2 articles en quelques jours sur le journal le Quotidien du Médecin, questionnent à propos de l’expression médicale sur le net via les blogs et Twitter: quels sont les visages des médecins blogueurs? .
Cela m’a donné l’idée de tenter une réponse.
L’anonymat des médecins blogueurs
Tout procédé direct ou indirect de publicité étant interdit aux médecins, cet article 19 du CSP est ancré dans leur esprit. De ce fait, une petite partie des médecins s’identifie sur le net. La majorité reste anonyme. Ces anonymes fournissent quelques indications sur leur pratique, leur lieu et mode d’exercice. En cherchant, on pourrait trouver, mais les lecteurs papillonnent, viennent seulement lire un article, partager un vécu ou un ressenti, et ne cherchent souvent pas à en connaitre plus sur l’auteur.
Nul ne sait au juste qui sont ces médecins blogueurs et/ou twittos. Il semble y avoir une majorité de généralistes ; plutôt des jeunes praticiens. Normal, ils sont plus familiers du net, c’est peut-être la seule raison. En tous cas, leur spécialité est toujours connue, quand bien même leur nom et leur région ne l’est pas.
Cet anonymat agace, et certains voudraient que les médecins décidant de s’exprimer sur le net déposent leurs pseudos au conseil de l’ordre, afin que l’on sache qui ils sont réellement. Etonnant !
Pourquoi les médecins créent-ils un blog
Pourquoi créent-ils un blog ? A mon sens, la démarche menant à la création d’un blog est probablement plus d’ordre individuel. Faire un blog n’est pas un acte irréfléchi, c’est souvent l’aboutissement d’une lente maturation. On a tout d’abord envie d’écrire pour soi-même. Pour partager un quotidien. Pour dire, et peut-être se convaincre en le disant qu’on aime ce métier de médecin, Pour se convaincre de la valeur des études si difficiles, pour parler à froid des émotions de la découverte hospitalière et de l’approche de la vie des gens qui souffrent. Ecrire est une façon d’externaliser ses pensées, de mûrir sa réflexion, et de prendre de la distance. En racontant, le médecin peut dédramatiser, regarder sous un autre angle un évènement qui le touche. Au début, certains commencent directement à raconter des histoires médicales, certains évoquent des sujets extra-médicaux, certains disent qu’ils sont médecins, certains ne le disent pas tout de suite. Il reste qu’il est pratiquement impossible de ne pas dire qu’on est médecin sur un blog, parce qu’une grande partie de ce que l’on veut raconter tourne autour de sujets professionnels.
De toutes manières, au commencement, à moins d’en avoir prévenu ses amis, le blog n’est pas connu. Alors le médecin blogueur n’a pas conscience de l’écho de ses écrits. Intuitivement, il sait bien qu’il y a des visiteurs qui viendront lire, et auront des réactions. Ce qu’il ne pressent pas, c’est que le fait d’être médecin est un élément d’audience.
Qui les lit
Les médecins sur le net sont un puissant vecteur de lien entre le mystère de la médecine et les patients.
Ils sont lus par leurs confrères. Les réactions sont nombreuses. Soit qu’ils se reconnaissent dans l’écrit du jour, et alors ils sont pressés de le commenter, soulagés de voir chez les autres les mêmes interrogations, doutes, impatiences, agacements… Soit ils ne sont pas de l’avis exprimés, et ils viennent aussi le dire en commentant parfois violemment.
Les patients sont aussi friands de la lecture des blogs médicaux. En premier, parce que ces blogs lèvent un pan de voile sur l’intimité d’une consultation, ensuite parce qu’ils révèlent les émotions des médecins. Aussi parce que la rédaction romance ces rencontres intimes qui concernent et intriguent. Les petites scènes de consultation, d’urgence, de garde, ouvrent un regard intimiste aux patients, toujours en recherche de percer le mystère de ces personnages si savants, détenteurs d’un pouvoir de vie et de mort sur leur santé.
L’audience
Elle est au rendez-vous. Les médecins sont tellement en ligne de mire, que leurs interventions sur le net sont relayées par la presse, par les médias, jusqu’à la ministre. Il ne faut pas en déduire que ceux qui écrivent représentent un courant de pensée. Par exemple, le manifeste des 24 médecins blogueurs est un intéressant sujet de réflexion. Mais il mériterait discussion et digestion. De plus en plus, sachant combien le support du net lui apportera de l’audience, les médecins s’en servent. Les médecins pigeons, à la défense des honoraires libres, les pro et les anti, et tous les avis s’expriment sur les honoraires, les déserts médicaux, les mutuelles. Dernière idée, les étudiants en médecine qui proposent soudain la géniale idée d’envoyer des vieux médecins dans les campagnes à la place des jeunes. #désert médical est un mot clé porteur de ralliement, propre à faire venir les lecteurs. Et comme les médecins écrivent bien, ils peuvent ainsi s’adresser directement à Mme T, à Mr H. Ils savent qu’ils seront relayés jusqu’aux sommets de l’état.
Médecins ou écrivains ?
Les médecins blogueurs sont avant tout des médecins à bonne plume. Ces écrivains-médecins traduisent en mots leur vécu, leurs émotions. Ces médecins ont parfois d’excellentes plumes, ce qui les conduit à être publiés pour de vrai.
Les médecins reçoivent et partagent beaucoup d’émotions avec leurs patients. Entre eux ils ne les extériorisent pas et les partagent peu, car les médecins sont censés être forts. Or leurs émotions sont partageables et partagées par nombre de confrères. Or leur trop plein d’émotions enfermées en eux est souvent pénible. Ecrire ou lire, cela dédramatise. Plein de médecins viennent sur les blogs, et se reconnaissent dans ce qui est écrit.
C’est en étant écrivains que les médecins arrivent à grignoter la notion du médecin tout puissant, arc-bouté sur son piédestal de supériorité médicale. Les médecins écrivent sur leurs blogs leurs doutes, leurs questionnements, leurs malades attachants, ou difficiles. Ils évoquent des diagnostics redoutables. Ils témoignent qu’être médecin c’est aussi et finalement un métier, et même si c’est un métier fantastique, c’est un métier dur.
La représentativité : Les médecins font-ils de la politique en écrivant ?
La question de la représentativité des médecins sur le net est paradoxale. Les innombrables blogs de cuisine, bien plus lus que les écrits médicaux, ne sont pas plus représentatifs de la cuisine française qu’un blog médical n’est représentatif de la médecine française. Le blog est par essence une démarche individuelle de la part d’une personne qui a envie d’être lue.
Les médecins n’ont certainement pas créé un blog ou pris un pseudo sur twitter pour représenter le corps médical. En tous cas au début. En revanche, ils apprennent au fur et à mesure que c’est en forgeant que l’on devient forgeron. C’est donc en écrivant sur la médecine que l’on se rend compte que d’autres ont envie de vous lire, et de réfléchir autour de ce que vous avez écrit, qu’ils soient d’accord ou pas. Le médecin blogueur réalise rapidement qu’il est assez représentatif de la vie quotidienne d’une partie du corps médical. Par contre, politiquement, souvent, seul le hasard de certains écrits bien écrits, et dans un blog bien visible, puis relayé par d’autres, le propulse sur le devant de la scène.
La « communauté médicale »
De plus en plus, en tous domaines, la parole d’un individu est reprise par les médias comme représentative de « la » pensée d’un groupe. Au moindre évènement, les journalistes vont questionner les riverains. Il en va de même avec les médecins. La pensée de l’un est censée être le miroir d’une communauté. Penser les médecins blogueurs comme représentatifs du corps médical est un raccourci qui (à mon avis) n’a pas lieu d’être. Surtout qu’il n’y a pas plus individualistes que les médecins. Individualistes, susceptibles, parfois ne supportant pas les discours qui ne vont pas dans le sens de leur opinion. Il faut avoir conscience que même sur le net, il y a des clans. Et il y aussi de la place, sans garde-fou pour des personnes persuadées de détenir des vérités que d’autres n’ont pas. Convaincus que leurs confrères sont dans l’erreur de ne pas écouter leurs avis dissidents. Il y a sur le net, comme partout, des médecins qui crient au loup dès que l’on ne va pas dans leur sens. Dans certains cas, les discussions sur des sujets polémiques sont très virulentes. L’écrit libère des arguments que l’on n’oserait pas se balancer à la figure In real life.
La maladie
Certains médecins ont été malades et cela leur a donné envie de parler. Certains pensent qu’un médecin malade ou ancien malade n’a pas une parole neutre, aveuglé par la maladie. D’autres à l’inversent pensent que la proximité de la maladie est une expérience enrichissante pour un médecin.
Certains soignants viennent aussi sur le net pour exprimer de manière différente leur malaise. Voire pour essayer d’y trouver un remède. Révéler ses doutes, ses incertitudes, ses inquiétudes, ses succès, est une manière détournée de se faire aider. La profession de médecin a un fort taux de suicide. On sait à quel point les soignants sont mal entourés psychologiquement. C’est le cas de ce psychologue breton, dont le blog avait un succès justifié par la qualité de ses écrits, qui a publié plusieurs livres, et dont le suicide a été annoncé par ses proches sur son blog cette année.
Ou trouvent-ils le temps d’écrire ?
Ecrire prend du temps, c’est certain. Il semble que certains médecins dorment moins que d’autres. Est-ce l’angoisse qui les tient éveillés et les pousse à écrire ? est-ce l’envie d’être lus ? d’où vient ce besoin de raconter, de se raconter ?
Très intéressant, bien vu 😉
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Je suis très contente de lire que vous avez apprécié ce texte, Mr Lehmann !
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maman des poissons @maman_poissons @crisetchuchote Probablement assez juste. En tout cas très bien écrit. dzb17 Interessant, à lire RT@crisetchuchote: Les mystérieux médecins blogueurs Kath. @crisetchuchote trés bien écrit et interessant Bianca @crisetchuchote 🙂 Doc ArnicaRT: “@crisetchuchote: Les mystérieux médecins blogueurs http://0z.fr/O9_Ja ” Texte remarquable de justesse.
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Bravo pour votre analyse si juste et pertinente. Moi, je viens lire mes confrères et les commentaires parce que cela m’aide tout simplement , souvent à apprendre des infos , à appréhender une autre manière de réfléchir et à ne pas me sentir seule dans mes doutes. Et je n’ai toujours pas passer le cap, j’écris toujours à l’encre sur des cahiers ,de la fiction ou du vécu personnel…En tout cas , merci à tous et toutes à travers vous ML
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Merci de ce gentil commentaire. Un jour peut-être remplacerez vous la plume et l’encre par le clavier, dans tous les cas écrire permet d’avancer. Par contre, dès lors que l’on fait savoir que l’on est médecin, on n’écrit plus aussi librement que pour soi même. Mais les échanges sont tout de même fructueux pour avancer. M
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Un article très intéressant, Merci
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« Ecrire pour être lu » certes, mais n’est-ce pas aussi pour être compris?
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