Consultations qui s’enchainent, malades chroniques que l’on n’a pas le temps d’écouter et de prendre en charge globale, interruptions téléphoniques itératives, piles de courriers, de papiers à remplir, tracasseries administratives multipliant les documents à compléter. C’est la vie du médecin de ville français. Auxquelles on ajoutera pour les médecins hospitaliers, les multiples commissions obligatoires, les contraintes horaires incompressibles des blocs, la charge des patients hospitalisés à gérer, les pages de documents à fournir avant un acte technique, les innombrables informations à donner, et on en passe.
Avec tout ça sur le dos, ou est le temps pour écouter les patients ? Il est plus rapide et facile de classer dans la case « psychosomatique » ceux qui ont des plaintes insolites ou récurrentes. Les malades chroniques venant chercher une écoute repartent frustrés par des temps de dialogue écourtés, entrecoupés d’appels téléphoniques et de préoccupations organisationnelles, papiers à remplir, rendez-vous à gérer. Les malades poly-pathologiques sont traités au coup par coup, se voyant ajouter de ci- de la un médicament additionné à une liste déjà longue. Pour raccourcir la liste des médicaments, il faudrait du temps, afin de réévaluer les indications puis expliquer.
Une journée de consultation, c’est du travail à la chaine. Les patients se sentent par trop déconsidérés par le corps médical… mais sont loin d’imaginer à quel point les médecins ressentent leur propre déshumanisation. On demande aux médecins d’être efficaces, scientifiques, humains, de faire tout ce qu’on attend d’eux, de faire toujours plus, de rendre service à tous, de ne jamais dire non, d’accéder rapidement à toutes les demandes, d’être disponibles jour, nuits, week-ends et vacances, d’être partout, y compris ou il n’y a plus de poste, de magasin, d’école.
A force d’être au service de la santé des autres, d’assumer un nombre croissant de devoirs tant médicaux qu’extra-médicaux, d’avoir l’obligation faire toujours mieux et plus vite pour des gens qui trouvent tout effort de la part du médecin normal et considèrent le dévouement médical comme un du, les médecins se désillusionnent sur le métier qu’ils ont choisi. Certains d’entre eux en arrivent à penser que toutes ces injonctions constituent d’une certaine manière une forme de servitude.
Il faut comprendre qu’on ne peut pas avoir l’esprit libre pour s’intéresser au patient quand on a perdu la liberté, quand on est sous contrôle standardisé et centralisé, quand on a le cerveau occupé par de multiples tâches bureaucratiques et organisationnelles. Et quand on se voit en permanence débouté du droit d’écouter ses propres besoins, sa fatigue physique et émotionnelle.
Une réforme sérieuse de la santé devrait prendre en compte le gaspillage de la ressource précieuse (et limitée) que constitue le temps médical. Comprendre qu’il n’est pas étonnant que les patients essayent de trouver ailleurs ce qu’ils espèrent de la relation de soins, car les médecins surchargés n’ont tout simplement pas le temps de les écouter. Comprendre que si les patients estiment que la relation de soin a une grande valeur pour eux, ils serait raisonnable de leur expliquer qu’ils seront obligés d’être prêts à payer pour obtenir ce qu’ils espèrent.
Une réforme sérieuse de la santé devrait prendre en compte une volonté politique de considérer le temps médical. De ne pas le dilapider dans les préoccupations administratives. De ne pas le dilapider en laissant chaque patient accéder comme il veut pour des soins pas forcément urgents.
Une réforme sérieuse de la santé devrait analyser les tâches qui se sont petit à petit accumulés sur les épaules des médecins, et y mettre de l’ordre. Médicament pas en stock : le pharmacien appelle le médecin. Problème de remboursement avec la sécu : le patient appelle le médecin. Télétransmission qui ne marche pas : appel du médecin, car la sécu a dit que c’était de sa faute. Pas d’infirmière ou de kiné disponible : appel du médecin. Résultats attendu sous 10 jours : appel du médecin tous les jours à partir du 5ème jour. Sortie d’hôpital : appel du médecin. Médicament ne marche pas comme espéré : appel du médecin. Jour ne convient pas pour un rendez-vous : annulation 10 minutes avant. Consultation chez le spécialiste : aucun document apporté. Départ en vacances imminent : demande de consultation urgente. Retour de vacances : demande de consultation urgente. Maladie en ALD, plan interminable à compléter par le médecin directement sur le site de la sécu. Et à l’hôpital ? pareil. Patient pas la, on demande au médecin pourquoi. Patient sort, seul le médecin peut et doit faire un bon de transport. Même s’il doit traverser tout l’hôpital pour cela.
Personne pour dire que cette liste de tâches extra-médicales (bien incomplète d’ailleurs) est une utilisation inappropriée du temps médical ? Personne pour comprendre qu’avec toutes ces charges sur les bras, comment le médecin pourrait- il toujours prendre le temps non seulement d’être à l’écoute, mais aussi de réfléchir sereinement. Car les diagnostics nécessitent l’activation des connaissances, ce qui ne saurait se faire quand de multiples interruptions viennent parasiter la réflexion.
Contrôler les dépenses de santé est obligatoire. Ce n’est pas en accablant le corps médical de tâches non médicales que cela se produira. Ce n’est pas en pensant que le médecin peut être plus « productif » que la qualité médicale sera assurée. Les tutelles en font leur devise, les patients le réclament: « le patient au centre du système de soins » . Mais la solution demandant au médecin de tout assumer pour cela n’est pas magique, au contraire, c’est une grave erreur politique. Associer ces 2 concepts, médecin et productivité, induit l’accablement du corps médical, et aboutit à obtenir l’effet inverse de ce qui était escompté. Le professionnalisme médical ne peut s’exprimer que dans la sérénité, et finalement, à l’heure actuelle, toutes les interférences dans la relation médecins-patients ont fini par mettre souvent le patient à l’arrière plan des priorités des médecins, et cela bien malgré eux, dont la volonté reste toujours de soigner au mieux.
Effectivement le temps du soin et de l’écoute se réduit à peau de chagrin. Une étude réalisée par la DRESS en 2006 montre que sur 55h de présence au cabinet, le MG n’en consacre que 35 à des activités cliniques. Ce ratio temps clinique/temps administratif s’est probablement aggravé depuis, avec les licenciements de secrétaires qui permettaient encore d’humaniser un minimum nos cabinets, progressivement remplacées ou non par des plateformes téléphoniques de gestion de RDV.
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En effet, il est grand temps de replacer le medecin au contact du patient. Assez de subir de dictat des qualiticiens et de leurs éniennes certifications dont les produits (fiches, formulaires et autres logiciels médicaux) polluent notre travail et nous rendent indisponibles auprès des patients et parasitent notre pensée. Je veux bien diriger une thèse ou participer à un travail évaluant l’utilisation de la ressource médicale. Car je crois que ce’st un peu au médecins à se défendre.
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