25 (redoutables) biais cognitifs en médecine

Dans certaines situations, les humains adoptent un comportement qui peut paraître irrationnel.

Ce n’est pas volontaire, ça s’appelle un biais cognitif

Souvent ça n’entraine pas plus qu’un défaut de communication.

Il importe néanmoins de savoir qu’en situation de décision médicale, les biais cognitifs expliquent 70% des causes profondes d’erreur.  La plupart des erreurs sont ne sont pas dues à un défaut de connaissance mais à un biais cognitif aboutissant à un mauvais raisonnement.

En introduction: rappel sur les 2 systèmes de pensée de tous les humains, qui pensent tous de la même manière,

  • Le système 1 :  automatique,  rapide, est le système de décision intuitif ou émotionnel.
  • Le système 2 :  Lent, exige de l’effort, c’est le système de décision logique

On rappelle également l’impact fondamental des bruits de fond, des perturbateurs d’attention  sur les systèmes de pensée (cela s’additionne aux biais et empêche l’activation du système 2)

  • Surcharge de travail
  • Multiples tâches concomitantes
  • Interruptions de tâches
  • Fatigue
  • Etre sous pression
  • L’ambiance de travail
  • Une équipe ou un service dysfonctionnel 
  • L’hyperconnexion
  • la distraction ou les distractions
  • Le jour de la semaine, jour férié, heure de la journée ou de la nuit
  • Le sens donné à l’activité : le médecin est-il convaincu du bien-fondé de son activité (cf : téléconsultations)

Les raccourcis du système 1 (heuristiques) ont un Intérêt = atteindre plus vite le but. Heureusement, la plupart du temps cela permet de bonnes décisions. Mais parfois, choisir la rapidité et l’économie d’une réflexion complexe, tout comme on traverse un champ pour aller plus vite, peut conduire à s’embourber

Et puis les gens ont bien trop  confiance dans l’invariabilité de leur jugement, et sous-estiment l’importance des bruits de fond perturbateurs.

Alors, même si, au fur et à mesure de la montée en compétence, les raccourcis sont de plus en plus cadrés, efficaces et positifs, le défaut de traitement de l’information peut parfois faire du plus génial des soignants un piètre diagnostiqueur et un mauvais sauveur.

Personne n’est épargné. Ni vous, ni lui, ni moi … Et particulièrement les médecins, car leur métier les conduit à prendre continuellement des décisions. Je suppose que d’autres professions peuvent se reconnaitre dans les décideurs décrits ci-dessous.

Tous les raccourcis décisionnels font de nous des décideurs à géométrie variable, et j’ai donc décidé de vous présenter quelques décideurs parmi lesquels vous vous reconnaitrez (éventuellement) mais surtout vous reconnaitrez des confrères (certainement)

1)Le décideur trop intuitif  (Biais d’ancrage) :  

Conditionné par le halo de sa première information, il se focalise sur un diagnostic. Comme dans un tunnel, il ne voit pas la situation dans son ensemble,  ne tient pas compte des nouvelles données, n’envisage plus d’autre hypothèse.

2) Le décideur obstiné (Biais de confirmation) : souvent associé au biais d’ancrage

Une fois ancré dans son tunnel diagnostique, il rassemble bien les informations, mais sélectionne leur interprétation : il cherche préférentiellement ou surexploite ce qui va dans le sens de sa croyance, oublie celles qui ne contredisent ou ne les cherche pas. 

Le décideur obstiné entre dans une escalade d’engagement.  Quand il a déjà investi du temps et des ressources cognitives auprès du patient, faire marche arrière est un facteur de dissonance cognitive et pourrait constituer un « cout irrécupérable » pour son égo. Parfois il sera donc prêt à défendre coute que coute sa décision.

3) Le décideur trop confiant (la fermeture prématurée) :

C’est souvent un décideur expérimenté et confiant en lui-même. Il a tendance à se satisfaire d’une hypothèse plausible issue de son expérience, et à mettre l’incertitude sous le tapis.  

En pratique,  grâce à son expérience, il fera souvent rapidement et à partir d’un choix restreint d’hypothèses, un meilleur diagnostic que celui d’un médecin junior qui n’a pas de connaissances de cas passés.  Mais pas toujours : il n’y a pas de lien entre le degré de confiance du médecin et l’exactitude du diagnostic…

4) Le décideur à mémoire courte (Heuristique de disponibilité )

Il a tendance à juger les choses plus probables si elles viennent facilement à l’esprit.

Donc, il va chercher dans sa mémoire vive soit un corpus connu, familier (c’est le piège de l’illusion des séries), soit l’exposition récente à une maladie, surtout si elle était spectaculaire ou chargée d’émotions.

Alors que le fait de ne pas voir une maladie pendant une longue période diminue la probabilité qu’il l’évoque.

5) Le décideur traumatisé (Biais de réminiscence)

Sous l’impact émotionnel du souvenir d’une mauvaise expérience récente, restée très présente à l’esprit, il est conduit soit à maximiser en choisissant préférentiellement ce diagnostic marquant ou au contraire à minimiser en l’évitant

6) Le décideur sélectif (Biais de feed-back)

Pourquoi poser des questions? : pas de question, pas de plainte énoncée, donc pas de problème.   

Pourquoi chercher plus ou fouiller? : il a l’illusion de savoir sans avoir besoin de rechercher les informations complémentaires

Pourquoi organiser les informations? : alors qu’il suffit de bloquer sur une information non pertinente pour trier la suite de ses recherches

7) Le décideur assisté

Il est à fond pour l’intelligence artificielle ou la délégation des tâches

Il a tendance à faire confiance au recueil automatique d’informations (questionnaires complétés directement par les patients, ou recueil par un paramédical). Il estime qu’un questionnement complémentaire n’est pas utile et en tire rapidement des généralités sans se soucier des possibles spécificités du patient.  

8) Le décideur piégé (biais d’attribution)

Se laisse prendre au piège d’une  hypothèse de base, d’une présentation de dossier partielle ou partiale (venant de lui ou d’une transmission sélective par un collègue)  Il reste sous l’influence initiale en échouant à envisager des possibilités contredisant cet étiquetage. Au final, il va attribuer les symptômes à une mauvaise hypothèse.

9) Le décideur à préjugés (Biais de stéréotype) :

Les stéréotypes négatifs  le piègent (alcool, psy, catégorie sociale défavorisée, personne de couleur, femmes, patients obèses, vieux, etc), ou bien le prisme de son propre vécu. Il n’arrive pas à à envisager des possibilités qui contredisent cet étiquetage. Genre, une femme se plaint, c’est le stress.

C’est quelqu’un qui remarque les défauts des autres, mais pas les siens !

10) Le décideur affectif  (Biais affectif) : 

Il est embolisé par des sentiments ressentis pour son patient

Un patient trop proche, une attractivité physique du patient ou au contraire un patient agressif ou désagréable qui génère des sentiments négatifs

L’affectivité du soignant peut générer un biais de solidarité, soit unetendance qu’ont les gens à allouer des traitements préférentiels à ceux qu’ils identifient comme faisant partie de leur propre groupe

11) Le décideur  incompétent  (Le biais de maîtrise du savoir : Biais de Dunning-Kruger) 

L’effet Dunning-Kruger : Tendance pour un médecin non qualifié à surestimer sa capacité dans un domaine qu’il ne connait pas bien,  à penser qu’il sait plus de chose sur un sujet qu’en réalité. Et paradoxalement tendance des individus compétents à sous-estimer les leurs.

L’incompétence empêche de reconnaître ses propres limites

Souvent seuls ceux dont le niveau de qualification augmente et qui maîtrisent bien un sujet émettent des doutes sur l’ampleur de leur connaissance.

12) Le décideur incohérent (l’esprit faux) 

Incompétent ou pas, en tous cas, il apprécie les corrélations illusoires entres les symptômes et le diagnostic, sait tirer des conclusions sans preuve, a une propension à accepter un diagnostic avant qu’il n’ait été entièrement vérifié

Pour minimiser le coût de sa dissonance cognitive quand il comprend ses errements, il justifiera ses choix à posteriori et de manière exagérée par des arguments divers, par exemple il inventera souvent de fausses obligations

13) Le décideur qui se surestime (biais de l’excès de confiance) 

Certain qu’il en sait plus qu’en réalité, celui qui est dans l’excès de confiance a tendance à agir sur la base d’informations incomplètes, d’intuitions ou de pressentiments . Priorité est donnée à l’opinion (la sienne, celle des autres), au détriment du recueil soigneux de preuves.

Il faut avoir conscience que lorsqu’une personne affirme sincèrement qu’il est sur de quelque chose à 90% sans fournir de preuve, il y a 50% de chances qu’il se trompe (Oliver Sibony)

14) Le décideur a faux consensus

Lui, c’est seulement en sa propre opinion qu’il a une très grande confiance.

Et en plus, il pense qu’il sait ce que les autres pensent et savent

Du coup, il surestime le nombre de personnes qui partagent son avis en affirmant que «  tout le monde sait ça » et que « tout le monde traite comme ça »  

15) Le décideur présomptueux (biais d’immunité à l’erreur)

Du décideur à faux consensus au décideur présomptueux, celui qui se juge sous un meilleur jour qu’en réalité, l n’y a qu’un pas : celui de croire que les autres n’ont pas les bonnes connaissances et qu’on est soi-même infaillible

16) Le décideur critique

Il passe le plus clair de son temps à remarquer les failles chez les autres plutôt que chez lui-même.

Quand il les remarque et les souligne chez ses patients, il peut devenir un décideur sadique, générant plus de larmes que de bien-être et de réassurance chez les patients qui l’ont consulté

17) Le décideur auto-complaisant  (biais d’attribution)

Ce décideur a un gros ego. Du coup, il a tendance à s’attribuer les réussites et à considérer que les échecs sont le fait du patient ou de choses extérieures.

Après les faits, il a des faux souvenirs : il a une propension manifeste à modifier et renforcer certains souvenirs, et s’attribuer les faits positifs.

18) Le décideur imposteur

Il doute de ses compétences ou de ses capacités, ne se sent pas à sa place dans la fonction qu’il occupe et pas légitime pour décider.

19) Le décideur dépressif 

Il a tendance à douter de tout, et à être plus attiré et sensible aux informations négatives que positives. Il n’est pas sûr de lui, a peur du risque, parfois ne se remet pas d’un traumatisme professionnel. Il faut qu’il consulte vite et les collègues doivent le pousser en ce sens.

20) Le décideur ronronnant (biais d’habitude) :

A tendance à faire ce qu’il a l’habitude faire même si ce n’est pas forcément approprié, il est prêt à ignorer des signes avant-coureurs car il pense que tout va se passer comme d’habitude

21) le décideur inactif (biais de statut quo)

Son fil conducteur est l’idée que l’action peut aggraver une situation.

Parfois il pose l’hypothèse qu’un dommage lié à une maladie est plus acceptable qu’un dommage lié au soin.

Pas de nouveauté, il estime qu’elle apporte plus de risques que d’avantages possibles.

Cela implique de faire une médecine minimaliste, voire de rester dans l’inaction, et peut le conduire à retarder la mise en œuvre de manœuvre d’urgence ou de traitements intensifs.

22) Le décideur hyperactif

Hyperactif dans les heures de travail ?

Hyperactif dans la pression qu’il se met ?

Hyperactif dans ses prescriptions ?

Dans toutes les situations, se dit qu’il vaut mieux en faire trop que pas assez. Sur-prescripteur « au cas où ». Tendance à tendre vers l’action plutôt que l’inaction, c’est-à-dire exécuter des manœuvres non indiquées, s’écartant du protocole.

23) Le Décideur Business

Cette personne a pour mission de créer du résultat et assurer un retour sur investissement. Il a un discours orienté résultats et impacts. Il veut démontrer la valeur de ce qu’il fait et pourquoi il le fait mieux que les autres

24) Le décideur socialement conformiste (biais de notoriété)

Se range à l’avis de la majorité pour faire plaisir, ou pensant conserver l’harmonie au sein de l’équipe,

Evite de contredire un expert ou un supérieur hiérarchique.

Est du type « confiant dans l’autorité », donc accorde à priori plus de crédit à une personne connue et réputé qu’à son propre diagnostic.

Attention, parce que parfois la pensée de groupe n’est pas forcément la bonne.

25)Le décideur influenceur (L’effet de formulation (wording effect)

Sa propre subjectivité l’aveugle.

Il formule les questions en suggérant des réponses, par le choix et l’ordre des mots, la manière de présenter une situation, une insistance prononcée sur certains points. La finalité : faire dire au patient ce qu’il veut lui faire dire, influencer la décision qu’il veut lui faire prendre

Un décideur qui a créé quelque chose, qui maitrise une certaine thérapeutique ou a participé à une étude peut être un influenceur sous l’effet IKEA : il a tendance à attribuer une valeur plus importante sa propre expérience. Et de ce fait, mettre en œuvre des techniques d’influence pour convaincre le patient de recevoir une thérapeutique particulière.

Et si le décideur influenceur est chef, même s’il se trompe, cela conduire à un effet de groupe… (ça ne vous rappelle pas quelqu’un ? )

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Il est évident que tous ces biais cognitifs s’appliquent plus aux autres qu’à soi-même, n’est-ce pas ?

Malgré tout l’honnêteté implique d’avoir conscience de ses propres biais. Pour autant, il ne suffit pas d’en être conscient pour les éviter.

Pour minimiser la place des biais cognitifs dans la décision, il faut de la ZETETIQUE : respecter une hygiène de la décision, celle de l’esprit critique : cela consiste à émettre un doute et vérifier méthodiquement la situation

  • Examiner méthodiquement le maximum d’indices pour ne pas rester bloqué dans une croyance
  • Chercher  des incohérences  et s’il y en a : remettre en question ses propres croyances 
  • Savoir ralentir, et Intégrer plus d’informations pour éviter les conclusions hâtives que nous inspire notre intuition et la récupération vite fait d’informations stockées en mémoire
  • Pondérer les informations, leur attribuer une place selon leur importance pour ne pas tomber dans les pièges de ne pas chercher ailleurs
  • S’appuyer sur le collectif et la collégialité
  • Utiliser des procédures pour structurer la réflexion

Parce qu’en définitive : la plupart des choses sont ce qu’elle semblent être, sauf quand elles ne le sont pas !

3 commentaires sur “25 (redoutables) biais cognitifs en médecine

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  1. Ma chère Marion,
    Une fois de plus un billet sur un sujet majeur : les biais cognitifs en médecine.
    Ce sujet particulièrement intéressant intellectuellement, et d’un intérêt majeur dans ma spécialité de Chirurgien.
    Tu connais la différence entre Dieu et un chirurgien ?

    Dieu ne se prend pas pour un chirurgien !

    Précisément ce type de personnalité et d’ego est un terrain si favorable aux biais cognitifs et aux dérives qui peuvent être très lourdes de conséquences dans des spécialités ou il faut parfois prendre des décisions et agir sans délais.
    Dans ces situations l’excès de confiance en soi, et autres biais peuvent corrompre nos actions, en particulier l’effet tunnel :
    Notre fédération à pris le taureau par les cornes concernant ce problème avec
    https://www.fcvd.fr/leffet-tunnel-en-sante-comment-faire-pour-en-voir-le-bout/
    Et un programme de « Gestions des risques : erreurs médicales et impact des biais cognitifs Action N°16772200033 Programme intégré : Évaluation des pratiques professionnelles (audit clinique sur les biais cognitifs) – 2 heures Formation continue – 3 heures Programme détaillé Introduction : Présentation Base REX 2020 Enquête tunnelisation : résultats Biais cognitifs : Présentation générale … »

    Voilà une action qui rentre dans le cadre de notre formation professionnelle et notre accréditation.

    Alors merci Marion de mettre en lumière ce sujet des biais cognitifs qui s’appliquent à tous quel que soit les activités personnelles ou professionnels.

    A te lire de nouveau!

    Marc

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