Arnaud, 32 ans, 2 grammes d’alcoolémie à 8 h du mat…

Premier rendez-vous, 8h30 du matin. Arnaud, 32 ans.

Dès l’instant ou  il me frôle en entrant dans le bureau, je me demande si je vais supporter une consultation entière avec lui. Si je m’écoutais, ma première réaction serait d’ouvrir au plus vite et largement les  fenêtres, même donnant  sur la nationale. Hélas la climatisation m’interdit à jamais cette entrée d’air.

Parce que l’Arnaud, il pue à plein nez, et il pue l’alcool pur. Dur, dur, juste après mon café.

L’Arnaud, il a été redirigé vers ma consultation, suite à son passage aux urgences il y a 48 heures. C’est un généraliste consulté pour la première fois qui l’avait dirigé vers les urgences. L’Arnaud, personne ne sait qu’en faire, c’est évident. Chacun tente de refiler le bébé.

Faut  dire qu’aux urgences avant-hier, à 14 heures, son taux d’alcoolémie était de 3,50 grammes.  A 8 heures ce  matin, et au pifomètre odoriférant on est déjà à un bon 2 grammes. Sauf que l’Arnaud, il m’assure qu’il n’a pas bu ce matin. Ben si c’est un reste d’hier soir, son alcoomètre devait faire geyser.

Son foie est tellement énorme qu’il touche presque ses hanches en bas, pas étonnant qu’il se plaigne de mal au ventre. Les examens réalisés aux urgences (vive les dossiers partagés d’établissement) , me révèlent l’étendue des dégâts. Hépatite alcoolique aigue sévère, insuffisance hépatique.

Bof, un grand séjour en milieux hospitaliers  serait bien pour toi, Arnaud, avant la décompensation de tout ça et la greffe en urgence…

Mais l’Arnaud ne l’entend pas de cette oreille. Et même ses oreilles, à se demander si elles sont inondées par l’alcool. Je ne sais s’il entend, mais en tous cas, il est pas bavard. Répond pas aux questions ni aux suggestions, ou par quelques grognements sans signification évidente. A part marmonner qu’il ne boit pas, ce que personne ne croira jamais, il n’est pas un grand communicant.

Parait qu’il bosse, me dit-il. Serait animateur en centre de loisirs le mercredi. Humm. S’il y a un employeur capable de confier des mômes à un mec qui sniffe l’alcool comme ça, faut lui déléguer une visite de quelqu’un de sensé. Question prise en charge sociale, la situation est surprenante. L’Arnaud n’a évidemment pas de carte vitale sur lui, mais par contre il a un papier tout frais de la sécu. Et la, à peine  croyable, pas de CMU. D’où tient- il des revenus en travaillant un seul  jour par semaine ? ou il habite ? seul, me dit-il. Sa famille s’occupe de lui ? réponse oui.. mais je n’en saurais pas plus.

Cherchons le positif de ce misérable tableau. Le positif, c’est qu’il a fait une démarche suivie. Il est venu chez un médecin, puis aux urgences, puis me voir. Par contre, l’hospitalisation, c’est non. Je ne peux pas contraindre, mais il va falloir trouver les mots pour le faire vaciller dans son immobilisme insensé.

L’arme suprême, c’est celle qu’utilisait en dernier recours mon patron normand, grand spécialiste des alcooliques. Pas d’engueulades, qui ne génèrent que blocage et incompréhension. Une question : est ce que vous avez du temps libre en ce moment ? si oui, je vous conseille un truc : allez acheter une pelle, et creusez dans un coin du cimetière… vous devriez rapidement avoir besoin du trou si vous continuez comme ça…

Une fois ça dit, j’ai décidé de faire une restitution de sa compréhension. J’ai dit quoi, là ? surprise, il avait intégré la menace. Vous m’avez dit que je pouvais mourir si je continue comme ça. Bravo ! On vous hospitalise alors ? Euh…non, pas de suite, persévère l’Arnaud .

Ne pas gueuler, ne pas le traiter de tous les noms d’oiseaux, au risque de bloquer la relation. C’est fondamentalement à ce moment la, à 8h45, dans l’odeur pestilentielle dégagée par Arnaud, que je me suis rappelée mon rôle fondamental : je suis la pour l’aider, pas pour l’engueuler, et comment faire ?

Ouvrir une porte, c’est l’idée qui m’est venue. Vous ne voulez pas vous  faire hospitaliser ? mais dans l’état que vous êtes, et sans examens supplémentaires, je ne peux pas vous  donner le traitement corticoide qui arrangerait (un peu)  votre  foie. Je vous  propose donc  un marché : voici mon numéro de téléphone, appelez dès que vous êtes décidé à accepter l’hospitalisation, et je vous trouve un lit au plus vite.

C’est le maximum que je peux faire pour vous ce matin.  Ne pas vous renvoyer brutalement à votre bouteille, vous ouvrir une porte.

Cet après midi, sa mère m’a  téléphoné. Elle était inquiète, d’autant que son fils n’explique rien, m’a-t-elle assuré. Je l’ai crue! . Mais elle m’a dit aussi un truc qui m’a fait plaisir : il lui avait parlé de me téléphoner et d’accepter de se faire hospitaliser.

Bien sur, il n’a pas fait la démarche. Pas encore, mais…

Allez Arnaud, réfléchis vite, parce que ta vie est en danger grave…  

 

bouteille.jpg

2 commentaires sur “Arnaud, 32 ans, 2 grammes d’alcoolémie à 8 h du mat…

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    1. Merci de ce très gentil commentaire, il me touche beaucoup. L’Arnaud a fini par accepter une hospitalisation de quelques jours, au cours de laquelle il a été plein de bonnes résolutions.. cependant il n’a pas repris rendez-vous au décours comme prévu, ce qui laisse craindre la faiblesse de ses résolutions. Je ferai un article sur le blog dès que je le revois en consultation, promis.

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