Une semaine entière fin janvier.. et à nouveau toute la semaine passée. Et ce n’est pas terminé. Encore en piste jusqu’à demain matin.
L’astreinte… Ils appellent cela les missions de service public… ces missions s’appliquent à beaucoup de médecins. Pas seulement aux généralistes. Pas seulement aux structures publiques. L’astreinte ne se fait pas sur place, différente de la garde. Par contre, elle impose de répondre au téléphone 24 sur 24 et se déplacer dès que l’urgence rend nécessaire l’intervention de la spécialité concernée.
En privé, dès lors que l’on travaille dans une structure dotée d’un service d’urgence, les spécialités d’aval doivent obligatoirement être d’astreinte. L’astreinte, pourtant, ne bénéficie d’aucune rémunération pour la plupart d’entre nous, hormis les 3 spécialités cités ci-dessous.
En privé, en effet, toutes les spécialités d’aval d’un service d’urgence doivent donc assurer une astreinte. Mais seules 3 d’entre elles sont rémunérées. Les anesthésistes, les chirurgiens viscéraux et les orthopédistes . Tous les autres sont obligatoirement joignables, par conséquent susceptibles d’être dérangés à tout moment, mais ils ne seront rémunérés que s’ils se déplacent pour un acte technique ou une consultation. Une consultation sans dépassement, bien entendu, tout dépassement d’honoraires étant interdit dès lors qu’il s’agit d’une prise en charge en urgence – le patient est supposé ne pas avoir pu faire le choix de son médecin, du fait de l’urgence -. Or une consultation, en urgence, c’est 23 euros pour un spécialiste. On rechigne à se déplacer pour une consult, vous imaginez bien. Mais ça peut arriver quand même.
Chacun des membres de notre groupe de 12 associés doit être d’astreinte un jour sur 12. Contrainte que nous avons décidé de simplifier en faisant une semaine complète toutes les 12 semaines, soit environ 4 semaines complètes dans l’année. Par semaine complète, s’entend du lundi matin au lundi matin suivant. C’est long, quand on peut être dérangé à tout moment par le téléphone, avec l’obligation de répondre aux appels.
Le téléphone aux toilettes, le téléphone dans la salle de bains, le téléphone sur la table de nuit. Tu ne peux faire de projet de sortie, pas aller au ciné, ni au théâtre. Tu sors chez des amis en redoutant d’être dérangé. Astreinte, le mot a une belle signification. Astreinte rime bien avec contrainte ? L’astreinte est une terrible contrainte. Mission de service public oblige, les médecins doivent être à peu près les seuls travailleurs du territoire à passer des journées et des nuits à moins de 5 mètres de leur portable, susceptible de sonner à tout moment, et ceci sans bénéficier d’aucun dédommagement, ni en rémunération, ni même en temps libéré.
On m’argumentera que je me déplace finalement peu souvent au cours de ces astreintes. Mais je me déplace tout de même, et quand je me déplace pour faire une fibroscopie en urgence, c’est en général en raison d’une hémorragie digestive qui ne peut attendre le lendemain. C’est périlleux, effectué dans des conditions non optimales, avec des gestes techniques complexes. Bilan, 3 heures en moyenne pour un examen. Le temps de rejoindre la clinique, de préparer le matériel et de le descendre aux urgences ou en réa, de faire l’examen, de laver l’endoscope, faire les compte-rendu, la traçabilité administrative. On ne me consolera pas en me rappelant que l’acte réalisé dans ces conditions la nuit, le WE, et les jours fériés, est payé 20 euros de plus que l’acte normalement effectué en semaine.
Etre dépendant 24 heures sur 24 de son téléphone est une vraie contrainte. Sous-estimée par ceux qui ne connaissent pas ce genre de fil à la patte. Tenez, vendredi soir. 23 heures… j’étais dans mon bain. Parce que oui, j’ai le droit de faire ce que je veux, malgré tout ! Dégoulinante de mousse, je saisis ce maudit téléphone sur lequel s’affiche joyeusement le nom de la clinique. Heureusement, il s’agit d’un examen à rajouter pour le lendemain matin. Un petit jeune qui ne peut plus avaler depuis plusieurs jours. Le lendemain, il viendra pour son examen, mais au dernier moment, il va refuser de le faire, parce qu’il veut une anesthésie, et qu’en urgence ce n’est pas possible en raison de contraintes légales.
La contrainte, et le cœur qui s’accélère, c’est surtout le WE. Chaque sonnerie déclenche une alerte psychique. Merde, qui est-ce ? ouf, c’est ma mère… pas la clinique ! .
Je ne suis plus si jeune. Je travaille déjà beaucoup la semaine, et la fatigue se fait sentir. Ces astreintes, du soit disant non travail qui vous contraint pourtant à la vigilance 24h sur 24, je dois les faire, mais ne peux prétendre me reposer au décours, puisque j’ai travaillé une semaine entière, jour et nuit, sans rémunération supplémentaire .
J’en ai marre de ce politiquement correct qui consiste à contraindre ainsi des professionnels, à les faire travailler au nom d’obligations morales, au nom d’un soit disant service public, en fait un service qui arrange le public et les politiques. Ce genre de travail abuse du dévouement de praticiens dévalorisés que l’on taxe de riches, mais que l’on fait bosser sans vergogne et sans aucune rémunération.
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