Chers patients, bientôt l’heure de la médecine en fauteuil roulant

Commençons par un bref résumé de la vie professionnelle de votre vieux praticien: 

Toute sa vie il a été biberonné au travail.

Très jeune, on lui a expliqué que plus d’heures à l’hôpital = meilleure formation.

Très jeune on lui a expliqué qu’il avait droit de maugréer, de râler, d’être contre, à une condition : ne pas cesser de travailler.

Très jeune on lui a inculqué l’abnégation au service de «ses» patients.

Du coup, les loisirs, il n’a pas eu le temps de s’en délecter. Pas le temps. Le mot culture lui est la plupart du temps étranger. Pas le temps. Tout au plus arrive-t-il à faire du tennis et du golf, activités dans lesquelles il rencontre ses semblables, et parle de médecine.

Il aurait bien aimé profiter plus de ses enfants. S’est toujours promis de le faire plus tard. Plus tard est venu, et les enfants sont grands maintenant. Ca lui laisse plus de temps pour bosser.

Il n’a pas eu le temps non plus de vraiment s’intéresser à ce qui se passait dans la santé. Il s’est tenu informé, mais de loin, car il ne se sentait pas vraiment concerné. Il a toujours fallu le pousser pour qu’il se modernise, parce qu’il n’en voyait pas l’intérêt. Il était attaché à son exercice solitaire, à ses dossiers papiers, à ses feuilles de sécu, à ses ordonnances mal écrites à la main. Il a fallu le bousculer pour qu’il accepte de faire de la télétransmission, puis de s’informatiser, puis de s’associer. Il a évolué un peu contre son gré, un peu de son plein gré. Il continue de trainer la patte, de râler, surtout si ses patients sont allés s’informer sur internet. Mais il est médicalement productif.  Les patients avant tout.

Et le temps passe… ce praticien d’antan, résumé en quelques phrases, est bien souvent le vôtre. Vous tenez beaucoup à lui…

Le temps passe et maintenant …

Maintenant, ce même médecin, quand il voit des retraités en consultation, il est surpris à chaque fois. Il est toujours plus vieux qu’eux !  et pourtant, lui, il travaille toujours. !  Et non seulement il continue de bosser, mais il continue de bosser autant qu’avant, parce qu’il faut faire face à la demande de soins. Et les jeunes retraités, anxieux, de lui demander : vous serez toujours la pour me faire ma prochaine coloscopie dans 3 ans, dans 5 ans ? et comment vais-je faire si vous arrêtiez ?

La retraite, le soixantenaire passé, il y songe. Parce qu’il est fatigué. Physiquement, et émotionnellement. Et puis fatigué aussi que l’on fasse si peu attention à lui. Qui se préoccupe de sa lassitude de vieux, de ses maladies de vieux, en réalité, lui qui s’est depuis si longtemps occupé des autres…Avec les années, vous le savez, la fatigue s’accumule et la récupération se fait moins bien.  Ses hanches arthrosiques le font grimacer, mais il a l’habitude d’être discret, et vous ne le remarquez pas. Il prend lui aussi ses médicaments pour la tension, le diabète, le cholestérol. Il a parfois déjà soigné son cancer, ou son infarctus.  Votre vieux médecin n’est pas différent de vous. Votre vieux médecin n’est pas en meilleure santé que vous. Contrairement à ce qu’on imagine, être médecin ne protège pas des maladies… 

La retraite, il y songe… Mais voilà que les temps changent. Et qu’entend t’il dire, soudain ???

Que l’une des rares solutions envisageables pour maintenir durant les 10 années à venir une offre suffisante dans la profession médicale semble résider dans le fait de faire travailler les retraités….

Chers patients, cela vous rassure surement, ce médecin aux cheveux blancs et aux mains parcheminées, garants de sagesse, d’expérience, et de connaissances. Mais il a de la route, votre médecin, et si vous voulez qu’il dure, qu’il continue à travailler au delà d’un âge théorique de retraite, il faudra faire bien attention à lui. 

Il faudra prendre soin de lui si vous voulez le garder. C’est votre intérêt de le ménager. Car, si vous continuez à vouloir amputer ses soirées et lui demander de ne pas compter ses heures, il va vous claquer dans les pattes. Et vous n’aurez comme seule ressource que vos déserts et quelques jeunes médecins, bien peu nombreux, et aux horaires bien plus raisonnables, acceptant de s’installer mais en se préservant une vie personnelle, ce que n’ont pas su faire ses prédécesseurs qui ont eu bien tort, vu la situation ou est la médecine à l’heure actuelle.  

Un peu de cohérence sera de règle. La majorité des gens veut ou a obtenu une retraite à 60 ans, des horaires de 35 heures, des congés payés. Vous êtes nombreux à trouver votre travail pénible, les conditions fatigantes, et stressantes, les réformes incessantes éreintantes.

Vous ne pourrez pas demander à vos vieux médecins de continuer à travailler plus de 50 heures par semaine, ni de boucher les trous des déserts, ni de vous voir quand il est tard. Ni de s’adapter sans rechigner à toutes les évolutions de la santé. Ni de répondre à toutes vos demandes sans délai, plus à vos appels téléphoniques, et à vos mails. Ni de vous recevoir toujours urgemment. Il faudra avoir des égards pour ceux qui vous offriront leur temps à la place de prendre leur retraite. 

Beaucoup de médecins âgés restent et resteront auprès de vous par esprit de service public, par esprit de devoir, parce qu’ils ne veulent pas vous laisser, victimes des imprévoyances politiciennes. Ils feront cela pour vous. Pour autant, il faudra faire attention à eux. A vous de leur rendre ce qu’ils vous donneront.  Chers patients, soyez attentifs en entrant dans leurs cabinets. Sur le côté, il y a leur canne, ne la faites pas  tomber !  Du moment que leur cerveau fonctionne encore, on va les mener le plus loin possible… Et d’ici 5-10 ans, chez certains bien décatis, le siège de bureau sera remplacé par.. un fauteuil roulant !  

4 commentaires sur “Chers patients, bientôt l’heure de la médecine en fauteuil roulant

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    1. Bonjour,

      Parfaitement résumé par notre collègue Maubouss : « tellement bien vu ».

      Me pardonnerez vous de faire une rubrique « nécrologique », après un si bel article ?
      Il y a beaucoup de « casse » chez les médecins de mon secteur (semi-rural) :
      – 9 cas de cancer en 5 ans environ ( 6 n’ont pas survécu , 1 dont l’espérance de vie se compte en mois , 2 guéris/en rémisssion ).
      – plusieurs consoeurs, ayant laissé échappé quelques mots qui laissent supposer qu’ellles ont subi l’ablation « d’une boule » dans un sein.
      – 2 infarctus , les deux confrères ont cessé leur exercices quelques mois plus tard.
      – 1 cas de « pétage de plomb », avec fermeture définitive du cabinet dans l’heure qui a suivi.
      – 3 autres généralistes sont partis exercer dans d’autres pays européens, un autre fait une formation pour devenir médecin du travail.
      – 2 médecins roumains sont partis exercer dans de plus grandes villes après avoir respecté le contrat qui les liait à leur commune pour 2ans.
      – enfin , perspective peu réjouissante lors de notre réunion mensuelle locale de formation médicale continue, il ne faut plus jamais poser la question « tu vas bien? », car…..une fois sur deux, la réponse est brève et cinglante : « NON ! ».

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      1. Le cancer j’ai déja donné.. et aujourd’hui je reviens de l’enterrement d’une amie très proche, médecin aussi, qui a combattu de nombreuses années contre cette maladie et vient de perdre la partie.
        Oui, les médecins sont vieux, fatigués, malades, stressés, et on ne voit pas comment faire l’économie d’une vraie réflexion sur ce sujet.
        Cordialement

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