Au début, quand on a commencé à parler de « démarche qualité », les soignants y ont vraiment cru.
Le mot qualité leur parlait bien et la notion de démarche leur était familière.
Ils ont donc pris cela pour un moyen concerté d’amélioration de la qualité des soins
Ils ont pensé que les démarches médicalisées, la simplification et la protocolisation de la prise en charge, toutes actions susceptibles de générer un meilleur rapport qualité/dépenses, naitraient de la collaboration entre les administratifs et les médecins. Ils se sont investis avec motivation, participant sans relâche à nombre de réunions en sus de leur travail médical.
Longtemps aveuglée par la pensée unique que les soignants pouvaient s’impliquer dans la démarche qualité, je me rends à l’évidence. Ce que l’on avait pris il y a 10 ou 15 ans pour une méthodologie participative d’amélioration, tant de la qualité des soins que de l’exercice professionnel n’était en réalité qu’une façade destinée à injecter une dose de plus en plus puissante, voire létale, de contrôle financier.
La démarche médico-économique initiale abritait derrière son joli mur décoré de médicalisation, les balbutiements d’une gestion purement économico-financière du soin.
Petit à petit, de la notion de dépense, on est passé à la notion de dérapage des dépenses . Une idée directrice qui paralyse désormais la réflexion en matière de santé. Un concept exploitable à l’infini, opposable et opposé à la pratique médicale, tant les chiffres sont si facilement manipulables qu’il est tentant de céder à cette facilité.
Petit à petit, la place de la démarche médicalisée a fondu, laissant émerger la notion que la seule manière d’obtenir de vraies économies serait la contrainte et la privation de moyens.
La « démarche » qualité a opéré un glissement sémantique. De démarche qualité, elle est devenue « contrôle qualité ». Une sorte de police fiscale, gérée à tous échelons par les financeurs s’emploie à limiter les dépenses. La sécu prive de recettes les hôpitaux publics comme privés, l’ARS distribue parcimonieusement les subsides. Les gestionnaires hospitaliers publics restreignent les moyens des établissements afin de ne pas dépasser les montants alloués, les gestionnaires privés restreignent les moyens afin de de rémunérer les actionnaires. Le monde de la finance est en filigrane permanent de la médecine : les budgets des ARS, de la sécu, le financement des hôpitaux publics mais aussi les profits des groupes de santé, et des mutuelles
Afin de mieux contrôler ceux qui sont désignés comme les abuseurs de dépense, les gestionnaires sont devenus accros du contrôle, au point que les abuseurs ne sont surement pas ceux qu’ils croient. Ils ont créé des agences, empilé des strates de briques de contrôle. Petit à petit, les gestionnaires qualité deviennent les rois de la santé, de l’échelon le plus haut des ARS au barreau du bas, celui de l’établissement du coin, tous missionnés sur un objectif unique : dépenser moins, et une méthodologie non moins unique : encadrer et restreindre les soignants, considérés comme les uniques responsables de l’expansion des dépenses. Chaque étage de la fusée de contrôle a été soigneusement cloisonné, afin d’opacifier la compréhension et diminuer ainsi les velléités de savoir, de connaitre, de comprendre et d’échanger des informations. Le contrôle et le cloisonnement font désormais partie des superpouvoirs des dominants autocratiques de la politique de santé.
La seule vraie initiative médicale recevable dans un tel système de valeur est alors celle qui permet de mettre des croix dans les bonnes cases du qualiticien.
Plus aucun pouvoir médical n’est entre les mains des médecins et autres soignants. Le corps médical disparate, l’individualisme, les désaccords syndicaux, ont fait le lit de ce putch bureaucratique. Le pouvoir s’est déplacé. Désormais, les décisionnaires sont des cadres issus d’écoles de commerce et d’administration, ou bien d’anciens médecins retirés de longue date du soin mais se targuant d’une étiquette médicale, qui légitime leurs actions, indifférents aux profonds changements de la médecine depuis qu’ils ne l’exercent plus. Tous ces décideurs sont préoccupés de se mettre en valeur les uns les autres par de belles et vraies décisions de contrainte et de contrôle. Pendant qu’ils assistent à une réunion, ils sont capables de se dévisser le cou pour surveiller les participants entrant dans la salle voisine, tout en fronçant les sourcils, inquiets de la raison pour laquelle ils n’ont pas été informés ni conviés à l’autre réunion.
Tous ces gens qui réduisent la santé à des chiffres sont pourtant doués d’une vraie subtilité médiatique. Ils allèguent au grand public leur soit disant intérêt à la santé des malades. Ce prétexte recueille la bénédiction des patients, qui croient, parce qu’ils manquent d’informations objectives, que la restriction de financement va apporter un bénéfice pour leur santé, et leur porte-monnaie. Pauvres crédules qu’ils font, les patients, qui ne réalisent pas que cela leur coutera aussi cher qu’aux soignants. .
Bien sûr, dans un tel contexte de contrôle, les soignant de terrain sont parfois poliment écoutés, mais pas du tout entendus. On leur accorde, au mieux, un avis consultatif. Que ce soit dans leur établissement de santé ou dans les hautes sphères des tutelles et des syndicats, ils sont conviés à venir écouter religieusement les conclusions et décisions des gestionnaires, dont le leit-motiv immuable consiste à marteler : il faut diminuer les dépenses.
Partout, à tous niveaux, tous ont les yeux rivés sur la colonne des dépenses.
Ceux qui tiennent les manettes de la contrainte n’ont cure des patients, ni du soin. Ils agissent juste pour avoir la caution des soignants en mettant des noms en face de réunions le plus généralement improductives en terme d’amélioration des soins. Ils veulent programmer des chemins «cliniques » dont ils n’ont pas réfléchi ni d’où ils partent ni où ils veulent mener. Ils veulent désigner des pilotes juste par obligation de mettre un nom sur la ligne, des pilotes sans véhicule, sans essence, sans destination clairement définie. Comme un administratif ne peut pas ouvertement conduire une action médicalisée, il cherche à désigner des soignants pour piloter les actions qualité.
Le problème, c’est que les soignants sont de plus en plus occupés à faire la médecine et le soin. Et puis, ils ne sont pas idiots. Que leur a finalement apporté cette démarche qualité dans leur pratique quotidienne ? Quelques améliorations certainement, dans les débuts, mais actuellement bien plus de contraintes que de satisfactions professionnelles. Au nom de la qualité, ils se retrouvent à s’occuper des patients dans un environnement stresseur, sous une pression administrative constante et agressive.
Les valeurs partagées des médecins et des gestionnaires se sont dissoutes dans ce contrôle à haute pression. On se parle de moins en moins facilement, on partage de moins en moins de points de vue. En effet, à tout jamais, un gestionnaire n’a pas la même temporalité qu’un soignant. Le gestionnaire a une vision à court terme, allant de la fin du mois à la fin de l’exercice fiscal. Le soignant, lui, a une vision à long terme. Soigner est long, guérir parfois très long, accompagner se fait dans la durée. Le soignant aimerait parler d’amélioration de qualité médicale. Le soignant aimerait avoir une vraie vision transversale décloisonnée. Quand on lui parle d’effort financier, le soignant ne comprend pas pourquoi et admet encore moins que ce soit sur son dos qu’on doive le faire. Car la finance n’est pas son métier. En revanche, la notion d’effort, le soignant connait. Pour gérer la santé des gens toute la journée, il faut faire énormément d’efforts.
Les soignants, qu’ils soient médecins, ou paramédicaux, sont d’accord de réfléchir à un meilleur modèle économique. Mais en pratique, on les convie à des réunions, où la réflexion et le discernement médical n’ont pas leur place, et où la contrainte paralyse les réflexions. Pour mettre les bonnes croix dans les bonnes cases de l’accréditation tutélaire et financière, on demande seulement aux soignants de se conformer à ce que d’autres ont estimé comme étant les actions « bonnes ». Dans un cadre qui n’investit pas, ne se renouvelle pas, est sous-équipé, en retard sur le progrès, la notion du « bon » travail médical consiste en réalite à obtenir que les soignants se conforment à toutes les obligations médicales et surtout extramédicales que l’on attend d’eux. Mais cela n’a rien à voir avec la vision du « bon » travail médical, du point de vue du médecin ou de l’infirmière.
Il serait bien de faire évoluer le point de vue.. Des économies de fonctionnement sont possibles, tant dans les hôpitaux, qu’en ville. Sauf qu’économiser n’est pas synonyme d’asphyxier financièrement les producteurs de soin, ni d’additionner de nouveaux barreaux sur une interminable échelle administrative. Explorer et de mettre en œuvre d’autres solutions serait passionnant et surement porteur d’améliorations à la fois médicales et financières. Bien entendu, pour ce faire, il faudrait accepter des projets à long ou moyen terme.
Or, actuellement, la santé est dominée par un modèle unique, celui de la contrainte des dépenses à court terme. Les dépenses du jour et du lendemain. Comme si c’était la seule clé d’un meilleur fonctionnement du système de soins. Yaka limiter les dépenses, faukon y arrive comme ça, koikon fasse aux soignants, l’intendance suivra…
Et bien non, l’intendance ne semble pas suivre… nombre de soignants, médecins, infirmières, paramédicaux, en ont ras le bol.
Une sage décision du corps médical pourrait être de ne plus participer aux démarches qualité, tant que ces démarches seront seulement les façades d’un contrôle permanent, d’une gestion purement financière, tant que leur finalité ne sera pas à dominance médicale, tant qu’elle ne concourront pas à améliorer la qualité de travail des médecins et des infirmières, et par ricochet, la qualité de prise en charge des malades.
Dans votre structure vous avez eu droit au nouveau comité théodule dit le CREX (comité de retour d’expérience). A titre personnel , je pense que vous faites partiellement erreur . Je pense sincèrement que les gestionnaires pensent que les « Process » qualité peuvent améliorer la santé et que ces mêmes process par la standardisation permettent des économies d’ échelle avec un meilleur soin. Mais , une telle réflexion à des limites, la baisse des moyens a qualité constante est une position qui forcement biaisée dans le temps et l’espace. En outre déployer des moyens dans le « process » qualité peut nuire à la qualité elle-même en captant des moyens qui in fine manque pour l’objectif final ( c’est un peu quantique, on ne mesure rien on a un résultat, l’acte de mesurer modifie ce résultat mais à la baisse mais au moins on a un chiffre) . Je ne parle même pas de la majorité des évaluation qui ont une méthodologie scientifique digne de Picsou magazine En outre, l’Etat juridiquement donne « open bar » aux patients ( je ne suis pas contre) mais nous arrivons dans un système schizophrénique où les patients ont droit à tout et où nous avons plus d argent donc il ne faut surtout pas que les patients est droit à tout… ; la médecine française est la meilleure du monde , mais elle fait n’importe quoi donc vite de la qualité à toute les sauces ( pour exemple un comité par problème) , il manque des médecins mais ils seraient bon de les surcharger en travail administratif , il faut limiter les dépenses mais nous sommes les champions pour créer des dépenses administratives, il faut limiter le coût des traitements donc vite les génériques ( même si les génériques dit assimilables ne sont pas stricto sensu la même molécule) mais pour ne pas couler notre industrie pharmaceutique certaines molécules sont horriblement chères avec la bénédiction de l’Etat.
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J’ai un peu de mal à suivre votre raisonnement, merci néanmoins de vous intéresser au mien. Concernant le CREX, dans une clinique privée, les médecins n’y sont pas conviés. Les gestionnaires me semblent surtout champions dans leur mentalité commune, d’oublier que la seule et indispensable cheville ouvrière de l’hôpital, ce sont les médecins. Donc les gestionnaires pensent que leurs process peuvent améliorer plein de trucs, mais ils pensent cela par eux-mêmes et se placent de LEUR point de vue. Et à mon sens, progressivement, leur point de vue, leurs récriminations, leurs contraintes finissent pas aboutir à l’inverse de ce qu’ils ont voulu au départ. Trop de qualité tue la qualité.
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Je viens de me relire et moi aussi j’ai du mal à me suivre. Pour faire plus clair , je suis en accord à 90 % , je pense que la qualité est un leitmotiv pour contrôler les dépenses et tenir les médecins. Je pense seulement que pour nombre de gestionnaire, ils pensent bien faire pour la qualité des soins et ce même au niveau ministériel. là est mon bémol sur l’intentionnalité Toutefois , je souligne que le temps médical est cher et non extensible , si pour un chirurgien , il passe son temps au CLIN, CLAN ,CREX , CRUCQPC , CME ; il ne consulte pas , il n’opère pas donc la qualité administrative porte préjudice à la qualité réelle. En outre, il faut mettre en oeuvre des moyens financiers qui ne seront pas utilisé pour le soins. Enfin , il faut pour les administratifs des indicateurs. La participation du chirurgien à tous ces comités est tracé pour les ARS , l’indicateur sera donc bon s’i participe à toutes les réunions , pas la qualité réelle puisqu’il opéra moins ! enfin , je soulignais seulement que le ministère , l’Etat en fonction des sous-directions ou de l’urgence politique du moment ont des intentions très louable . Aujourd’hui c’est le Tiers-payant et de nouveau droit pour les patients , demain c’est 10 milliards économie à faire , après demain il faudra soutenir l’industrie pharmaceutique française etc… l’Etat est une girouette et le politique veut tout, tout de suite et ce même ce qui est antinomique. Il n’y a pas de que de mauvaises intentions ( Il en existe des mauvaises intentions, je vous rassure) , il y a aussi de l’incompétence et bien peu de courage politique , avec une touche de démagogie .
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