Depuis un bon moment, j’avais prévu d’écrire sur la relativité de la notion de « désert médical » et d’éloignement du médecin. Je vais en profiter pour répondre sur ce point à la virulente tribune de Alain-Michel Ceretti, président de France assos, comportant des appels à la coercition des médecins, sur des arguments du genre, ils sont responsables « Qu’une personne âgée soit obligée d’attendre la venue d’un fils ou d’une nièce pour faire les 30 kilomètres qui la séparent de son généraliste ?
Alors, voici mon histoire de désert… et de sa relativité…
Il y a 3 ans de cela, j’ai été en charge d’une étude sur la prise en charge de patientes atteintes de cancer du sein.
Le temps que l’étude se termine, que ses conclusions en soient rédigées, que des directeurs partent et d’autres arrivent, la conjoncture avait voulu que pas mal de temps passât. Du coup, le travail a été transmis à l’INCA et n’a jamais été publié.
Je voudrais néanmoins que l’une des conclusions de l’étude, en ce qu’elle a un rapport avec la notion de « désert » médical, soit portée à la connaissance de certains lecteurs intéressés, car elle apporte une lumière sur la notion du rapport distance/temps séparant un patient de son médecin.
L’étude n’avait pas lieu dans ce que l’on a coutume d’appeler « désert » médical. Elle concernait 550 patientes résidant exclusivement dans un des départements d’Ile de France (75,91,92, 93, 94, 95, 77), prises en charge pour leur cancer dans 10 établissements (publics, privés, CAC) répartis sur la région IDF. Les centres analysés étaient publics, privés, et CAC), et répartis sur Paris, banlieue, grande banlieue.
Le lieu de résidence de tous les patients de l’étude était connu (car un courrier de non-opposition leur avait été adressé, c’est le cas dans les études rétrospectives sur dossier). L’établissement dans lequel avait lieu la prise en charge cancérologique initiale était connu aussi.
Quand on sait ou habite quelqu’un et ou il se fait soigner, c’est facile de savoir combien de kilomètres il parcourt pour se rendre sur le lieu de soins. Avec un moteur de recherche type Mappy, on obtient plusieurs chemins pour se rendre d’un point à un autre, selon la circulation. Il y a une distance utilisable pour les comparaisons et les stat, c’est la plus courte en kilomètres. C’est cette distance qui a été retenue pour calculer l’éloignement habitation/lieu de soins.
Résultat: la distance moyenne entre le lieu d’habitation et l’établissement de prise en charge du cancer était de 11.5 kilomètres. La distance restait homogène que la prise en charge se fasse en banlieue ou dans le centre de Paris,
Ah, se disent les provinciaux, quelle chance ont donc ces franciliens… ils n’ont qu’en moyenne 11.5 kilomètres à faire pour aller chez le médecin faire soigner leur cancer Alors que nous, la grande ville avec le grand hôpital, ou le spécialiste, c’est loin, loin, loin, il nous faut donc réclamer des médecins chez nous, on ne veut pas se déplacer autant pour aller se faire soigner, ce n’est pas juste.
Oui, mais, il y a un gros mais…
La mais est le suivant : 11,5 kilomètres d’un francilien sont-ils équivalents à 11,5 km d’un provincial ? Autrement dit, combien de temps cela prend de faire 11.5 kilomètre en Ile de France ? Et en province ?
Les calculs de vitesse de déplacement en Ile de France ont été faits par ceux qui s’intéressent à la mesure des temps de déplacements domicile/travail. La vitesse de déplacement en région parisienne lorsque le trafic est fluide, est d’environ 30 km/heure au maximum. Cela peut descendre à 15 kilomètre/heure aux heures de pointe.
En 2013, le trajet moyen domicile/travail est de 14,7 kilomètres, en Ile de France, à peu près superposable à la distance parcourue dans le reste de la France. La réalité c’est que le francilien et le provincial ne vont pas mettre le même temps à faire ces mêmes kilomètres.
- Les franciliens, tous modes de déplacement confondus mettent entre 31 à 36 minutes pour faire les 14.7 kilomètres les séparant du travail.
- Tandis que dans le reste de la France, il faut seulement de 18 à 23 minutes pour parcourir une telle distance. (gain = pratiquement ¼ d’heure)
Maintenant que l’on a ces éléments on peut faire quelques règles de trois pour extrapoler ce rapport distance/temps au trajet moyen entre domicile et lieu de soins (calculé, je le rappelle, dans l’étude à 11.5 kilomètres)
- Si un francilien met 31 à 36 minutes pour faire 14.7 kilomètres de chez lui au boulot, il mettra 24 à 28 minutes (tous moyens de transports confondus) pour parcourir les 11.5 kilomètres le séparant de son lieu de prise en charge médicale.
- Pendant ce même temps, un provincial qui devrait faire de la route pour aller se faire soigner, aura effectué (en roulant à 70 à l’heure) 28 à 32 kilomètres pour se rendre dans l’établissement de traitement du cancer.
On voit donc que pour un même budget temps, le budget kilométrique sera différent. Et c’est ainsi que la notion de désert prend une certaine relativité. Etre à quelques stations de métro parisien, c’est parfois être aussi loin de sa destination qu’avec 30 kilomètres en voiture en province par une route sans encombrement.
Il est important de se rappeler la définition de l’accessibilité:
L’accessibilité d’un lieu en géographie peut être définie comme la plus ou moins grande facilité avec laquelle on peut atteindre ce lieu à partir d’un ou plusieurs autres lieux, par un ou des individus empruntant un ou plusieurs modes de transport (Chapelon, 2004). Cette « facilité » est mesurée par une distance évaluée en unités de longueur – l’intervalle à franchir entre deux lieux – mais aussi le plus souvent sous la forme d’un couplet distance-temps pour se rendre d’un lieu à un autre
Malgré l’offre de soins abondante, et la moindre distance en nombre de kilomètres, les calculs ci-dessus montrent qu’un francilien est souvent aussi éloigné de son lieu de soin en terme de temps de transport que l’est un patient provincial.
La notion de désert médical est donc à revoir. Ce n’est pas un éloignement seulement géographique, mais un couple distance/temps passé à parcourir la distance, qu’il faudrait prendre en compte. Aller au village d’à côté situé à quelques kilomètres n’est pas forcément pire que de devoir se déplacer en région parisienne. Et qu’on n’invoque pas les vieux des déserts et leurs arthroses qui ne peuvent y aller seuls. Allez conduire à Paris quand vous êtes vieux, et qu’il est impossible de se garer, et de rentrer sa voiture dans l’hôpital. Allez prendre le métro, ou même le bus, quand vous avez un handicap physique ou du mal à marcher. Ça se vaut. Inutile à certains, comme par exemple Alain-Michel Ceretti, président de France assos, de vouloir créer de la coercition en appelant à la pitié dans une tribune sorte de harangue irrespectueuse, comportant des phrases de style « Qu’une personne âgée soit obligée d’attendre la venue d’un fils ou d’une nièce pour faire les 30 kilomètres qui la séparent de son généraliste ? . En Ile de France autant qu’ailleurs, il faut un accompagnant pour les personnes âgées. En Ile de France, comme dans le reste de la France, il faut du temps de transport pour aller se soigner. En matière de désert médical, l’éloignement géographique n’est certainement pas le bon critère de jugement. C’est le temps consacré à s’y rendre qui est le paramètre le plus important.
Et quand le temps consacré à se rendre dans un lieu de soin est amplifié par la difficulté à trouver un moyen de transport ? Les taxis sont rares, voire inexistants, en milieu rural, pour une personne seule (je n’ai pas dit âgée) et sans autre moyen de locomotion. Les VSL ne sont accordés qu’en portion congrue, voire refusés.
Il fallait 90 minutes à mon fils, atteint d’un cancer de la moelle épinière, pour se rendre dans l’hôpital d’oncologie qui le prenait en charge (Léon Bérard, à Lyon). Des urgences vitales, nous en avons connues. 90 minutes + le temps que l’ambulance puisse arriver à la maison. Mais il n’est plus là pour en témoigner. Et je ne vis pas dans une zone « déclarée désert médical ».
Une amie, en Vendée, n’a certes que 30 km à parcourir pour atteindre le lieu des soins de son fils (tumeur au cerveau), mais a besoin d’une matinée pour obtenir un transport conventionnel. Elle, elle demeure dans ce qui est étiqueté « désert médical ».
Bien cordialement.
Martine Crasez (Isère)
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Tout le monde vous comprend, et ne peut qu’être d’accord avec vous : les difficultés d’accès aux soins sont d’autant plus inacceptables que la situation des patients est grave. Cependant, en toute logique, la question que vous posez est : « comment remédier aux problèmes de transport vers les centres de soins ? » plutôt que « comment avoir des centres anticancéreux à moins de 10 km de chaque foyer ? ». Par conséquent la notion de « désert médical » n’est pas loin de promouvoir l’idée fallacieuse selon laquelle les médecins (par leur répartition) sont responsables des difficultés vécues par les Français, alors que la réalité vécue par le milieu médical et leurs patients indique aussi des responsabilités dans l’organisation des transports, dont les médecins n’ont pas la charge.
Il existe, bien sur, des parties du territoire français insuffisamment dotées en médecins. Fréquemment d’autres services (dont les services publiques) y sont également insuffisants. Plutôt que de débattre sur la meilleure façon à contraindre les médecins à s’installer, contre leur gré, dans ces endroits déshérités, nous devrions débattre sur les priorités de répartition des budgets nationaux, et de l’efficience de l’organisation de l’Etat.
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