Ce texte est écrit à la suite d’un échange sur twitter à propos des médecins malades qui ne peuvent s’arrêter de travailler. J’avais promis un texte issu de la réalité, le voici donc
Le début de cette histoire vraie est une petite gêne dans le sein, au milieu d’un champ de traumatisme. Tiens… coïncidence… Je rédige cette histoire pile 10 ans après l’évènement, et par le hasard d’une twitt-discussion autour des maladies de médecins.
J’ai lu avec intérêt le post de dzb sur notre sujet link. C’est très bien écrit, néanmoins je remarque qu’ il ne se voit pas malade, en fait. Il a sublimé une maladie, en a fait un épisode de temps suspendu et irréel entre une vie qui continue sans presque changer, et qui ne veut pas s’arrêter, puis il s’est vu d’emblée mort.
En pratique, je tire de mon expérience personnelle de la maladie et de la survie qui a suivi, une idée peut-être surprenante. S’il n’est pas bien d’être malade, parce qu’on préfère rester en santé, il est heureux de pouvoir dire qu’on « a été » malade. Cela traduit que la maladie, même grave, n’est pas venue à bout de votre vie. Et que vous avez toujours la vie, même si la vie après la maladie est forcément différente de la vie d’avant.
Dans ce post, nous sommes censés parler de la difficulté pour le médecin de s’arrêter de travailler. Rien de plus exact. D’où vient cette tradition qu’un médecin, même malade, ne doit pas stopper son activité ?. Serait-ce une conviction en partie née de l’observation de nos patients qui nous démontre que l’inactivité est plus souvent délétère que bénéfique, rien que pour le moral. Que la maladie quand elle est peu sévère comme le problème occulaire de l’amie Fluorette, on doit être fort, et faire comme si de rien. L’image du héros médical qui investit toute son énergie dans le soin des autres, qui se dépense sans compter pour les humains, au dela des tempêtes et des aléas de tous acabits, puis survit toujours à l’épidémie… est une image fortement ancrée dans l’imaginaire médical, encore au 21ème siècle.
Quand même, ce mardi de fin d’année il y a 10 ans, je me débattais dans les suites illogiques et irrémédiables d’un accident vasculaire survenu chez mon mari quelques mois avant. Equilibriste depuis des mois, entre le boulot, les enfants, son aphasie sévère, et son entreprise à liquider. Du 36 heures sur 24, vive l’insomnie.
La petite douleur au sein s’insinuant, la mémoire de ma dernière mammo pourtant récente s’étant estompée (heureusement, sinon je n’aurais pas fait de contrôle !), ce mardi matin me conduisit chez un radiologue réputé sur la place de Paris.
10 ans, c’est trop court pour estomper la saloperie d’un médecin qui vous balance en pleine tronche un diagnostic de cancer, comme il l’a fait, alors que, cher confrère, et il le sait, vous êtes à poil dans un local sinistre. Quand je me suis exclamée : « oh, mais ce n’est pas possible que cela m’arrive, avec tous les ennuis que nous avons déjà », il m’a vertement rétorqué : mais Madame, vous savez bien que les ennuis, ça ne s’arrête jamais ! Ineffaçable pour toujours … depuis, je suis devenue formateur en consultation d’annonce, avis aux amateurs.
Vous, si vous n’êtes pas médecin, et à 10 heures 30 du matin, on vous a annoncé un truc comme ça … que feriez-vous ?
Et un médecin, que fait-elle ? elle monte dans sa voiture, rejoint son cabinet … et consulte comme si de rien n’était. Puis le bilan, La ponction biopsie, le bilan d’extension, les consultations, une matinée maxi à chaque fois. Le rendez-vous chez le chirurgien, puis retour à la consult juste retardée d’une heure ou 2. Quand on passa aux choses plus sérieuses, heureusement ce ne fut que de la chirurgie. Mutilante et suivie d’une reconstruction. Comme tout médecin, hospitalisations au moment des vacances, bien sur. Donc Noël à l’hôpital, puis Pâques. Le moins de temps d’arrêt possible. Ne pas contredire les patients qui vous voient avec une épaule coincée et croient que vous avez été opérée de l’épaule. Si vous leur dites de quoi vous êtes vraiment malade, cela les perturbe. Perte de confiance (un médecin ne peut pas être malade, et s’il est malade c’est forcément qu’il n’est pas un bon docteur), impatience (je suis la pour me plaindre, pas pour entendre le médecin se plaindre aussi), incrédulité (quoi, un médecin n’est pas protégé de la maladie ?). Faire attention aussi aux confrères, qui font comme si de rien n’était, et se gardent généralement de vous demander de vos nouvelles (par pudeur, disent ils après, par couardise, j’estime plutôt). Ce n’est qu’en fin de parcours, pour la troisième et dernière intervention, programmée pour le Noël suivant, que je suis devenue enfin raisonnable. Intervention le 11 décembre et pas le 21 ! , les fêtes en famille cette fois, et le luxe de 3 semaines d’arrêt de travail.
Nous avions évoqué avec dzb et fluorette la question des finances. Notre caisse ne couvre en effet l’arrêt de travail qu’à partir du troisième mois. Aucune profession libérale ne bénéficie d’une prise en charge en arrêt de travail, ce n’est pas spécifique du corps médical. En pratique, pour que cette question ne soit pas une souffrance et un frein à la prise en charge de la maladie grave d’un médecin, une assurance personnelle couvrant les 3 mois de carence en cas d’arrêt est indispensable. Elle commence au 15è jour en cas de maladie, et au premier jour en cas d’hospitalisation de plus de 4 ou 5 jours. Même si cela apparait comme un investissement à 30 ans au moment de l’installation, sur un budget qui n’est pas énorme, c’est INDISPENSABLE, et indispensable de la prendre très tôt, quitte à la faire évoluer en taux de prise en charge quand le revenu augmente. Parce que si vous attendez trop pour prendre ce genre de couverture personnelle, l’assurance exclut toutes les pathologies que vous avez eues antérieurement. Donc, les petits jeunes, twittez, écrivez, mais prenez une assurance personnelle arrêt de travail invalidité +++
Parce que la maladie n’épargne pas toujours les médecins. Parce que c’est vrai qu’ils sont alors seuls, démunis, mal entourés par des personnes qui ne savent pas que faire devant un médecin malade. Et puis quand vous êtes même seulement un peu malades, mais vraiment fatigué, avec des yeux qui piquent et qui vous font souffrir, sachez aussi que les patients vont survivre si vous arrêtez de bosser quelques jours, et que cela fera frissonner votre revenu, mais qu’on s’en remet. Il faut parfois savoir s’écouter, les médecins passent leurs journées à écouter les autres, mais pour nous médecins, le plus difficile, c’est qu’on a l’impression que personne ne nous écoute quand c’est notre tour de se plaindre. Alors, on fait comme si de rien n’était, on continue à s’occuper des autres, et on étouffe nos émotions…
Et c’est pour ça que je me paye une thyroidite qui ne veut pas se calmer. Que tous les matins je pars épuisée au boulot en me disant que ça ira mieux. Mais je n’ose pas fermer. Je suis le seul revenu de la maison…..
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Pas plus simple pour nos compagnes. L’anapath qui part chez le Dr Galipot au lieu de Galipette, le coup de téléphone qui annonce le carcinome infiltrant, assurer les rendez-vous pendant que Madame est au bloc, et les patients « tiens, vous n’avez pas de secrétaire aujourd »hui », Madame est aussi conjoint collaborateur. Retrouver dans la chambre de ma douce, une patiente qui m’avait plaqué depuis 10 ans et qui dit « vous êtes aussi là pour le paquet cadeau » . Point positif : Ne trouver que des médecins gamines, mais hyper-compétentes et humaines et pas pressées. Ensuite faire ses séances de radiothérapie et revenir travailler, ça va, on n’est pas trop loin du CHU, et continuer à sourire et dire que tout va bien. Tout va bien .
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Bonjour, La maladie est guéri en fonction du soutien moral et affectif qui entoure le malade. Et parfois il existe des situations difficiles.
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