Les mutuelles existaient avant la sécu
L’entraide pour les plus pauvres n’a pas attendu la naissance de la sécurité sociale en 1945
Elle existait bien avant.
Et reposait (déjà) sur des … mutuelles.
C’est dans les suites de la révolution française que furent instaurées des «assistances mutuelles» puis des sociétés de secours mutuels, et enfin la mutualité impériale instaurée par Napoléon III vers 1850, et contrôlée par l’administration.
Peu à peu, les mutuelles réussirent à se libérer du contrôle administratif, et fondent les vrais principes du mutualisme dans la charte de la mutualité ( loi du 1er avril 1898) . Les mutuelles peuvent dès lors proposer des prestations à tous, des prestations payantes, bien sur.
L’adhésion payante aux mutuelles étant libre, il apparaît vite que les populations les plus concernées par l’aide sociale n’ont pas les moyens de s’assurer. Et donc, très peu de temps après l’officialisation de la mutualité payante, le principe de solidarité fait son apparition, et des dispositifs d’aide sociale sont créés. La loi du 15 juillet 1893 (art. 3) institue une assistance médicale gratuite pour tout français malade et privé de ressources (il reçoit gratuitement de la commune, du département et de l’État l’assistance médicale à domicile, ou s’il y a impossibilité de le soigner utilement à domicile dans un établissement hospitalier). En 1898, une autre loi concernera les victimes d’un accident du travail, puis la loi du 27 juin 1904 crée le service départemental d’aide socialeà l’enfance, tandis que la loi du 14 juillet 1905 crée un dispositif d’assistance aux personnes âgées infirmes et incurables. http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide_sociale_en_France
La fin du XIXème siècle avait donc, bien avant la sécu, une vision mutualiste.
Après les mutuelles apparurent les assurances complémentaires à but lucratif.
Au début du XXè siècle, seconde étape, l’apparition et le développement des assurances complémentaires . Tout comme les mutuelles, ce sont des organismes de droit privé. La différence entre mutuelles et assurance est significative: Les assurances sont à but lucratif.
Dans les années 30, les salariés sont protégés par l’employeur. Celui-ci est tenu de leur payer une assurance maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès. Problème, ceux qui ne travaillent pas… On commence alors à évoquer l’idée de rendre l’assurance obligatoire, et de donner à l’État le monopole de cette assurance.
L’idéal de la protection sociale pour tous: la création de la sécurité sociale.
Procurer une assurance santé à tous est un idéal qui fera progressivement son chemin dans les esprits.
Le conseil national de la résistance l’intègre à son programme. Il s’agit d’une idée magnifique « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
Dès la fin de la guerre, en 1945, la sécurité sociale est créée, par les ordonnances d’octobre 1945.
Ou l’on voit que la sécu a été trustée dès le départ par les mutuelles:
Dès la création de la sécu, des dissidences sont déjà présentes: certains salariés, déjà protégés par des régimes particuliers, refusent de dépendre de ce nouvel organisme. Une compromis, théoriquement transitoire est choisi. La sécu sera uniquement un régime général pour les salariés de l’industrie et du commerce. A côté de ce régime général, et dès le premier jour, co-existeront les régimes particuliers: mineurs, marins, fonctionnaires, agriculteurs, artisans, commerçants, cadres, puis étudiant. La seule différence: s’assurer est devenu obligatoire, y compris pour ceux relevant d’un régime spécial. On le constate donc: non seulement les mutualités sont restées dans le paysage de la santé, mais elles reçoivent alors officiellement une mission de service public pour gérer et administrer les assurances sociales de tous les régimes spéciaux. Une situation transitoire dont on sait maintenant ce qu’il advint.. elle perdure encore.
Le financement de la sécurité sociale.
Le choix de départ a été de faire de de la Sécu une assurance de type professionnelle, assise sur les revenus du travail (modèle «bismarkien»). Son financement repose donc au départ exclusivement sur un mécanisme d’assurance payé par les actifs.
Les cotisations sont issues de 2 provenances: d’une part les salariés, d’autre part les employeurs.
La gestion de l’argent de la sécu
Non:
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non, ce n’est pas l’état qui gère le budget de la sécurité sociale….
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non, la sécurité sociale n’est pas un service public…
Les cotisations de la Sécurité sociale issues des salaires sont versées à l’URSSAF (union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et allocation familiales). L’URSSAF est un organisme de droit privé. Ensuite, la masse financière est reversée à la «Sécu», puis est gérée paritairement par des «partenaires sociaux», comprenant 2 partenaires: les syndicats de travailleurs et les organisations patronales. Le gouvernement est seulement associé aux discussions et aux concertations.
Ce modèle social fut facile à gérer tant que le pays resta en croissance.
On élargit même l’assiette de la protection sociale, non plus seulement aux salariés, mais à l’ensemble des résidents du territoire français.
Hélas, la crise arriva.
Et avec la crise, une baisse des recettes se produisit.
Un jour, il devint impossible de gérer les recettes par une augmentation permanente des prélèvements sociaux.
Avec la baisse des entrées, il fallait donc se tourner vers l’option de diminuer (ou maitriser) les dépenses.
Comme il fallait pour cela que l‘Etat obtienne un droit de regard sur l’équilibre financier de la Sécurité Sociale, En 1996, une réforme constitutionnelle accorda au Parlement ce droit de tutelle sur la sécu. On entrait dans l’ère formidable de la maîtrise des dépenses de santé.
La projet de loi de financement (PFLSS) de la sécu confère à l’état des prérogatives sur le budget de la santé:
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prévoir la perception des recettes,…, mais sans aucun contrôle pour les fixer
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se prononcer sur les grandes orientations des politiques de santé, et sur leurs modes de financement.
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fixer par un vote du parlement des objectifs de dépenses… , mais sans aucune possibilité de les limiter.
Ou l’on voit c’est une soit-disant «maitrise des dépenses de santé»! Car en réalité, quelle est la marge de manœuvre de l’Etat dans tout cela. Pas bien large !
La maîtrise des dépenses de santé a d’ailleurs vite montré ses limites: des recettes sans cesse en baisse, du fait de l’accroissement du chômage, des dépenses toujours en hausse, et sans réelle possibilité de contrôle.
Comme cette maîtrise des dépenses de santé ne suffisait pas, une diversification des recettes a été instaurée et continue à l’être: l’élargissement de l’assiette des cotisants, avec la création de la CSG et de la CRDS, et de diverses taxes alimentant la sécu; sauf que, parallèlement, le nombre de bénéficiaires non cotisants ne cesse d’augmenter. Les exonérations de cotisations devaient en principe être compensées par l’État.
Diversifier les recettes ne suffisait toujours pas. Les dépenses de santé restaient incontrôlables quoi qu’on fasse. Décréter la maîtrise ne suffit pas à la faire devenir réalité ! Concernant les dépenses de santé, les économistes sont d’ailleurs formels: aucune solution ne permet de limiter la demande. Les politiques en France ont bien eu l’idée de limiter l’offre de soins en diminuant le nombre de médecins formés. Non seulement cette solution n’a pas marché, mais en plus elle a créé une situation de pénurie médicale.
De recul en recul, la Sécurité sociale en arrive enfin a son actuelle action de sauvetage: faire reculer la part des dépenses de santé qu’elle prend en charge…
C’est la situation actuelle.
La solidarité existe encore, mais se recentre ou tente de le faire, sur les maladies à soins longs et coûteux, sur l’hôpital, sur la prise en charge des plus démunis. Les soins de ville, les soins courants, les honoraires des médecins de ville, les médicaments, les dents, les lunettes, deviennent les parents pauvres de l’assurance maladie.
Le discours politique ne peut pas évoquer ouvertement ces recentrages. La mise en accusation des vilains docteurs qui prennent trop cher aux pauvres malades est une option démagogique qui sert de façade aux restructurations. En effet, le recul de la prise en charge maladie par la sécurité sociale est d’autant plus voyant qu’en ville, les honoraires médicaux n’ont pas ou peu été augmentés les 20 dernières années, et que les médecins n’ont réussi à maintenir leur niveau de revenu que grâce un usage extensif du secteur 2, faveur accordée par la sécu, mais prise en charge uniquement par les organismes complémentaires.
La Sécurité Sociale en mode recul, la mutualité en mode avance. ..
Le désengagement des dépenses de santé par la sécurité sociale a 2 conséquences
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la part des dépenses financée par les organismes complémentaires augmente (du coup, leurs tarifs aussi)
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la part des dépenses à la charge des ménages, le «reste à charge» augmente. Alors, on invoque le secteur 2, et les dépassements d’honoraires. En théorie, la sécu s’en fiche, car elle ne les rembourse pas. En pratique, elle est obligée d’en tenir compte, du fait de la dimension sociale des restes à charge. Car désormais, ce sont les mutuelles qui font pression pour ne plus supporter le financement des honoraires libéraux et notamment de ceux des médecins de secteur 2.
Et revoila! les mutuelles et les assurances complémentaires retrouvent, quelque 70 ans plus tard, une place de premier plan dans l’histoire de la protection sociale.
En réalité, l’état est en train de leur transférer une partie des dépenses de santé.
Les mutuelles manifestent un vrai intérêt pour une main-mise sur la santé. Elles en ont l’expérience dans de grands pays.
Pour ce faire, en France, investir les caisses de la sécu est la première étape… Par un tour de passe-passe, voici donc mutuelles et complémentaires qui se mettent à alimenter directement les caisses de la sécu: le 25 octobre 2012, un avenant assez controversé (article 7 de l’avenant n°8 à la convention nationale), organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie, prévoit de «nouveaux modes de rémunération» des médecins: ceux qui acceptent de s’engager à limiter leurs dépassements d’honoraires recevront une rémunération forfaitaire.
Intéressons nous de près à cet avenant, cela en vaut la peine. En effet, n’est-il pas surprenant que la sécu se mêle ainsi de limiter des dépassements d’honoraires, qui ne sont pas à sa charge?
Sous couvert d’organiser les rapports entre les médecins et l’assurance maladie, l’avenant 8 organise dans le même temps les rapports entre l’assurance maladie et la mutualité.
C’est un savant échange de bons procédés. L’état ne réussit pas à gérer les dépenses de santé. En revanche, il y a une chose qu’il sait très bien faire: exercer des pressions sur les médecins libéraux. Les mutuelles et les assurances ont choisi de déléguer à l’Etat tout le chapitre démagogique… et en échange, elles ont pris en charge le montant de ces dépassements rabaissés, non pas en les remboursant aux patients ou aux médecins, mais en injectant la somme concernée (150 millions d’euros) directement dans les caisses de la sécu. Quel jolie acrobatie: venir ouvertement alimenter la sécurité sociale au nom de la diminution du reste à charge des patients!
En pratique, les complémentaires vont bien rembourser les dépassements en question. Mais plus aux patients. Ni directement aux médecins. Et moins que prévu grâce à la pression de l’état. La somme abondée par les mutuelles sera reversée aux médecins sous couvert de la sécu. Très fort ! Un retour en douceur, mais une entrée remarquable de la mutualité et de l’assurance dans le budget de la santé. De quoi ajouter quelques chapitres à ce texte assez rapidement.
http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl1412.asp
Sauvera t’on la sécu ? .
70 ans après sa naissance, la sécurité sociale, est une vieille dame agonisante.
Elle a toujours été trop dépensière, n’a pas su capitaliser pour ses vieux jours, n’a pas su se restructurer. D’éminents économistes auscultent ses défaillances financières et proposent des remèdes qui ne rétablissent pas l’organisme. Pendant que les politiques (surtout dans les moments ou ils ne sont pas au pouvoir) et les économistes, réfléchissent à d’improbables solutions, de fins mutualistes s’infiltrent discrètement dans les comptes de la vieille dame. Une fois dans la place, on ne voit pas comment pourrait s’arrêter la spirale de la prise en charge de la santé par les complémentaires…
Exit petit à petit la solidarité sociale. La Sécurité sociale permettait une double solidarité, verticale (entre hauts et bas salaires, les premiers, à taux de cotisation égal, finançant plus du fait de leur plus gros salaire), et horizontale (entre malades et bien-portants). Les complémentaires ne sont pas des organismes solidaires, quoi qu’ils veuillent le faire croire: mutuelles comme assurances donnent beaucoup uniquement à ceux qui payent beaucoup. Et n’offrent pas les mêmes prestations aux malades et aux bien-portants.
Il restera éventuellement un petit reste, un petit zeste de sécurité sociale, pour les plus démunis et les plus malades. Mais la vraie solidarité à laquelle aspirait la création de la Sécurité Sociale aura probablement été une histoire brève. Les organismes complémentaires de financement ne se sont jamais éloignés beaucoup, les mutuelles et autres assurances attendent depuis presque 70 ans, et aspirent à reprendre la place qu’elles ont occupé bien avant cette sociale invention.
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