La fièvre émotionnelle: en politique comme en santé.

De récents travaux de recherche sur les émotions réalisés sur les réseaux sociaux montrent que la première émotion déclenchée par les préoccupations actuelles est la colère.

On peut essayer de reprendre l’historique et de suivre le fil de cette imprégnation émotionnelle qui gouverne les hommes à l’heure actuelle.

Autrefois…  le sentiment d’appartenance à une classe sociale venait des communautés d’intérêt, comme l’entreprise ou l’usine, la religion, et l’adhésion politique. Les catho d’un côté, les coco de l’autre, chacun avait ses filières, ses traditions, ses lieux de vacances, ses colo pour éduquer les mômes à leur image. Les gens se situaient ainsi dans la société.

Mais, depuis quelques décennies, l’entreprise a fait son temps, et le paternalisme est mal vu. Les idéologies religieuses et politiques s’érodent. On a cru que les grands ensembles des cités étaient la modernité, mais ils ne furent souvent que des délires architecturaux éloignant les gens de la ville et de la vie, n’offrant aucune vie de village, seulement une prison de pierres loin des RER.  Idéologie et sentiment d’appartenance sociale ont fait feu. Le sentiment de déclassement social est grand chez beaucoup, qui ont l’impression de ne pas atteindre le niveau social de leurs parents. La mondialisation, beaucoup de gens pensent qu’elle ne leur apportera rien de positif.

Avec la fonte de ce sentiment d’appartenance, et l’aplatissement des idéologies, et des intérêts de classe, un autre paramètre s’est peu à peu adjugé le premier rôle dans les pensées et les actions : ce sont les émotions.. Le groupe social n’est plus. Les communautés sont désormais issues d’ une juxtaposition de subjectivités. Des subjectivités qui soutiennent ou qui, plus souvent, s’opposent.

L’étude en question s’étend sur 13 années de 2011 à 2024 ; Elle a analysé les émotions exprimées par un échantillon de 160 000 Français dans leurs conversations sur les principales préoccupations économiques (pouvoir d’achat, inégalités, chômage), sociétales (immigration, école, santé, retraites…), politiques (élections, assemblée…) et régaliennes (sécurité, délinquance, guerre 

Par ordre d’arrivée les émotions sont

– la colère (35 % des messages), Non seulement la colère est en tête, mais elle est en très forte hausse, près de 66 % en dix ans

– l’inquiétude/peur (14 %)

la révolte (12 %) également en forte hausse, 6% seulement il y a encore quelques années.

Et les émotions positives ? la somme de la confiance+l’enthousiasme+ le bonheur + l’espoir ne dépasse pas 10% du contenu des conversations des Français, et même cela est en baisse

Tous ces gens en colère, qui ont peur et se révoltent, sont des électeurs, mais ce sont aussi au quotidien les patients des cabinets médicaux.

Les gens en colère ne sont plus disposés à accepter les statu quo, et les compromis.

Les gens en colère tolèrent mal les explications, fussent elles justifiées.

Les gens en colère ne cherchent pas d’informations, ils ont des convictions et ne sont pas disposés à les réviser. La colère est un état émotionnel qui empêche le cerveau de rechercher des informations nouvelles et encore plus des informations contraires à ses idées personnelles. La colère rend sourd et aveugle.

La colère a une conséquence directe sur l’attitude des personnes. Non seulement vis-à-vis des politiques publiques, environnementales, mais aussi sur tout ce qui requiert un sacrifice personnel ou des changements de comportement, en particulier en matière de santé.

Nous nous étonnons chaque jour à quel point le corps médical n’est pas entendu lorsqu’il explique avec toute sa rationalité que les urgences sont submergées et qu’il faudrait moins y recourir. Quand on explique clairement et rationnellement que les médecins sont submergés et qu’il faudrait moins d’exigences et d’impatience de la part des patients. Ces demandes et ces injonctions s’adressent à une grande partie de personnes en colère. Cette colère bloque la révision de leurs comportements, des informations claires et circonstanciées ne sont pas adaptées, car elles ne sont pas dans leur registre émotionnel.

Les politiques l’ont compris, mieux dans certains partis que d’autre. Il faut jouer dans la rubrique de l’émotionnel, de la colère.

Il faudrait que le monde de la santé s’y mette. Qu’il ne tente plus de s’appuyer sur de la rationalité, mais apprenne à jouer plus souvent dans la cour de l’émotion . QU’il accepte que l’agressivité et les exigences de nombreux patients sont un mode de protection et de défense contre la colère et que le discours de la raison n’est pas le registre adapté face à un patient exigeant et trépignant, ni face à un malade.  

On peut parler d’’empathie : savoir échanger avec un patient dans son registre émotionnel. Créer un espace d’équilibrage entre émotions négatives et positives . Désamorcer par la réponse émotionnelle la colère intrinsèque de beaucoup de patients, y compris en amont et en aval des consultations.

Référence: Note de l’Observatoire du Bien-être n°2024-09 : La France sous nos Tweets — Portrait d’une France en colère, et de ses conséquences politiques

https://www.cepremap.fr/2024/07/note-de-lobservatoire-du-bien-etre-n2024-09-la-france-sous-nos-tweets-portrait-dune-france-en-colere-et-de-ses-consequences-politiques/?utm_source=pocket_shared

5 commentaires sur “La fièvre émotionnelle: en politique comme en santé.

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  1. Parler aux patients dans leur langage est une base dans la communication médicale. Cela commence par l’écoute, et l’attention inconditionnelle, en particulier au début de l’échange, et la reformulation.

    Gérer ses émotions reste un défi éducatif, toute la vie.

    La rationalité s’apprend- toute la vie, également…

    C’était vrai dans l’Antiquité, les leçons restent les mêmes. Seul le caisson de résonnance des media , dont ceux dit « sociaux », est un phénomène nouveau. »Bien faire et laisser braire  » peut être une façon de s’en sortir, sans (trop) souffrir!

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    1. Bien sur la rationalité s’apprend depuis l’antiquité.
      Mais la sagesse humaine n’est plus celle de l’antiquité.
      Et la résonnance des réseaux sociaux que l’on peut déplorer, est maintenant partie prenante de la communication.
      Et le XXIè siècle se présente comme un siècle émotionnel bien plus que rationnel.
      C’est pourquoi les médecins doivent aussi éduquer leur manière de communiquer avec les patients et s’adapter à leur émotions, car ils ne réussiront pas avec un discours de raison à avancer dans l’empowerment.

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  2. « La colère rend sourd et aveugle. » Mais pas muet semble-t-il… Le XXIe siècle est celui de la pulsion: les cours d’empathie devraient être complétés par du self-défense car « mieux vaut prévenir que guérir » n’est-ce pas?

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