De l’oeuf félé au grain complémentaire, ou comment Mutualité se substitue progressivement à Sécurité

L’idée de départ était une trouvaille génialement sociale. Créer et remplir un panier dans lequel les travailleurs pondaient sans exception des œuf plus ou moins gros, et dont tous les malades pouvaient consommer un ou plusieurs œufs sans finance débourser. Une sorte de vase communiquant. Les œufs sortaient de la poche de tous ceux qui travaillaient, pour finir dans le compte en banque des médecins, et en échange les malades étaient soignés quasi gratuitement.  Ce truc top satisfaisait tout le monde, patients comme médecins. 

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Le mouvement d’entrée et de sortie des œufs semblait un mouvement perpétuel. Aucune félure de coquille.   Le créateur de ce système étanche, rempli d’œufs potentiellement incassables avait si confiance en son invention qu’il la baptisa du joli nom de « Sécurité ».  Enthousiasmé par ce système auto-fonctionnant, il ne pensa pas une seconde à le « Sécuriser ». Pas même un petit matelas de paille sous les œufs.

Les malades  se disaient « tant qu’à faire, comme j’alimente en œufs, ils sont en quelque sorte un peu à moi,  je les utilise à ma guise ».  Les médecins se disaient  « plus je vois de patients, et plus je fais d’examens, plus ça me transfuse d’œufs sur mon compte bancaire ».  Les œufs devenaient malgré tout de plus petite taille, et rarement revalorisés, mais il suffisait juste de se conformer aux demandes des patients, plus de soins, plus d’explorations, et cela  alimentait le compte médical en oeufs. Sans songer que le panier du haut commençait un peu à se dégarnir. 

Nul n’avait songé aux futures tempêtes.  Or un jour,  une première tempête se produisit, puis d’autres.   Un fort vent de crise se mit à souffler, et remua le panier.  Des œufs cassèrent. Ca fit de l’omelette, et elle se mit à fuir par les trous du panier. En plus, les poules-patients pondeuses, fragilisés par le vent du chômage pondirent moins d’œufs. Le panier se remplit moins tout en se vidant toujours autant.  Le frère de Sécurité, qui se nommait «  Troudelasécu » fut chargé de réfléchir au comblement du trou car aucune sécurité n’avait été prévue jusque là.

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Malheureusement Troudelasécu n’était pas resté fermier comme Sécurité. Il avait fait des études et était devenu un homme politique.  Et comme tout politique, le bon sens paysan l’avait déserté au moment de son élection. Du coup, il n’eut pas l’idée de mettre en pratique une solution simple, que n’importe quelle fermière sensée conseillerait.  Si les poules pondent moins, et que les œufs cassent, il y a donc moins d’œufs. Donc si tu veux les préserver… tu dois en vendre moins. CQFD.. Le problème de ce théorème simple, est qu’il eut fallu expliquer aux patients comme aux médecins qu’il n’allait plus être possible de laisser le robinet de vidange des œufs si largement ouvert.   Or, ni les médecins ni les patients ne voyaient de raison d’utiliser moins d’œufs dans leurs recettes de santé.

Complètement paniqués par la peur de se prendre des œufs pourris sur la tronche en sortant de l’assemblée ou du conseil des sinistres, Troudelasécu et ses amis gestionnaires ne trouvèrent pas alors le courage de se mettre à dos un peuple entier de cotisants, et de médecins.

Ils cherchèrent des solutions alternatives aux œufs. Injectèrent un peu d’œufs synthétiques dans le panier, à coup de quelques taxes, de type contributions sociales généralisées ou pas.  Le secrétaire d’état « Restacharge » fut chargé d’une double mission.  Faire discrètement  payer une plus partie des œufs utilisé par les  patients en instaurant une contribution généralisée. Et en même temps, pour dissimuler ce glissement de la séculaire gratuité, offrir des œufs gratuits à ceux qui n’avaient pas les moyens d’alimenter le panier par leur travail.  Par un phénomène non prévu des politiciens, explicable à l’évidence par des économistes que personne n’écoutait, ou même par des ménagères ayant la tête sur les épaules,  plus on ajoutait d’œufs taxés, plus le débit d’utilisation augmentait. Le trou ne se combla pas, bien au contraire.

Même les œufs de synthèse étant inutiles, il fallu vraiment se poser la question d’un ingrédient vraiment nouveau, vraiment différent, vraiment efficace. Un truc qui solidifierait l’omelette et l’empêcherait de couler.  

L’on se souvint alors d’une famille du voisinage. En 1945, au moment de la naissance de Sécurité,  vivait au village une famille unie, et riche, dont la fille se nommait « Mutualité ». Cette famille tenait commerce d’œufs depuis Napoléon Premier et avait été vexée de se voir évincée du panier de Sécurité. Depuis que Sécurité s’était imposée dans la santé,  La famille de Mutualité vivotait, faisant commerce d’ un peu de grains de blé. Elle n’avait trouvé que cela, faire des gros grains qui ressemblaient aux oeufs. Elle avait même commencé à vendre quelques grains aux patients pour compenser  la partie non remboursée des œufs.   

Sécurité, à bout de finances, eut une idée. Elle rendit visite à Mutualité avec un drapeau blanc, et lui tint à peu près ce langage : Eh, Madame Mutualité, que vous êtes jolie, que vous me semblez belle. Sans mentir, si vous voulez bien injecter vos gros grains ressemblant à mes oeufs, afin de remplir de mon panier d’œufs qui se vide, nous aurons trouvé la recette pour combler le trou de la santé dans tout le païs. TROU-DE-la-secu-4-001.jpg

Mutualité  saisit aussitôt cette chance inestimable. Elle commença subtilement par faire acquérir ses grains par les patients. Comme les grains ressemblaient fort aux oeufs, les patients, en tant que malades potentiels, pensaient ainsi établir leur sécurité future au prix d’un petit effort d’investissement. Rapidement, le tarif des grains augmenta, parce qu’il fallait payer un budget publicitaire afin d’inciter les patients à investir dans les grains. Surtout, Mutualité s’acharna à expliquer à sa candide amie Sécurité, que toute cette liberté de soins, ces œufs manquants, ça obligeait les patients à acheter plus de grains, que les patients râlaient d’être obligés d’en acheter autant, et que c’était d’évidence à cause de ces vilains canards les docteurs qui utilisaient tant et trop facilement les grains. Elle incita Mutualité à aller mettre son grain de sel dans la distribution des oeufs et des grains aux docteurs.  Par un avenant échange de signatures dans la 8ème porcherie en entrant à gauche, Mutualité, obtint enfin ce dont elle rêvait depuis toujours. Empêcher les médecins de gagner  tous les œufs et de percevoir autant de grains de blé mutualistes qu’ils méritaient, et en échange, avoir le droit de se mêler des affaires du panier de Sécurité.

Mutualité  avait parfaitement  compris l’inaptitude de Sécurité à gérer ce panier d’œufs. Elle avait aussi remarqué la grande passion de Sécurité pour les médecins, qu’elle adorait particulièrement emmerder. Sécurité fut donc chargée de casser des œufs sur le dos des médecins, les accusant de tous  ses malheurs.   Les accusant d’avoir fait augmenter le prix des grains de mutualité à cause de leur usage immodéré des oeufs. Aidée du frère de Mutualité, « Tierpéant », qui arrivait de Touraine,  Sécurité se chargea, pour le plus grand plaisir de Mutualité,  de mettre en œuvre un nouveau mode de fonctionnement : désormais, les patients n’auraient plus à régler aucun frais, ni la partie de l’œuf qui restait à leur charge, ni les grains qui complétaient.  Notamment, le règlement des grains serait assuré directement par les employeurs.  Ainsi, au nom du bien-être des malades, les patients  n’auraient plus aucun regard sur la gestion du panier, et les médecins seraient enfin à la merci de Mutualité. Mutualité pourrait ainsi faire ce qu’elle voulait, et ce qu’elle voulait c’était 1- se débarrasser complètement de Sécurité à terme et 2- gagner beaucoup d’argent. trou-de-la-secu-3-001-copie-1.jpg

Pour obtenir de tels résultats, il fallait que Tierpéant réussisse à s’imposer. Il fit venir une fermière de Touraine de ses amis, sourde, aux gros yeux globuleux, également dépouillée de toute émotion depuis son passage en politique, et elle s’occupa de mettre le corps médical en omelette avec un enthousiasme soutenu par l’assentiment de tous ses petits camarades du gouvernement trop contents de cette recrue motivée. Et comme elle était sourde, elle n’entendit aucune réclamation des médecins.

Les médecins de l’hôpital public se réjouissaient de cette histoire de grains complémentaires, convaincus que les médecins de la ville débordaient de grains. A l’abri de leurs murs hospitaliers, les médecins hospitaliers n’avaient toujours pas intégré que les oeufs les rémunéraient aussi, bien qu’indirectement, et que  les médecins dits libéraux, ceux rémunérés directement en œufs n’étaient en réalité pas les plus gros pourvoyeurs de dépenses d’oeufs.

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Les patients se réjouissaient, car ils pensaient toujours comme en 1945 que tout devait continuer à être « gratuit ». Ils continuaient à ignorer superbement que les oeufs de Sécurité leur coûtaient un bras, et que les grains de Mutualité n’étaient pas donnés. Un nouveau ministre, « Ontefaitcroirequelemployeurpayeataplace » les avait une fois encore endormis en transférant habilement le règlement des grains de Mutualité à leurs employeurs, de sorte qu’ils n’avaient plus le sentiment de payer. Ils ne réalisaient pas qu’on allait les imposer sur ces sommes qu’ils n’avaient en réalité pas encaissées. Ils réaliseraient surtout trop tard, que les grains fournis par les cotisations de leurs employeurs allaient être bien maigres par rapport à ce qu’ils pouvaient s’offrir eux-mêmes auparavant et pour le même prix.

Et puis, les patients, dans leur grande confiance, imaginaient  qu’ils pourraient toujours user les œufs et les grains à leur bon vouloir, d’autant plus que « Tierspéant » s’échinait, à la suite d’un premier échec, à mettre en oeuvre la fusion finale entre Sécurité et Mutualité, cachée subtilement sous les dessous trompeurs d’un « vous n’aurez plus besoin de sortir votre portefeuille pour alimenter les médecins en oeufs ni en grains complémentaires ». Les cotisants, tous malades potentiels, ne réalisaient donc pas que, le jour ou ils seraient vraiment malades, on allait cesser de leur accorder tous les œufs qu’ils considéraient comme dus. Ils ne réalisaient pas que les grains complémentaires allaient être distribués de plus en plus chichement.  Ils ne réalisaient pas qu’in fine, ce serait toujours eux, les patients, qui auraient à payer pour leur santé, que  ce soit en œuf ou en grains. Ils ne réalisaient pas surtout, que les œufs allaient progressivement disparaître, et à terme que la famille de Mutualité, et ses grains très chers, allaient complètement prendre la place de Sécurité et de ses petits oeufs fragiles que l’on avait pourtant crus incassables pendant près de 50 ans.

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