J’ai toujours voulu être médecin, d’aussi longtemps qu’il m’en souvienne.
J’imagine qu’une majorité de collègues, ont aussi, durant leurs études, ressenti un vrai enthousiasme, cette sorte de passion, la belle impression d’un métier gratifiant. Sans ce déclic, comment pourrait-on résister à la misère humaine croisée dès les premiers pas de l’apprentissage. Nul n’est prêt à ce qu’il verra, entendra, touchera, même s’il a souhaité devenir médecin. Nul ne peut le faire sans moments de passion
Longtemps, j’ai été convaincue que jamais ne me gagnerait l’agacement, ni l’énervement, ni le découragement. Convaincue que l’essentiel de ma vie professionnelle serait la relation de soin. Convaincue que c’était surement exagéré de parler autant des fameuses « tâches administratives ». Convaincue que les médecins étaient animés des mêmes ambitions et partageaient mon enthousiasme, convaincue de l’entente entre praticiens, et des beaux projets que les médecins pourraient mener ensemble.
Dans les études, quelques certitudes vacillent. La solitude et la peur font partie de l’expérience de l’interne confronté à ses premiers cas difficiles. Le lavage de cerveau des chefs qui laissent entendre à demi-mot qu’être surinvesti en temps de travail est la seule manière d’apprendre, et de réaliser ses projets et ses rêves professionnels.
Biberonnée à cet esclavage du « c’est contraignant, mais passionnant, mais ton avenir professionnel sera à la hauteur de tes espérances, et tu auras la chance d’exercer le métier et la spécialité que tu aimes ».
De cela, jeune, je n’ai pas douté.
Mais ça c’était avant.
Rien n’a changé dans ma vocation à être médecin. De plus, l’expérience m’a fait accumuler une somme de connaissances, et ce ne sera jamais fini, j’apprendrai toujours, jusqu’au dernier jour.
Mais quand je croise d’autres médecins, hors des staffs, cela fait longtemps que nous ne parlons plus de nos beaux cas, de nos malades intéressants. Révolue, l’époque ou notre cœur de métier était de soigner.
Parce que désormais, quand je croise d’autres médecins, nous parlons de nos préoccupations et des aléas de notre métier.
On parle de notre regret de voir se perdre la relation humaine. Des attentes des patients bien trop élevées par rapport à ce que l’on peut vraiment leur offrir. De leurs exigences de disponibilité médicale à la demande, de la fatigue que créée la permanente sur-sollicitation. On évoque l’impatience, les incivilités qui ont pénétré nos bureaux médicaux, les journées ou consulter est loin de la docte sérénité espérée, et les soirs où l’on rentre chez soi avec l’impression d’avoir mené des batailles.
Nous échangeons sur ces fameuses « tâches dites administratives ». Non seulement elles sont réelles, mais en plus leur volume augmente à vitesse supersonique. Les relations parfois compliquées avec les caisses et les tutelles et les directions d’établissement. Mais pas que… le temps méconnu et impalpable des troisièmes mi-temps des suivi des malades sortis très vite après la chirurgie ambulatoire, des résultats d’examens, des réponses aux innombrables questions par téléphone ou mail, des heures passées à trouver des lits d’hospitalisation ou de long séjour dans des filières de soins pas au point. Des rappels des patients, des courriers à lire, à dicter. Et j’en passe…
Nous échangeons beaucoup sur l’indigeste mayonnaise politico-sociale qui assaisonne chacun de nos jours et suscite bien des préoccupations. Faire partie d’une profession remise en cause de toutes parts est remuant. Pourquoi affirmer à longueur de discours et d’articles de presse que nous sommes trop chers, faisons trop de dépassement d’honoraires, n’avons pas assez d’écoute, ne prenons pas de décisions partagées avec les patients ?
Nous sommes révoltés si l’on nous explique que nos innombrables heures de notre travail d’interne peuvent être considérées comme des études payées par l’état, auquel, en juste retour, nous devrions allégeance et docilité.
Nous ne savons pas comment expliquer qu’il nous parait anormal de voir décider, sans l’accord de toute la profession, d’une obligation de pratiquer le tiers payant. Nous nous inquiétons de la lourdeur de ce que cela impliquera. Et du temps qu’il faudra trouver encore pour ça.
Fini, les échanges sur les beaux cas de patients. Nos conversations de docteurs tournent désormais sur les préoccupations de notre vie professionnelle. Sur ce sentiment de ne pas l’exercer comme on aimerait, et en plus de gâcher une large partie de notre vie personnelle. Sur ces questions: comment en est-on arrivé à laisser un tel pouvoir à des politiques et des administratifs qui nous divisent pour mieux dicter leurs lois ? Et nous nous nous demandons si nous allons suivre les consignes de tel ou tel syndicat, de fermer nos cabinets une nouvelle fois.
Moins les patients attendent de la société, plus ils attendent de leurs médecins, personnes qu’ils pensent consacrées à leur bien être en toute exclusivité.
Les conversations de docteurs, et même leurs échanges sur Facebook et sur Twitter, elles disent bien que le corps médical aussi aimerait de l’écoute et des soins attentifs. Parce que la vocation de soigner en prend un coup dans les parcours de combattants que sont les conditions d’exercice médical de nos jours.
Les petites souris qui écoutent aux portes des discussions entre médecins, et lisent leurs tweets, elles devraient vite aller prévenir les patients qu’il n’est surement pas bon pour eux d’être soignés par des médecins autant préoccupés d’autres affaires que celles de la santé de leurs malades. Des médecins qui rêvent de vraies journées de consultation, ou il y aurait juste échange avec les patients autour de leurs maladies.
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