Lettre ouverte à Mme Buzyn à propos de la consultation sur la Stratégie Nationale de Santé.
Ma chère confrère, Madame la Ministre
Tout d’abord je voudrais vous dire mon admiration. Votre réussite en médecine ne peut que faire l’objet d’admiration. Quel médecin n’aurait pas aimé avoir un parcours si majestueux que le vôtre ? Je suis béate, moi, en tous cas. Et certaine que votre passion pour la médecine et vos qualités politiques sont les ferments de belles avancées de notre profession.
J’ai trouvé logiquement plutôt sympa l’idée de solliciter l’avis « des français » sur la Stratégie Nationale de Santé. De tous les gens, pas seulement les médecins, ou les soignants. Et me suis empressée de suivre le lien vers le fameux fichier de cette consultation.
Jusqu’au 25 novembre inclus, les Français peuvent s’exprimer sur la stratégie nationale qui constituera le cadre de la politique menée par le Gouvernement en matière de santé pour les cinq prochaines années.
La ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn a lancé hier, mardi 7 novembre, la consultation publique en ligne sur la stratégie nationale de santé. Un espace dédié est hébergé sur le site du ministère : strategie.sante.gouv.fr. Les internautes ont accès au document issu d’une phase de concertation menée depuis le mois de septembre avec les autres ministères et avec les représentants du secteur de la santé, des élus et des usagers.
Ils sont appelés notamment à réagir sur les quatre thèmes prioritaires identifiés par le Gouvernement :
Les réponses collectées permettront d’enrichir le projet de stratégie nationale de santé avant son adoption en comité interministériel de la santé au mois de décembre, explique le ministère dans un communiqué.
Un décret officialisera la stratégie nationale de santé avant la fin de l’année 2017. Dès le premier semestre 2018, elle sera mise en œuvre par des plans et programmes nationaux, mais également dans les territoires, notamment dans le cadre des projets régionaux de santé définis par les agences régionales de santé (ARS).
Au suivi du lien strategie.sante.gouv.fr, on arrive sur une page qui propose :
- D’une part des liens vers les 4 grands chapitres de la SNS, qu’il faut aller lire un par un.
- Un lien vers le dossier complet, qui fait 103 pages, écrit tout petit,
- Et enfin, les questions
Elles se résument à 2 questions pour savoir qui on est + 2 QCM sur notre avis
- Après lecture de la stratégie nationale de santé, êtes-vous globalement en accord ou en désaccord ?
- Pour chacun des axes de la stratégie nationale de santé, êtes-vous plutôt en accord ou en désaccord avec les objectifs proposés ?
Le problème de ces questions… c’est que même sans avoir lu la stratégie nationale de santé, on est forcément d’accord sur le fait de:
- Mettre en place une politique de prévention et de promotion de la santé, dans tous les milieux et tout au long de la vie
- Lutter contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé
- Garantir la qualité, la sécurité et la pertinence des prises en charge au bénéfice de la population
- Innover pour transformer notre système de santé en réaffirmant la place des citoyens
- Priorités spécifiques à la politique de l’enfant, de l’adolescent et du jeune
Qui pourrait ne pas être d’accord avec ces 5 premiers points ?
Donc on peut répondre sans avoir lu !
Ce qui est peut-être un des raccourcis escomptés, tant la valeur des réponses « je suis d’accord » va avoir un impact sur lequel vous comptez vous appuyer, Madame La Ministre.
Idéalement, tout de même, ce serait bien de lire tout avant de répondre. Allez, j’attaque.
Passé la surcharge mentale liée au choc des 103 pages, écrit tout petit en plus, je tombe au hasard sur le chapitre des aidants. Un sujet que je connais bien, moi qui suis aidante depuis plus de 15 ans…
Les aidants sont des acteurs majeurs du soutien … bon, rien de nouveau. Et ça s’appuie sur une référence de 2008 ! Comment une universitaire qui a tant publié laisse t’elle passer une référence de 10 ans sur un sujet autant d’actualité !
Passé le bla-bla d’explication qu’il faut vraiment se forcer à lire, on trouve l’encadré stratégique.
Dans les prochaines années, il sera donc nécessaire de :
– Améliorer le repérage et la reconnaissance du rôle des aidants de personnes âgées, de personnes handicapées ou de personnes atteintes de maladies chroniques notamment par le personnel soignant et les établissements de santé
– Développer les dispositifs de répit dans les territoires
– Promouvoir la formation des professionnels de santé sur l’amélioration du repérage et de la prise en charge des aidants en difficulté
– Mettre en place un guichet unique permettant aux aidants de connaître les aides à leur disposition dans les territoires
Le guichet permettant aux aidants d’être aidés sur leurs droits existe déjà dans ma ville. Des réunions sont organisées… de 14 à 16 heures. Parce qu’en France, être aidant est un métier non seulement bénévole et grand pourvoyeur d’économies de santé, mais en plus on n’est pas censé avoir un travail de 14 heures à 16 heures. Quand on voit les 725 euros mensuels que touche mon mari comme tant de handicapés, il ne faut pas s’étonner que les aidants n’aient pas de répit. Parce qu’en répit, on ne ramène pas de quoi faire vivre sa famille…
J’en plaisante… Mais en fait, je suis évidemment d’accord avec tous ces axes. Qui pourrait s’opposer à de si bonnes pensées, à tant de bon sens ?
Du coup, je vais tout lire. Et découvrir, à la lecture, qu’il est presque impossible de ne pas plussoyer à tant de si glorieux axes et de si larges promesses, déclinées tout au long de la Stratégie Nationale de Santé ? Sauf qu’il n’y a rien de stratégique dans tout cela. C’est 103 pages de remarques générales, comme par exemple : réorganiser l’hôpital, renforcer la présence médicale dans les territoires, renforcer l’accès aux soins et aux droits sociaux, limiter les dépenses de santé, de dents, de lunettes, renforcer la prévention, la vaccination, baisser l’utilisation des antibiotiques, améliorer l’alimentation, faire du sport, prévenir les addictions.
Zut, je n’ai rien à dire sur la Stratégie Nationale de Santé. Je suis en phase avec toutes ces merveilleuses pensées. Ca y est on a trouvé des gens assez motivés pour faire avancer cela. Que du merveilleux
Dans les encadrés de chaque chapitre figurent les manières de procéder sur chaque problématique. Mais question stratégique, c’est un peu la dégringolade…
Car dans les encadrés se cache plutôt le dictionnaire des verbes porteurs de généralités.
Pour les premières lignes, les verbes introductifs se succèdent : mobiliser, construire, adapter, simplifier, associer, développer, appuyer…
Bon d’accord, ce sont les verbes introductifs. Mobiliser ? qui ? mobiliser l’ensemble des politiques publiques au bénéfice de la santé dans une approche interministérielle, coordonnée et concertée
Construire ? quoi ? Construire des stratégies d’action adaptées
Bof, moyennement claire l’introduction , en terme stratégique, si on mobilise les politiques publiques et non pas les acteurs de la santé et qu’on construit des stratégies et pas des services hospitaliers!
Passons sur le caractère flou des phrases introductives, et voyons voir un peu la suite. Les encadrés se succèdent. La manière de procéder figure t-elle dans les encadrés ?
Euh, non, ce qui figure dans les encadrés, c’est un dictionnaire Larousse de verbes en 15 volumes. On imagine les affres de ceux qui ont dû s’atteler au sujet pour pondre des encadrés généraux, avec tant de verbes optimistes et généralistes.
- Informer, développer, réduire, sensibiliser, former, améliorer, faciliter, renforcer, mettre en place, assurer, favoriser, limiter, rapprocher, promouvoir, lutter, encourager, accompagner, assurer, répondre, améliorer, changer, s’appuyer, sensibiliser, lutter contre, organiser, continuer, simplifier, mener, coordonner, étendre, poursuivre, développer, expérimenter, faire évoluer, mener, inciter, parvenir, poursuivre, porter, lisser, repérer, apporter, structurer, renforcer, favoriser, développer, augmenter, assurer, généraliser, permettre, déployer, équiper, s’appuyer, donner, soutenir, garantir, mettre en œuvre, mieux prendre en compte, prévoir, accélérer, réviser, investir, converger, contribuer, franchir, revoir, définir, doter, accroître, diversifier, concevoir, concrétiser, réaffirmer, renforcer, consolider, adapter, proposer, offrir, utiliser, soutenir, intégrer, mobiliser, faire, structurer, fluidifier, accroître, transformer, professionnaliser, compenser, cibler, préserver,
Plus on avance dans les pages, plus on voit que l’imagination des rédacteurs commençait à sécher, plus on avance dans les pages, moins il y a de verbes nouveaux, et plus cela devient répétitif.
Il y a même des néo-verbes comme : dénormaliser !
Et Un néo mot : les chronodistances ? connais pas. C’est pour la corse… ça doit être du patois local. Toute la phrase est du patois local d’ailleurs : – Prendre en compte les chronodistances dans la définition du maillage pertinent de l’offre de proximité
Et même des fautes de frappe, mais oui, mais oui, page 36 : « repérer et mobilier … des structures »
Il y a quand même une fois le mot concrétiser. Hum, voyons voir, que va-t-on concrétiser ? ça m’intéresse ! : – Concrétiser l’« universitarisation » des formations sociales et paramédicales afin de renforcer la qualité de la formation, de favoriser la recherche en sciences paramédicales et d’encourager la pluridisciplinarité comme une incitation à l’exercice pluri professionnel ultérieur… est-ce clair pour vous ? L’universitarisation, c’est un nouveau mot aussi, non ?
Ah tiens une phrase qui me plait : – Compenser l’inaccessibilité par des moyens dédiés à l’innovation (télémédecine, téléconsultation…). C’est juste pour la Corse. Pas pour la métropole, dommage.
Me voici au bout. J’ai passé les DOM et les TOM, toujours d’accord avec les propositions.
Au total, un texte de 103 pages méritant un 18 au bac de français, et truffé de bon sens bien franchouillard.
Je plussoie (ouf j’ai trouvé un verbe ne figurant pas dans le texte de la SNS!)
Mais ? Où est donc la stratégie ? Quels sont les moyens mis en place, et les méthodes pour tout réaliser ? Avec quels moyens, quels hôpitaux, quels médecins, quelle médecine ?
Au bout des 103 pages, je n’ai rien trouvé de choquant, rien trouvé non plus de probant. Tout ce que j’ai lu est plein de bon sens. Je n’ai vu aucune stratégie, je ne sais pas par quoi ça va commencer ni quelle seront les priorités. J’espère que tous les axes ne vont pas démarrer en même temps, sinon ce sera le bazar.
Il ne me reste plus qu’à aller mettre ma griffe sur la consultation en ligne. Oui je suis d’accord avec la stratégie et avec tous les axes. Mais j’ai surtout l’impression que l’on cherche à m’utiliser en me demandant de valider ce texte qui est tout sauf une stratégie.
Aussi, j’ai découvert un bon point. La mise en pages du texte de la Stratégie Nationale de Santé est effectuée à l’aide d’un logiciel … gratuit, ce qui prouve que vous ne dépensez pas nos sous impunément, même pour notre bien, et la, franchement, Madame la Ministre, je vous admire encore plus !
Dr Marion Lagneau
Les textes issus de la Stratégie Nationale de Santé sont en italique orange.
Suite à la lecture de votre billet je n’ai même pas envie de me farcir ce pensum.De toute manière ce genre de consultation est du pipeau.
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La question de la santé mériterait une vraie consultation avec les patients.
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j’aime me promener sur votre blog. un bel univers. Très intéressant. vous pouvez visiter mon blog naissant ( lien sur pseudo) à bientôt.
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Merci pour cette analyse qui va me permettre d’organiser un week- end pour cette lecture et mes éventuelles futures réponses. Il est probable que cette consultation stratégique puisse aussi se voir sous l’angle d’une demande, voir une invitation à produire des propositions inspirées de la part , de nous, les concitoyens lambda, experts ou simples usagers . N’ attendons pas systématiquement des solutions toutes faites produites par le haut…peut- être qu’il existe de très bonnes idées venant du terrain. Partageons les bonnes pratiques, qui comme vous le dites existent sans doute quelque-part mais pas du tout ailleurs….. Ne réinventons pas l’eau tiède, et ne négligeons pas une opportunité d’exprimer nos pistes concrètes.
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Bonjour Marion, Merci de nous avoir évité de lire le pavé de 103 pages. Et je connais ton sérieux ce qui permet de se reposer sur ton analyse. Déjà le nombre de page démontre que les rédacteurs ne savent pas ce qu’est qu’être concret. Cela ressemble à tous ces rapports commandés par les gouvernements et autres organismes publics, pavés eux aussi qui, au final ne servent à rien. Mais surtout il semble que ce soit du Macron dans le texte : de belles phrases générales, des voeux pieux, de la littérature certes mais en fait, surtout du blabla déclaratif. Et je crains en effet que cela ne soit que pour tenter de prétendre que par une relation directe avec les citoyens, on emporte leur approbation… aveugle. Juste un mot sur les aidants : j’en suis une comme tu le sais, bénévole bien entendu, et je pense sincèrement que personne n’a pris la mesure des enjeux du vieillissement de la population, aussi due aux progrès de la médecine, et de cette ressource indispensable que constitue les aidants familiaux. Or, pour le moment, personne ne reconnaît cette fonction autant cruciale que bénéfique et personne ne prend réellement la mesure de l’impact de leur action. Encore merci et je ne signerais donc pas ce qui me semble être un blanc seing peu constructif. Bien sincèrement.
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