une ministre pressée de laisser sa marque sur le monde médical a proclamé que désormais l’avance de frais allait concerner tous les patients. Autrement dit, plus personne ne réglera directement le médecin. C’est la sécu qui versera directement au médecin toutes les consultations à 100% et 60% pour les autres patients. Charge au médecin de récupérer les 40% restants auprès de la mutuelle du patient.

Le patient est content. Non seulement il va repartir sans avoir à régler la part de la sécurité sociale, mais en plus il est libéré de toute question administrative. Y compris si son dossier administratif est défaillant. 

D’ailleurs, son centre de sécurité sociale, le patient n’a pas intérêt d’avoir besoin de s’y rendre. Le désert des centres de sécu est entamé depuis bien plus longtemps que les déserts médicaux. Dans les villes, ils ferment les uns après les autres. On trouve certes moins facilement un médecin, mais plus du tout de centre d’assurance maladie. 

Les gouvernements successifs compatissent à la surcharge de travail des employés de la sécu, en les déchargeant progressivement de toutes leurs tâches de base. En revanche, bien que le nombre de médecins soit également nettement en train de flancher et de dériver à la baisse, on estime qu’il est possible pour eux de faire du travail en plus, à savoir gérer la récupération des honoraires que les patients ne lui régleront désormais plus.

Car c’est désormais un vrai travail supplémentaire pour le praticien. Depuis toujours, environ 10% des consultations en tiers payant ne lui étaient pas réglées in fine. Mais le tiers payant restait marginal dans la rémunération globale puisque la plupart des malades réglaient. Cela passait en pertes et profits pour les médecins, qui l’acceptaient de mauvaise grâce, mais s’en accommodaient, plutôt que de perdre des heures à démêler des questions administratives, ce qu’ils n’ont jamais le temps de faire.

Problème, c’est que le tiers payant généralisé change la donne. Parce que, curieusement, toujours avec un timbre payé aux frais de l’état, la sécurité sociale écrit alors désormais …  au médecin, et plus au patient en cas de problème administratif lié au patient et posant souci de remboursement!  Charge au médecin de régler le problème avec le patient. Donc, non seulement le médecin avance les frais, fait la banque en quelque sorte. Le souci est qu’en supplément, en cas de problème administratif dont il n’a pas connaisssance, si le patient n’est pas en règle administrative avec l’assurance maladie, c’est vers son médecin que la sécu se tourne et lui demande de voir cela avec son patient. Voici donc que non seulement le médecin effectue la première phase de traitement des feuilles de soins via sa machine de carte vitale.. mais en plus, on lui impose également une partie du boulot administratif de la sécu ! Ce qui signifie trouver du temps pour cette nouvelle responsabilité, s’il veut récupérer ses honoraires.

Le système est devenu égalitaire pour les patients, mais inégalitaire pour les médecins. Car en cas de problème administratif lié au patient, c’est le médecin qui devra le résoudre s’il veut être payé. Ces changements considérables de pratique ne s’accompagnent d’aucun dédommagement pour les médecins. On a leur a juste transféré les tâches administratives en totalité, ainsi que la gestion des litiges de remboursement, concernant des papiers administratifs dont ils ne sont ni gestionnaires ni responsables.

Demander ce travail supplémentaire aux médecins parait d’autant plus curieux  que l’on sait être entré désormais et pour de vrai dans une ère de pénurie médicale. Donc on sait parfaitement qu’il y a moins de médecins, qu’ils ne réussissent pas à faire face à la demande de soins, et on leur balance de nouvelles tâches administratives, et pas des moindres, celles de travailler pour l’assurance maladie s’ils veulent être payés normalement de toutes leurs consultations. Or le premier métier d’un médecin est de soigner les malades, son temps pour ce faire devrait être considéré comme précieux, et tout devrait au contraire être mis en œuvre pour qu’il puisse se consacrer au soin sur la majorité de son activité, en limitant au maximum son temps administratif. Bizarrement, c’est le contraire qui est mis en place. 

..lucky-lukeQue celui qui comprend explique

6 commentaires sur “Du timbre payant au tiers payant…

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  1. le socialisme est bon pour le « peuple » mais les médecins ne font pas partie du peuple ils sont les gérants de la maniaquerie socialiste et si on les met le nez dans la poussière administrative, c’est pour le bien du « peuple » . VIVE LA FRANCE

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  2. Bonsoir,
    Vous avez très bien décrit l’évolution du remboursement des consultations de 1990 à 2017.
    Toutefois, étant un peu d’humeur taquine aujourd’hui, je meurs d’envie d’en rajouter une couche….

    Chers patients, vous vous rappelez de vos feuilles d’arrêt de travail pour maladie, que vous étiez obligés de compléter avant de les envoyer à la sécu ? Bizarrement le nombre de cases à cocher ou à remplir n’a fait qu’augmenter au fil des ans … et bien sur, on vous a toujours promis une simplification qui n’ait jamais venue!
    Récemment, le directeur de « ma  » caisse de sécu s’est ému : je ne remplissais pas mes arrêts de travail par internet ! Par mesure de rétorsion, il a décidé de ne plus m’envoyer les formulaires de la sécu (arrêt de travail , déclaration de grossesse, feuilles de soins, etc), je dois aller désormais les chercher à « ma » caisse de sécu…
    Super!! Une fois de plus, c’est au médecin de faire le travail de la sécu!
    Qu’importe que je n’ai pas la fibre optique , qu’importe le temps supplémentaire que réclame ce travail, qu’importe que nous manquions cruellement de médecins dans mon secteur, ce directeur veut supprimer des postes dans « sa » caisse …et donc demande aux médecins de faire des tâches supplémentaires , gratuitement évidemment!
    Désolé, cher directeur, je suis un médecin préhistorique, je fais encore mes consultations face à mes patients et non pas face à mon ordinateur et je fais partie d’une génération plus rapide pour écrire sur du papier que pour taper sur un clavier.
    Désolé, cher directeur, mais la richesse de la médecine générale, c’est justement la grande diversité de ses médecins (ce qui a permis pendant longtemps aux patients, de trouver le médecin qui leur convenait). Pour ma part, j’ai un don pour le sens du contact et un autre don pour expliquer simplement des choses pourtant compliquées, cela entraine souvent une bonne observance des traitements et une diminution de prescriptions d’examens complémentaires (radiologie , biologie, etc). Mais, comme tout le monde a des défauts, je ne peux pas vous faire économiser de l’argent dans tous les secteurs : je ne sais pas faire les consultations face à un écran d’ordinateur et j’ai peu de chance de progresser dans ce domaine…et donc peu de chance de faire mes arrêts autrement que sur papier!
    Désolé, cher directeur, si étant un peu d’humeur taquine, je décide un jour de ne pas perdre mon temps à vous rendre visite pour aller chercher mes formulaires de la sécu : je donnerai une procuration à l’une des nombreuses familles que j’ai très souvent soignées gratuitement au cours de ces 20 dernières années. Comme il s’agit de familles nombreuses avec des enfants « particulièrement difficiles à gérer » , je vous souhaite bien du plaisir… pour gérer cela par informatique!

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