Quelle est l’implication des médecins, non pas en tant qu’individus, mais en tant que groupe professionnel, pour répondre aux attentes prioritaires des patients les consultant ?
Sans aucun sondage, je dirais que les patients attendent :
1- d’être traités le mieux possible selon les progrès de la science et de la médecine
2- d’être écoutés avec considération, entendus dans leurs plaintes, et guidés dans leur parcours de soins
Ca paraît simple! Pourquoi autant de difficultés avec ça, voire de polémiques ?
1- Examinons la première attente des patients: « être traités le mieux possible selon les progrès de la science et de la médecine ». Centrons la réflexion sur le seul sujet du médicament.
L’idée de base d’un patient est la suivante : Les médecins sont formés aux progrès de la science et de la médecine. Donc, par définition, leurs prescriptions médicamenteuses sont irréprochables !
Et, en effet, la formation médicale est centrée sur les indications des traitements. En matière de prescription de médicament, le seul à avoir la science, la connaissance, la compétence pour prescrire est le médecin. Personne d’autre qu’un médecin n’est autorisé à signer une ordonnance.
Si plusieurs parties de l’acte médical peuvent désormais être déléguées (l’administratif, l’information, la reprise d’explications, des reformulations), aucun paramédical ou administratif n’est autorisé à intervenir dans le champ de la prescription médicamenteuse. Seul un médecin est habilité à prescrire
Pourtant, cette force théorique, les médecins ne l’exploitent pas…
Une de leurs spécificités est la prescription médicamenteuse, et ils devraient y être irréprochables
Or dans la vraie vie, ce n’est pas démontré.
A l’hôpital , l’amélioration des prescriptions hospitalières est obtenue non pas du fait de la prise en main du sujet par les médecins, mais par l’encadrement des pratiques prescriptives, notamment grâce à l’informatisation, et au contrôle pharmaceutique. L’ordonnance de sortie est négligée. Elle omet une partie des médicaments pris avant l’hospitalisation, les noms des traitements d’entrée sont modifiés, les compte rendus d’hospitalisations et les lettres aux médecins traitants oublient la plupart du temps de donner des explications et compréhension sur les changements thérapeutiques.
En ville, l’articulation de la pluridisciplinarité est le quotidien des médecins généralistes. On convient que c’est complexe. Pour autant, articuler les différentes pathologies de leurs patients mériterait souvent mieux que d’additionner des molécules, générant des ordonnances longues, trop longues, des interactions négligées, et des indications pas assez remises en cause. De nombreux traitements sont trop prolongés. Les associations médicamenteuses ne sont pas assez prises en compte. L’inspiration de ce post. Un tweet de Docteur V: « 93a Coumadine Advil Inexium et le reste » Quelles justification à ce genre de mélange si risqué à un âges si extrême ?
Alors qu’ils détiennent un pouvoir phénoménal en étant les seuls détenteurs de la connaissance du médicament, les médecins se mettent en position de faiblesse… Ils n’ont pas souhaité ou pas su se mobiliser et définir et assurer sous le contrôle de la profession, la maîtrise et le suivi des critères qualités de leurs prescriptions. Ce sont donc les tutelles qui ont légiféré pour encadrer les prescriptions médicamenteuses.
Pour les structures hospitalières, depuis 2005, par décret, le « contrat de bon usage du médicament » a fixé pour objectif, d’améliorer le circuit des produits de santé administrés à l’hôpital, -en particulier leurs conditions de prescription et de gestion
Les missions des contrats de bon usage (renouvelés chaque année depuis 2005) sont nombreuses, et imposées aux établissements de santé. Ayant travaillé sur ce sujet, j’ai pu constater le manque d’implication du corps médical dans le bon usage du médicament à l’hôpital.
Du coup, contraintes et menaces s’imposent aux médecins, alors qu’ils pourraient le faire de leur plein gré, s’agissant de ce qu’ils savent faire.
Pour la ville, l’encadrement des pratiques de prescription médicale est imminent… ce sera plus voyant qu’en établissement hospitalier, car cela s’adressera directement aux médecins sans passer par les filtres des directions et pharmacies.
Là encore, contraintes et menaces seront au rendez-vous, et une réaction indignée du corps médical est à prévoir.
Et dans certaines situations, s’indigner est un aveu de faiblesse. Tous les médecins savent les imperfections de nombreuses ordonnances. Or elles devraient avoisiner la perfection pour une raison simple : Parce que prescrire des médicaments est une prérogative fondamentale et irremplaçable des médecins, nécessitant 10 années d’étude. Impossible de retirer cette compétence au corps médical.
Sur le point de la prescription, je pense que le corps médical se met en position de faiblesse, alors qu’il détient une force potentielle. Marquer la vraie spécificité de la profession en faisant son affaire de la qualité des ordonnances, sans laisser la tutelle gérer des obligations et des contrainte eût été bien plus porteur de progrès.
Si les médecins étaient plus proactifs sur le sujet du médicament, ils trouveraient un bon moyen de rappeler à quel point ils sont irremplaçables, à quel point il serait opportun qu’on les soutienne au lieu de laisser un auditeur extérieur les surveiller, et les sanctionner.
2- Examinons maintenant la seconde demande des patients, « être écoutés avec considération, entendus dans leurs plaintes, et accompagnés dans leurs parcours de soins ».
La relation humaine en consultation est une spécificité, et les patients estiment que les médecins devraient y être particulièrement performants.
En réalité, les médecins ont peu de formation psychologique, et leur relation avec les patients est trop souvent parasitée par leurs propres affects. Particulièrement en cas de maladie grave, les médecins sont dans un relationnel « tripal ». Or, justement ce qu’attendent les soignés, ce n’est pas que le médecin y mette son cœur et ses tripes. Ils attendent qu’on tienne compte en priorité de leurs ressentis et de leurs émotions à eux, en tant que malades.
J’incite à aller lire les écrits de Martin Winkler. Même si à mon sens, il cogne indistinctement et trop fort sur les médecins, car il les croit capables de prouesses relationnelles que certains n’ont pas acquises, il a beaucoup raison. Je n’ai pas les compétences pour donner des leçons de relationnel en consultation. Je m’y suis pourtant formée, et ai apprécié d’apprendre des techniques de communication avec les patients. Et puis, surtout, j’ai expérimenté personnellement une annonce épouvantable, et ça marque pour toujours. C’est trop souvent ainsi, allez voir sur les forums de patients… (http://www.forum-thyroide.net/index.html?http://www.forum-thyroide.net/phpBB/login.php?redirect=viewtopic.php&p=304149#304149)
La prise en charge des patients, c’est aussi l’aide au parcours de soins. Pourquoi les médecins ne s’emparent t’ils pas du sujet ?. Pourquoi le corps médical rejette t’il en bloc les possibilités qu’on lui offre de définir le dossier médical partagé, de participer à sa construction. De toutes manières il devra le faire in fine, c’est le sens du progrès, des demandes de leurs malades, des tutelles. Là encore, les médecins qui peuvent détenir une force incalculable en maitrisant le sujet se retrouveront accablés, sous la contrainte et les exigences du législateur et le feront de mauvais gré (et mal ?)
Sur le point du parcours de soins, je pense que les médecins font une seconde erreur. Marquer leur vraie spécificité en s’attachant eux-mêmes à mettre en place un dossier partagé sans hurler sans cesse au loup pour ça, serait un bon moyen de rappeler à quel point le corps médical est irremplaçable, à quel point il serait opportun qu’on le soutienne au lieu de laisser un auditeur extérieur les obliger, les surveiller, et les sanctionner.. La proactivité seule permettrait un dialogue constructif autour de la rémunération d’un travail supplémentaire et reconnu. http://farfadoc.wordpress.com/2014/07/17/rustineuse/
Reprendre en main son destin : pourquoi être l’objet de tant de critiques et de contrôles ? Démontrer que nous sommes irremplaçables ?
Je suis de plus en persuadée que la solution de sauvetage pour le corps médical consiste à savoir mieux démontrer les points sur lesquels nous sommes « irremplaçables » ( ne suis pas la seule optimiste, cf http://sommatinoroots.blogspot.fr/2014/08/le-pied-dans-louverture-de-la-porte.html)
Nous devrions nous acharner à faire savoir notre savoir-faire…
Pour cela, il faudrait que la profession accepte de s’emparer des sujets qui lui sont spécifiques, afin de les valoriser, tels la prescription, la relation, le dossier partagé.
Si les médecins faisaient leur affaire de la qualité de ces prestations, en décrétant que ce sont des priorités de la profession, en mettant en sourdine leurs lamentations sur toutes les vilenies qu’on leur inflige, non seulement ils pourraient commencer à reprendre en main un destin qui, en l’état actuel, leur échappe, mais ils pourraient aussi expliquer clairement, et plus que probablement avec le soutien des patients, que toutes ces actions…c’est du temps et donc du financement.
Je pense qu’il y a un problème au niveau du maintient de la connaissance en matière « scientifique » médicamenteuse. Souvent pour avoir une forme de certitude autour d’un médicament, il faut attendre des dizaines d’années. Pourtant, une fois autorisé un médecin qui se voit proposer une nouvelle formulation validé par les autorités et plébiscitée par un laboratoire reconnu, n’a pas de raison évidente de ne pas la prescrire. Ce que je veux dire, c’est qu’à un moment donné, un médecin pourrait être victime de la désinformation sans moyen de lutter contre…
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