Un peu d’historique pour commencer
Les années 80 voient le SIDA exploser, les responsabilités des politiques largement mises à mal avec l’affaire du sang contaminé et font réaliser la faiblesse de l’état en matière de politique de santé. Du coup, afin de s’affirmer politiquement, l’état se lance dans la définition d’une politique de santé. Comme seule la France sait si bien faire en politique, depuis qu’ils ont eu cette idée géniale de venir enrayer la dynamique historique d’un système fondé sur l’initiative individuelle, les pouvoirs publics ne s’en lassent pas, et une profusion de réglementations vient contraindre et encadrer les libertés médicales.
Et donc, à la suite de ces remous, dans les années 90, est entreprise « La modernisation du système de santé ». Elle porte sur 3 axes : prévention, prise en charge et encadrement des médecins,
Sous l’angle de la carte vitale depuis sa création jusqu’à ce jour, nous allons parler ici de la partie prise en charge des soins de santé, et de ses étapes de « modernisation »
Et on va constater à quel point ce petit rectangle vert a changé le regard des patients, des médecins et des tutelles sur la place de la santé et la manière dont ils ont recours au système.
Et comment on est obligé, mine de rien ces dernières années, de faire marche arrière, mais en douce (pas en douceur)
Modernisation 1 : 1998 : la carte vitale
Apparition d’une carte individuelle d’assuré social, permettant de « moderniser le système de remboursement des assurés et simplifier leurs démarches administratives», Depuis 1999 (décret n°98-271 du 9 avril 1998) tous les assurés sociaux de plus de 16 ans possèdent une Carte Vitale
L’intérêt officiel était de simplifier les démarches des patients, l’avantage bien caché mais prioritaire était certainement de décharger la machinerie administrative de la sécu
En pratique, on le sait, simplifier des démarches n’est pas supprimer la tâche… Avec la carte vitale, il est vite devenu évident que cela consistait clairement à transférer aux médecins le côté administratif du travail de gestion des remboursements de soins.
On n’a pas dit que ce transfert de travail était un travail rémunéré. C’était juste optionnel pour les médecins, et donc on n’allait bien évidemment pas les payer pour cela.
Evidemment, quand on vous propose l’option « faire gratuitement le travail des autres, en plus en payant soi-même l’appareil pour le faire », il y a peu de volontaires, ça tombe sous le sens ! En conséquence, l’appropriation de la carte vitale par le corps médical ne fut pas un franc succès. 2% d’utilisation 1 an après son introduction. Du coup, on fit l’effort d’ un petit coup de pouce financier (bien inférieur à la dépense réelle) aux médecins, qui eut malgré tout peu d’effet motivateur.
Modernisation 2 : 2013, la stratégie nationale de santé
La carte vitale maintenant bien admise s’inscrit dans le volet accès aux soins
Cette étape est celle l’instauration du tiers payant via la carte vitale
Le tiers payant est initialement prévu pour les ménages modestes et les actes coûteux, deux situations où l’avance de frais peut générer un problème d’accès aux soins.
Et sa généralisation à tous les patients est vite évoquée
Ne serait-ce pas la première étape d’une définition inexacte de l’accès aux soins : accéder aux soins c’est trouver un médecin en réalité, ce n’est pas qu’il soit gratuit. Au nom de l’accès aux soins, on part donc sur du soin pas payant, mais on continue à cette époque de bloquer le numérus clausus et donc de limiter le nombre de médecins en formation
Modernisation 3 : 2016-2017 : Le tiers payant devient un droit et passe de optionnel à obligatoire: de l’incitation à l’obligation …
Marisol Touraine rédige une version finale dans laquelle le tiers payant devient obligatoire pour les patients suivants (soit 15 millions de personnes) en janvier 2017
- les femmes enceintes,
- les patients en affection longue durée (ALD),
- les bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) ou de l’aide à la complémentaire santé (ACS,
A partir de ce moment, pour ces patients la, c’est le médecin qui est payé directement, et le patient n’avançait plus aucun frais.
Pour les autres patients, le tiers payant est censé devenir obligatoire à partir du 30 novembre 2017 . Mais la loi a dû être changée devant la massive opposition syndicale des médecins
L’obligation ne fonctionnant pas pour le patient lambda, la sécu organise un différentiel de temps et modalités de remboursement: Ou comment inciter les médecins à faire ce qu’on attend d’eux de manière indirecte, les patients faisant alors pression sur les médecins pour qu’ils télétransmettent :
- lorsque le médecin utilise la carte vitale, le remboursement intervient en quelques jours
- si le médecin continue les feuilles de soins papier, le délai de remboursements est long, les tracasseries administratives sans fin, et en plus lorsque le patient ne fait pas l’avance de frais, c’est au médecin de gérer l’envoi de la feuille de soins à chaque centre de sécurité sociale de chaque patient, après avoir rempli lui-même toute la partie patient.
Modernisation 4 : 2018 : la télétransmission s’est bien généralisée. Une victoire politique… Les patients voient enfin que tout est gratuit et imaginent bien que l’accès aux soins c’est la gratuité avec supplément accès libre
Et de ce fait, depuis 2017, la consommation des soins de ville a augmenté beaucoup plus (+&,7%) que celle des soins hospitaliers (+0,9%)…
En plus La sécu fait des économies en faisant faire le travail par les médecins: La télétransmission représente une source d’économie non négligeable : le coût moyen de gestion d’une FSE est de 0,27 € contre 1,74 € pour une feuille de soins …
Car les médecins télétransmettent, et en plus ce sont eux qui payent et fournissent eux-mêmes le matériel nécessaire. La sécu les gratifie d’un forfait qui est loin de couvrir leurs frais de télétransmission (Actuellement un médecin qui effectue plus de 90% de ses actes en télétransmission touche un forfait annuel de 525 euros). Avec cela il doit payer et entretenir tout le matériel nécessaire :
- Ordinateur
- Connexion internet haut débit (ADSL) (30€/mois min)
- Carte de professionnel de santé CPS (gratuite)
- Lecteur de carte Vitale bifente version 3x location environ 75 à 100 euros par mois
- Système de facturation Sesam-Vitale version 1.40 logiciel spécifique intégré dans le logiciel patient, ce système est complémentaire et payant par le médecin
Sauf qu’après le temps de la modernisation vient celui des désillusions
Désillusion 1 : le tout gratuit déresponsabilise les patients
Une fois intégrée, la liberté d’utiliser sans limitation et sans frais la carte bancaire vitale, les patients en font un usage immodéré. La cécité de l’utilisateur s’étend aussi maintenant au prix des médicaments, la vignette tarifaire qui figurait sur chaque boite a été supprimée en 2014
Libres d’utiliser la carte vitale du voisin, ou du copain. Libres d’exiger le tiers payant pour tout et pour tous, au nom de l’accès aux soins des plus démunis. Personne ne s’en prive.
Désillusion 2 : On n’a pas réussi à limiter les dépenses de santé de la médecine de ville.
La limitation des lits hospitaliers renvoie les patients vers la ville. Les médecins qui étaient censés prescrire moins sont toujours autant prescripteurs, en partie aussi sous la pression des patients, devenus d’exigeants consommateurs de soins remboursés totalement.
On a eu beau intensifier la traçabilité de ce que facturent les médecins en créant d’innombrables cotations et sous cotations, décréter qu’ils sont fraudeurs de principe, les poursuivre pour de simples erreurs de codage, de facturation, de télétransmission…
On a eu beau additionner les règles et créer de la complexité ingérable, ça ne ralentit pas les dépenses. Un exemple dans les plus récents : en 2024, les médecins bénéficient d’un supplément tarifaire pour consultation d’un patient en urgence, seulement et seulement dans 2 situations: 1) le patient n’a pas pris rendez-vous en direct chez le médecin mais par l’intermédiaire du SAS (service d’accès aux soins) qui accède à l’agenda du praticien. ou 2) le patient a pris le rendez-vous après 19h pour une consultation à 20 h. Ubu n’aurait pas fait mieux.
Désillusion 3 : Peut-on continuer cet accès gratuit et illimité quand les médecins manquent… ?
Le politique dit enfin, timidement, mais il le dit, la quasi-gratuité « déresponsabilise » les patients.
On n’en est pas encore à réaliser et dire qu’en réalité l’accès au soin n’est pas sa gratuité, mais la présence d’un professionnel de santé.
Mais il devient clair qu’avec ce grand déficit en professionnels de santé, gratuité du soin n’est pas synonyme d’accès au soin.
Augmenter le nombre de médecins ça prend plus de 10 ans, il faut donc commencer par un retour en arrière sur le tout gratuit.
Rétropédaler, OK, mais discrètement !
Même si beaucoup estiment que payer permettrait aux utilisateurs d’apprécier la valeur du soin, et donc vraisemblablement d’en faire meilleur usage, il serait politiquement incorrect de demander aux patients de régler à nouveaux les consultations et les médicaments (qui seraient toujours remboursés bien entendu et en continuant bien évidemment à prendre en charge gratuitement les plus démunis)
La recherche d’économies sans grande révolution, consiste à appliquer des cautères sur la jambe de bois. Fini le temps de la modernisation gratuite, vient le temps de l’économie payante, et ils inventèrent la franchise. C’est au moment ou on la voit doubler que l’on s’aperçoit qu’elle a été en fait rapidement annexée à la gratuité, et mise en place dès 2008 !
Quelques euros sur les médicaments, et sur les consultations médicales, quelques euros puis encore quelques euros de plus. Mais toujours quelques euros que le patient ne règlera pas directement, qui seront récupérés sur les rares consultations médicales qu’il continue à avancer.
Baisse discrète des remboursements sur les soins dentaires, transférés à la charge des mutuelles dont les tarifs continueront à augmenter de ce fait..
Et puis des mesurettes dont voici la liste des dernières propositions.. destinées à contourner les médecins généralistes trop peu nombreux et à faire croire encore et encore à ce mirage de l’accès aux soins illimité et gratuit…
En conclusion : Le seul outil qu’ils ont est un marteau, et on dirait bien qu’ils comptent continuer à clouer des petits pansements sur un système défaillant, sans réflexion ni sur le présent, ni sur le futur.
Il serait temps de parler plus de santé que d’argent. De revenir à des actions de santé, tant individuelles que publiques, de prévention, de parcours… de revenir aux fondamentaux du soin.
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