La guerre de 3… CHoix en médecine

La médecine est un métier complexe, qui gère avant tout l’incertitude. Bien sur,  médecins comme patients attendent prioritairement de pouvoir établir formellement un diagnostic, puis d’opposer à la maladie causale le traitement adapté. 

C’est sans compter sur l’infinie diversité des maladies, sur les états polypathologiques que notre siècle apprend à gérer, parce que la vie plus longue permet aux gens d’avoir plusieurs maladies et de ne pas mourir de la première. 

C’est sans compter sur ce que représente le mot santé aux yeux des patients. Elle devrait correspondre à la pleine et entière définition de l’OMS: « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Sauf que l’on vit dans une société tellement explosive, tellement contrainte, que le bien-être mental et social est un espoir vain pour nombre de gens. Alors bien souvent ils attendent de la médecine qu’elle gomme leurs malaises, leur difficultés sociales et psychologiques.  Et on oublie de dire que la médecine soigne bien les maladies, mais qu’être soigné d’une maladie comprend presque inévitablement des séquelles. Des séquelles de chirurgie, des mutilations, l’obligation de prendre constamment des médicaments, qui est une forme de séquelle aussi. Je le sais pour avoir testé: on guérit certes d’une maladie, ou de plusieurs, mais on ne revient jamais exactement à son état de santé antérieur. 

Or, nous vivons sur des paradoxes. Nonobstant les immenses progrès scientifiques, les gens ont des attentes parfois démesurées envers le soin. Ils attendent concrètement une santé sans faille. 

Pour ce faire, différents moyens sont à disposition. Je vais parler des 3 formes de « médecine » actuellement disponibles et faire un focus sur la dernière, la médecine de théorie, celle qui actuellement met vent debout plus d’un médecin. 

1) La Médecine populaire :

Cette médecine ne date pas d’hier, mais du temps ou il n’y avait pas toute cette science, et ou les gens étaient prêts à tout tenter pour guérir. Elle repose sur « des pratiques généralement irrationnelles, voire superstitieuses issues de traditions ancestrales, s’opposant à la médecine savante »  (Wolff, 2011).

Nos ancêtres ne s’émouvaient pas du caractère aléatoire de la guérison. C’était ça ou rien ! Si la guérison survenait, on en créditait aussitôt le médecin, le guérisseur, ou le remède. C’était la médecine populaire. 

Grattez un peu et vous trouverez l’âme populaire encore naïve et ignorante chez bien des gens, même peut-être vous, un peu, parfois. Rebelle aux vérités démontrées, du moins tant que sa vie n’est pas en jeu, et prêt à accepter sans contrôle et avec une foi aveugle toutes les médications empiriques. Toutes les catégories de médecine populaire trouvent clients. Les magnétiseurs, les énergéticiens, les coupeurs de feu, les vendeurs d’amulettes, de plantes, de décoctions, de trucs de régime miracle, etc.

Mais c’est cher, et les gens se rendent vite compte que c’est sans effet. Quand à partir en pèlerinage, suprême action de  médecine populaire, c’est compliqué. Alors, le pèlerinage s’arrête souvent au final chez médecin le plus proche et si celui-ci affiche une pratique alternative, c’est encore mieux parce qu’elle est cautionnée par un remboursement de la sécurité sociale et que cela confère un sérieux attendu.    

2) Médecine scientifique ou plutôt médecine rationnelle

La médecine hippocratique se dit scientifique. Mais en réalité c’est de la médecine rationnelle, qui repose sur des critères objectifs, tout en restant un art, et pas totalement une science

Nos aïeux en ont tant rêvé, de ces fameux médicaments maintenant disponibles pour nous au quotidien !  Il leur aura fallu attendre le 19è siècle, les progrès de la bactériologie, de l’infectiologie, de l’hygiène. Puis le 20è siècle, celui des progrès dans le domaine des médicaments avec apparition de nombreuses classes thérapeutiques, l’aspirine, la pénicilline précurseur des antibiotiques, l’insuline pour le diabète, les neuroleptiques, les anesthésiques, etc..

Elle a quand même son côté magique, la médecine rationnelle : Un exemple de truc magique issu de la science, les antibiotiques. C’est tellement magique que cela en devenait automatique. Comme une incantation. Donnez-moi des antibiotiques et j’irai mieux. Et les docteurs, qui aiment bien eux aussi faire un peu de magie, de prescrire les antibiotiques à tour de bras. Et les bactéries, bridées depuis le 19è siècle, de se réjouir, cela leur donne l’occasion de contourner le système! 

Bien qu’elle ait progressé à pas de géant depuis plus d’un siècle, la science médicale ne jouit pas pour autant de la confiance aveugle de l’ensemble de nos contemporains. Il y a tellement d’aléas, de complications, d’affaires diverses, tant autour des traitements que des médecins, ça ne maintient pas forcement la confiance généralisée

3) Médecine théoriste 

Il n’y a qu’une seule médecine reposant sur une théorie, c’est l’homéopathie. (+/- l’acuponcture, mais pas trop sous notre latitude) 

Théorie élaborée il y a plus d’un siècle, par un homme disparu il y a 180 ans, (Samuel Hahnemann (1755-1843) , à une époque où les molécules actives n’existaient pas, quand la guérison relevait de la chance ou d’une bonne constitution.

C’était une époque ou les résultats de la médecine étaient désastreux, et toutes les nouvelles théories bienvenues. Celle de Hahnemann empruntait une partie de ses arguments à des principes encore plus anciens, venus du siècle précédent, le 18ème siècle, par exemple le principe de similitude, celui qui considérait qu’un truc jaune était le meilleur moyen de traiter la jaunisse. 

L’homéopathie c’est mieux que de la médecine populaire. Car la médecine populaire, c’est du pèlerinage, des huiles essentielles, des pierres, du foie de brebis pourri broyé dans un cerveau de corbeau et qu’il faut appliquer sur sa tête. L’homéopathie c’est mieux, parce que ce sont des cachets. Puisqu’il y a un cachet c’est donc de la médecine. Hypothèse corroborée par le fait que c’est remboursé. Cela confère à cette pratique une pseudo rationalité.  

L’avantage de donner des petits cachets granulés à prendre est indéniable. Cela donne l’impression d’une sorte de médecine supposée moins engageante, moins dangereuse que toutes ces molécules dont les effets indésirables s’étalent sous les yeux du public. Et puis, les gens, habitués aux obligations réglementaires de la mise sur le marché des médicaments traditionnels, pensent que s’il le vendent, c’est que cela a été testé. Ce dont ils ne se doutent pas, c’est que l’homéopathie relève de la médecine rationnelle par le fait qu’elle administre des médicaments, mais que les médicaments homéopathiques court-circuitent le circuit du médicament, car non soumis aux mêmes règles de mise sur le marché, cad des règles de sécurité et d’efficacité. En effet, normalement, l’efficacité d’un médicament doit être prouvée par des essais cliniques réalisés en double aveugle avant sa mise sur le marché : l’effet du médicament est comparé à celui de son placebo ou d’un médicament existant, sans que le médecin ou le patient sachent lequel est prescrit. Dans de nombreux essais, on dose la concentration sanguine de la molécule active. Rien de tout cela en homéopathie, qui n’a pas besoin de passer ces étapes pour être mise en vente. .

A-t-on jamais tenté de doser la molécule active dans le sang des patients sous traitement et dans le cadre d’essais thérapeutiques ? La dessus l’homéopathe répond qu’en homéopathie, il n’y a pas de pharmacologie, pas de remède spécifique, mais une réponse adaptée à la situation personnelle du malade. Le principe de l’individualisation du remède coupe court à toute tentative de pharmacovigilance et de tests d’efficacité. (on soigne donc toujours une jaunisse avec un truc jaune dilué 10 ou 100 fois au 21ème siècle !). Tranquillement cette médecine théorique (pour ne pas dire empirique) s’abrite derrière des justifications datant d’il y a 2 siècles pour ne pas se conformer aux règles de la médecine d’aujourd’hui.  

Et puis, le fait que l’homéopathie soit prise en charge par la sécurité sociale pose un autre problème : celui de la confusion, voire de la tromperie des patients. En effet, dans l’esprit des gens, si un type de traitement ou de consultation médicale est inclus dans les prestations payées par les caisses d’assurance maladie, c’est qu’il doit avoir été avalisé par les autorités sur la base de critères sanitaires et financiers objectifs. 

Pour quelles raison les patients y adhérent t’ils ? parce que cette forme frontière de la médecine, à la limite entre médecine rationnelle et médecine populaire, les attire. C’est tellement irrationnel qu’il suffit que cela marche une fois chez une personne pour la convaincre de l’efficacité de la méthode. Incroyable, non ?

Pour quelles raisons certains médecins y adhèrent t’ils ? Parce que, comme les patients, un certain nombre de médecins sont capables de s’adapter aux croyances de leurs patients, et se persuadent alors du bien fondé de leur démarche. Ils pensent faire du bien aux patients. A un détail près : ce n’est pas de la médecine. C’est de la médecine théorique qui ressemble bien plus à la médecine populaire qu’à la médecine rationnelle.

Conclusion :

Comme l’ensemble des signataires de la tribune #FakeMed, Je ne suis pas opposée farouchement à l’homéopathie, seulement à certains de ses paradigmes… et à son remboursement… (bon, je ne suis pas pour non plus, mais quand même, j’avoue avoir parfois filé du gelsemium et de l’ignacia à mes enfants quand ils stressaient).

Cela reste malgré tout une sorte de traitement des symptômes bénins, sans pratiquement d’effet indésirable. En fait pas d’effet indésirable parce que pas d’effet désirable, en tous cas n’ayant jamais réussi à  prouver vraiment qu’il y en avait. Juste, il faudrait que l’on soit clair. C’est de la médecine théorique, qui n’a rien à voir avec la médecine rationnelle, celle que l’on dit scientifique et que la majorité des médecins pratiquent au quotidien avec plus ou moins de succès. En pratique, tant que les patients sont en bonne santé, avec seulement des symptômes, ne recouvrant aucune maladie avérée, ils ont le choix. Ils peuvent tranquillement faire appel à de la médecine alternative, car ils savent que le recours de la médecine, la vraie, la médicale, l’antibiotic magic, reste possible à tout moment.

Je suis pour que l’homéopathie rejoigne le rang des médecines populaires, celles qui sont basées sur la croyance, autant des patients que des médecins qui s’y adonnent. Qu’on garde ça, ce ne sera ni plus dangereux ni plus cher que toutes sortes de pratiques auxquelles  les patients. confient leur santé..  mais que l’on cesse de rembourser et les médicaments et les consultations qui vont avec ces prescriptions. Comme ça, l’homéopathie aura sa place, sa vraie place, hors du champ du contrat de bon usage du médicament.

L’idée générale, en conservant le remboursement de ces molécules homéopathiques est la suivante : tant que les gens consomment des granules à quelques euros, ils ne consomment pas de médicaments traditionnels et cela fait des économies de dépense de santé ! Le sénat l’a dit en 2004 et c’est encore ce que pensait notre ministre actuelle récemment. Mais cela traduit en fait que les gens sont obligés de chercher dans la médecine dite alternative, ce qu’ils ne trouvent pas dans la médecine traditionnelle.

Alors, c’est ce que les gens croient trouver dans les médecines alternatives qui est la question. En fait, les patients attendent autre chose de la médecine que juste des traitements médicamenteux. Or la rationalité a transformé la relation médecin/patients. Les gens ont l’impression que les médecins ne les regardent plus, ne leur consacrent plus assez de temps. On est dans une période de flottement. Les patients attendent tant de la médecine !  Une dose de soin populaire, une grosse dose de médecine moderne et scientifique, mais aussi une dose de soin irrationnel dont la seule vraie vertu est éventuellement de placer le patient au centre du processus et de lui laisser penser qu’il est aux yeux du médecin une personne unique. La médecine est devenue scientifique et intelligente, la médecine soigne les maladies, mais ce qu’attendent les malades c’est toujours et avant tout une médecine humaniste, une médecine centrée sur le malade et non sur sa maladie, une médecine de l’individu. C’est finalement cela que traduit la bataille autour de l’homéopathie et de ses granules. 

 

 

 

Références

5 commentaires sur “La guerre de 3… CHoix en médecine

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  1. C’est intéressant cette typologie, est ce que le terme de « médecine théorique » est de vous ? Je pense à plusieurs références en lisant l’article, par ex la chaîne Youtube Scilabus a fait une vidéo autour de l’effet placebo en soulevant la question de la nécessité et de l’acceptabilité de mentir ou non au patient (ça rejoint forcément un peu l’homéopathie…). À Grenoble, Albin Guillaud du CorteX (qui est kiné) a repris un master et il me semble bien que son mémoire portait sur les raisons du recours aux médecines alternatives.
    Bonne journée à vous 🙂

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    1. Je n’ai pas inventé cette typologie !! Ayant décidé de réfléchir à la place de l’homéopathie par rapport à la médecine rationnelle, j’ai facilement trouvé sur le net qu’il s’agit d’une médecine reposant sur une théorie, et non sur des critères scientifiques ou rationnels,

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      1. D’accord, ça m’intriguait car pour moi une théorie c’est forcément quelque chose qui peut s’évaluer à partir de critères scientifiques, sinon on est sur des scénarios qui ne sont pas réfutables (de type conspirationniste par exemple). Après, de fait, la théorie sur laquelle repose l’homéopathie peut s’évaluer justement et a été évaluée, en revanche l’évaluation se heurte à un franc déni du côté des homéopathes ^^ ! En tout cas je n’avais jamais croisé le terme, d’où ma question

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  2. Si l’homéopathie était déremboursée :
    – ça ferait plus d’argent pour le secteur de la médecine ou bien ça permettrait uniquement de réduire le trou de la sécu ?
    – les français consommeraient plus de molécules issues de la chimie ou remplaceraient ça par des remèdes de grand mère?

    Oui il y a des abus, mais pourquoi répéter à l’infini que ça ne marche pas plus qu’un placébo…
    Soit on le sait déjà parce qu’on a mis les pieds à l’école. Soit on a décidé d’y croire et on restera hermétique à ce genre de rappels.

    Et si ça permet de soulager des symptômes (comme un placébo), c’est largement appréciable pour tout un tas de petits maux hivernaux ou du quotidien, non ? Dérembourser = ne plus utiliser (personne n’aime payer quand il a le choix).

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    1. Un jour viendra ou il faudra bien que les patients comprennent que leur demande de soulagement ne peut pas continuer à être payée par la collectivité.
      Votre exemple des petits maux hivernaux n’est pas bien choisi. On n’a jamais vu un rhume guérir plus rapidement avec aucun traitement fut-il puissant. Les gens croient que c’est l’homéopathie qui les guérit alors que c’est la nature d’un côté et leur cerveau de l’autre qui le fait ! Ce ne sont que de petits maux, pas des maladies ! L’homéopathie ne marche pas mieux que le temps et la patience !

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