Coup de gueule sur le ruissellement de l’argent de la santé, à propos du livre « Les Fossoyeurs »

Je n’ai pas lu « les Fossoyeurs », de Victor Castanet, ce livre sur les EHPAD qui fait tant parler de lui ces jours-ci… je ne l’ai pas lu, tant je sais que tout ce qui est raconté, largement diffusé dans la presse, est de la pure vérité.

Cela cible un gros système privé qui se retrouve pris en pleine tourmente, et va tout faire pour se recrédibiliser au plus vite. Celui-la, tant pis pour lui. Ca aurait aussi bien pu être un autre. Car en réalité, c’est la réalité de tous les jours qui y est décrite. Celle d’un monde ou l’argent du soin n’est pas destiné prioritairement au soin, bien au contraire.  Une situation générale du soin. Quand on a 100 pour le soin, quelle partie de ces 100 est finalement consacrée aux patients et à ceux qui s’en occupent ? Combien d’intermédiaires, d’actionnaires, d’encadrants, de conseils, d’audit, de contrôle, d’heures de réflexion et de réunions sont rémunérées avec ces 100 ? combien reste t’il pour le soin ? en pratique, partout, le moins possible, car c’est pratiquement la seule variable d’ajustement, celle que l’on peut comprimer sur des utilisateurs (les malades) qui n’ont pas la ressource nécessaire et suffisante pour faire entendre leur protestation face à un système bien organisé d’utilisation de l’argent qu’ils croient qu’on leur consacre.

Non, je n’ai pas besoin de lire ce livre. J’ai bossé dans un gros groupe privé de nombreuses années. J’ai vu au quotidien ces restrictions sur le soin, les appareils vieux et parfois obsolètes dont on fait trainer le changement le plus longtemps possible parce que le temps gagné sur le dos du soin est de l’argent épargné pour les actionnaires. Les nombreux non-soignants, chargés d’organiser le soin avec des règles et des réunions. Réunions non rémunérées pour les médecins dans le privé, car le temps de travail médical est une valeur négligeable pour eux, qui ne se rémunère pas, c’est une variable d’ajustement. Dernier point important, le privé doit également dégager du bénéfice sur l’ensemble de ces activités, soins et administration, afin de pouvoir contenter les actionnaires, dont le seul objectif est de gagner de l’argent sur leur investissement dans le soin, dont l’œil de lynx attend annuellement l’EBITDAR, thermomètre de la rentabilité de leur placement. Il faut donc en permanence économiser, économiser. Et quoi de plus simple que d’économiser sur le confort du patient , d’augurer de son silence, et d’étouffer les quelques protestataires.

Le privé n’est pas le seul utiliser à l’envers l’argent du soin. A part l’actionnariat, il n’y a guère de différence à l’hôpital public. Il y a encore plus d’administratifs que dans le privé. Administratifs payés avec l’argent du soin. En France, la part des non-soignants dans le soin public tourne dans les 30% à 34%. Cet argent consacré à payer des administratifs, et des wagons de gens dans les administrations de contrôle, celles qui se mobilisent comme des agitées à la sortie du bouquin, ARS et autres DGS. L’argent du soin est détourné de sa fonction, celle de payer le soin. A la fin de la chaine ou se sont goinfrés des séries d’intermédiaires contrôlants, il ne reste plus de quoi embaucher du personnel au contact du patient, il ne reste plus de quoi payer des compresses, de quoi acheter le matériel de confort.

Et encore, on pourrait imaginer que cette prégnance de l’administratif pourrait libérer du temps et de l’énergie pour ceux qui soignent au contact des patients. Mais non, pas du tout, au contraire !  La toute puissance de la partie non soignante impose à l’ensemble des soignants de consacrer une large partie de leur temps de soin à faire du travail administratif !!! A remplir des cases et des colonnes dont l’objectif est de contrôler ce qu’ils font !

Ou va l’argent ? On entend les plaintes des soignants. Ils sont mal rémunérés eu égard à leur investissement, et ils souffrent au quotidien à la fois du manque de moyens pour les payer, et pour payer du matériel de qualité qui permettront du soin de qualité.

Entendez-vous les plaintes des administratifs ? non ! car leur fonction et leur grille de rémunération est différente. Leurs avantages sociaux passés sous silence. Eux ne se plaignent pas d’être mal payés. Eux ne s’inquiètent pas de leurs temps de travail quand l’hôpital va mal. Leurs grilles de validation à eux sont considérées comme du bon travail quand ils ont réussi à faire remplir ces grilles par ceux qu’ils contrôlent. On ne les obligera pas à venir remplacer le collègue absent sur leurs heures de repos. La nuit et le WE sont des réalités dans leur vie quotidienne.

Je trouve bien qu’un livre tel que « les Fossoyeurs » vienne lancer un pavé dans la mare. Hélas, j’ai conscience que tout sera fait pour enterrer cette affaire et reprendre au plus vite la vie d’avant. Une vie ou le ruissellement de l’argent consacré au soin se fait à travers tellement d’intermédiaires qui chacun se sucre, et qu’à la fin, en bas, quand il s’agit de payer correctement ceux qui mettent les mains dans le caca, il n’y a plus de quoi leur offrir des rémunérations à la hauteur de leur investissement temporel et moral, et enfin, une fois rémunérés tous ces gens à chaque étage, il reste un mini minimum pour le soin, du matériel adapté et renouvelé, des éléments de base, couches, draps propres, pyjamas de bloc en bon état, tensiomètres, balances qui marchent et on en passe. Ces petites choses et ces petites mains si dérisoires qui font le soin quotidien mais il ne reste plus d’argent pour les payer une fois réglées toutes les factures. Ces petites choses, ces petits soignants, qui sont pourtant les vrais éléments du soin, le confort.

En pratique, le sens du ruissellement devrait changer. On devrait commencer par consacrer assez à payer correctement le bas de la pyramide, puis de proche en proche, il resterait moins d’argent pour les 30% de gens non consacrés au soins, et pour les actionnaires. Viendrait alors la vraie question. Economiser sur la part administrative, en ne conservant que ce qui est une aide, et non ce qui relève d’un pseudo-contrôle ou de la simple bureaucratie qui n’a rien à faire la. Et puis, demander aux actionnaires en santé, de considérer le fait qu’investir dans la santé comporte une part de moralité, et qu’il serait mieux de renoncer à des dividendes quand le soin est en danger, par exemple durant une crise telle que celle du Covid.

Il ne faut pas juste lire ou parler de ce livre « les Fossoyeurs » et passer à autre chose. Il faut en profiter pour reconsidérer ce système qui oublie les patients, et néglige les soignants, au profit du profit, que ce soit dans le privé ou le public.

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