Des années que l’on veut imposer aux médecins, tant dans le public que dans le privé, des organisations de type managériales, inadaptées et mille fois remaniées parce qu’inadaptées.
Les managers qui gouvernent considèrent que les seules personnes aptes à réguler l’organisation sont ceux qui pensent, depuis leurs bureaux ou leurs hiérarchies de tutelle médicale ou politique. Ils se trompent. Ceux qui font tourner l’organisation ne sont pas ceux qui pensent, mais ceux qui exécutent. Sauf que les décisions prises sont souvent inexécutables tant elles sont nées en absurdie, et surtout, elles s’additionnent et reposent pour 99% d’entre elle sur de nouvelles contraintes, et de nouvelles pertes de temps médical.
Une sorte de broyage hiérarchique est de plus en plus prégnant en direction des acteurs de terrain, tant dans le public que chez les libéraux. Les stratèges qui veulent réglementer tous les métiers, et particulièrement celui de médecin, sont tous adhérents d’un même dogme : « les médecins sont des pions que l’on déplace sur un grand chéquier ». Ils se moquent des modèles mentaux du soin, de l’énergie indispensable à l’écoute attentive des malheurs d’autrui.
Tant de sollicitations contraires, tant de remaniements successifs éloignent les médecins de l’autonomie et de la nécessaire sérénité propre à leur métier.
Il reste beaucoup de médecins qui continuent à faire leur travail avec passion, sauvant les institutions publiques et privées, tentant malgré tout de survivre au mal-être ambiant et tenant surtout à faire perdurer l’essence de ce beau métier : le soin des autres. Ils sont nombreux ceux qui continuent à essayer de faire leur travail du mieux qu’ils peuvent malgré les conditions de plus en plus difficiles.
Mais hélas, le nombre de passionnés semble se rétrécir dans les circonstances et les conditions aussi difficiles d’exercice. Des médecins en arrivent à ne plus savoir pour quelles réussites ils travaillent. La santé des patients, ou la satisfaction des usagers, ou la conformité aux règles, tel est le dilemme, tant la conformité aux 3 est irréalisable. Pour un nombre croissant de médecins, le sens de leur action ne semble plus si clair. Ils en arrivent à se définir plus par leur relation à l’institutionnalisation du métier que par leur éthique et l’amour de leur profession. Ils n’arrivent pas à se protéger de la prégnance de l’institution. Ils entendent les balles siffler en ricochant du camp des syndicats désunis à celui des tutelles sourdes et aveugles. Ils souffrent tant des dysfonctionnements, des tâches incongrues, irréalistes, qu’au final ils ressentent des difficultés à se sentir suffisamment à l’aise sur le centre de leur mission. Quand aux sacrifices que l’on attend d’eux, ils ne leur paraissent plus justifiés.
C’est comme si certains ne trouvaient plus cette sphère d’autonomie qui est la condition de leur exercice. C’est comme si certains ne réussissaient plus à définir un espace de tranquillité, de travail sans perturbation ni broyage par la machinerie administrative. Cette zone de sérénité est pourtant la seule vraie condition d’un exercice de l’art médical au profit des patients. La perte d’autonomie des médecins dans l’exercice de leur art est, hélas, une des grosses difficultés rencontrée par de nombreux praticiens, et l’effet de cette perturbation se ressent clairement sur la qualité des prises en charge des patients.
De ce fait, le niveau de performance baisse, et à un moment il atteint un seul critique, et n’est plus perçu positivement par l’ensemble des membres du groupe, tant du côté des médecins que du côté des usagers du soin. Le groupe dans son ensemble devient insatisfait.
La flamme des médecins vacille dans une organisation dont le sens ne leur apparait pas, dans une organisation qui déconstruit plutôt qu’elle construit, qui punit plutôt que d’inciter, qui ne cible que les points faibles plutôt que de remercier ou d’admirer l’abnégation de celui dont le métier est entièrement de s’occuper des autres.
Ou sont les braises du feu qui anime la passion de soigner? Comment le feu peut-il se rallumer? Parce que, oui, clairement, être médecin ne peut pas être juste un métier, c’est aussi une flamme et il ne faut pas que les médecins l’abandonnent sous la pression des organisations défaillantes, étouffés dans leurs actions par les couteux efforts de recadrage des dysfonctionnements et sous le poids des obligations administratives
Nul héros n’est éternel. Si l’organisation ne corrige pas son dysfonctionnement, les médecins finissent par partir. Pour raison de burn-out, de retraite, de perte de sens, de démotivation. La médecine peine à renouveler les porteurs de flamme, elle se met à fonctionner au ralenti avec des médecins gagnés par la facilité de la fonctionnarisation.
Il faut s’adresser aux médecins en tant qu’individus si l’on veut réanimer le système de santé. Ce n’est pas en ajoutant quelques centimes, bien trop peu, dans le magma de l’organisation en déclin que cela va recréer un collectif et une éthique forte du métier permettant de réanimer le système de soins si souffrant. Les médecins ont de la science, de longues années d’études, mais ils sont aussi les petites mains talentueuses du système, et surtout, ils sont toujours là, eux, ne changent pas au gré des nominés de haut rang qui passent et trépassent vite, laissant hélas derrière eux un peu plus de saccage à chaque passage.
Chère Consœur
Votre description est oh combien exacte de la réalité que vivent trop de médecins, merci à vous
Anesthesiste des hôpitaux je suis parti à la retraite à 64 ans alors que j’aurais aimé poursuivre quelques années, car la désorganisation au jour le jour du
travail finit par avoir raison des plus investis.
C’est ainsi et il faudra attendre d’avoir touché le fond de l’écœurement des soignants pour peut-être rebondir
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