Ce patient a 35 ans, il est maçon, pas le genre à s’écouter.
Depuis 2 semaines, ça va pas. Douleurs dans le ventre, pas faim, fatigue. Il a perdu 7 kilos ! Il est venu 2 fois aux urgences. Il ne l’ont manifestement pas pris au sérieux, parce que n’importe quel gargouilleur douloureux qui fait authentique bénéficie aussitôt d’un scanner, et lui, il n’a rien eu ! Pas même une échographie , finalement demandée par son médecin traitant, et qu’il apporte Mardi. Celle ci montre curieusement un gros foie, mais surtout une grosse rate, ce qui n’est jamais normal.
J’ai des résultats biologiques. Il n’a pas de leucémie, premier diagnostic qui vient à l’esprit. Il n’a aucune inflammation, pas d’anémie, rien à se mettre sous la dent… rien ? si en fait, les enzymes hépatiques prélevées lors des 2 passages aux urgences sont légèrement augmentées. 2 fois la normale, pas plus.
J’étais acculée à la réflexion avec ces éléments. Il fallait absolument que j’ai des idées valables, car l’état du patient était franchement préoccupant. J’ai tout d’abord hésité à lui faire un scanner abdominal en urgence, et aussi à le faire hospitaliser. Mais devant un examen clinique totalement normal , je me suis rabattue sur des diagnostics plus simples.. en particulier une banale hépatite virale. Banale, ou pas banale, il y a en effet des hépatites classiques, A, B, C, mais aussi bien d’autres virus susceptibles de donner des hépatites.
Ce matin, forte pression du patient, de sa famille, et de son médecin traitant. Ca ne va pas mieux, mais qu’est ce qu’il a donc ? Quoi, comment, venu 2 fois aux urgences, une fois chez le gastro et toujours pas de diagnostic. Intolérable pour lui , idem pour sa femme, et le médecin est en train de remettre en cause l’ensemble du corps médical, et de s’énerver sous cette pression familiale pesante.
Il revient ce matin dans l’idée que je dois absolument avancer dans le diagnostic, et moi, je m’interroge. Que vais bien lui faire de plus… Merci au dossier partagé d’établissement, car un simple clic suffit à trouver les résultats
des prises de sang de hier. Je les découvre d’ailleurs en direct avec sa généraliste, justement en ligne avec moi à son propos.C’est bien une hépatite « virale », en l’occurence, une hépatite à CMV (cytomégalovirus). Il a maintenant vraiment une hépatite, avec des transaminases à 10 fois la normale – ce qui reste modérée, en cas d’hépatite A, ce serait 50 ou 100 fois plus –
C’est le vrai plaisir médical. D’abord trouver, faire un beau diagnostic. Le diagnostic est d’autant plus beau que la pathologie est assez peu grave. Le diagnostic est d’autant plus beau qu’il permet d’y rattacher tous les symptômes présentés par le patient, dans un cadre uniciste, ce que le médecin apprécie. On n’aime pas trop quand il on trouve 2 pathologies simultanées, et même on n’y croit alors guère. Le but c’est un seul diagnostic qui regroupe tout !
L’hépatite à CMV est rare. Généralement l’infection passe inaperçue, ou bien est prise pour autre chose. D’ailleurs son bébé en crêche a eu une éruption récemment prise pour une allergie, et sa femme a ensuite présenté la même chose. Probablement ont-ils eu tous les 2 une infection à CMV… Le pauvre papa a des manifestations plus rares, et bien cognées.. Malgré tout, bien qu’il soit au tapis, ce n’est pas grave, même si cela l’a mis par terre pour un moment !
Dans ce cas, alors que le malade nage en plein drame, en grand malaise, le médecin voit plus en avant, car il connait la bénignité, la guérison au final, et sait que le mauvais moment est incontournable. En plus pour cette pathologie, a part le repos, il n’y a vraiment rien à proposer au patient. Pas de traitement, un beau diagnostic puis laisser faire la nature.
Finalement, si le malade était un peu déçu de ne pas recevoir en même temps le diagnostic et la guérison, ce qu’il aurait espéré, il a été néanmoins soulagé de savoir enfin ce qu’il avait !
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