- Etre malade, c’est commencer à parcourir un monde nouveau. Aux côtés d’un nouveau partenaire, son médecin. Normalement, le médecin fournit au patient armes et bagages pour se débrouiller seul dans le nouveau paradigme que représente la maladie. Sauf qu’en vrai, ce n’est pas si simple. Le patient ne peut pas avoir appris les codes pour s’en débrouiller après seulement quelques contacts médicaux.
- On reste trop ancré sur l’idée que le médecin soigne surtout des maladies aigues. Ça, c’était avant. Avant, les malades chroniques n’étaient pas très nombreux, juste du fait ne vivaient jamais bien longtemps. Ils souffraient et mouraient de leur unique maladie. Sur le long terme, les médecins n’avaient pas vraiment à s’en occuper dans le sens où ils ne pouvaient pas faire grand-chose quoi qu’ils fassent. Jusqu’à ces 30 dernières années, les patients chroniques multipathologiques, cela n’existait guère. L’ancien cancéreux désirant faire un emprunt, c’est quelque chose de nouveau. L’hypertendu, stenté, remis de son infarctus, aux artères bouchées, au foie cirrhoïsé, diabétique à l’insuline, ulcéreux, sous anticoagulants et autres médicaments, traité pour son cancer, témoigne des progrès de la médecine . Le patient avec une, 2, voire 3 pathologies coexistantes est le quotidien. Et c’est nettement plus compliqué à gérer par les médecins.
- Dans ce contexte, Le parcours de soins, c’est la vraie vie du patient. Mais ce parcours, en fait, se passe en dehors du bureau du médecin. En pratique, il débute temporellement une fois sorti de chez le médecin , quand le malade se retrouve seul chez lui, avec la ou les maladies et tout ce qui va de pair avec. Le problème de santé, c’est 20% de médical, 30% de questions médicales ou non, à approfondir et 50% de social.
- Toutes ces polypathologies, tous ces nouveaux traitements lourds, changent le visage de la clientèle des médecins. Mais comme la vieillesse et la maladie restent souvent une sorte de naufrage, les patients ont besoin d’accompagnement.
- Il apparait alors que la médecine n’a guère changé. Elle reste centrée sur le symptôme, sur la maladie, sur les médicaments.
- Au-delà de la technicité médicale, l’attente des malades est de voir la consultation et l’hospitalisation prolongées par une prise en charge transversale. Les malades veulent un accompagnement, la coordination d’un suivi et le balisage d’un véritable parcours de soins, dont ils demandent à être le centre d’intérêt.
- De manière simpliste, on se dit que les médecins peuvent facilement assurer la fonction « Parcours de Soins ». En fait, on a juste modernisé l’image paternaliste du médecin de famille, disponible à tout moment et à tout malade en notion de « Parcours de soins ». Sans considération des changements et de l’évolution sociétale, on attend que le dévoué docteur de famille devienne désormais un technicien médical aux compétences entretenues et avérées, mais aussi le pivot de toute la transversalité et du suivi des maladies de ses patients.
- En toute objectivité, la démesure de cette attente saute aux yeux . Imaginer que les médecins seraient suffisamment disponibles pour assurer la transversalité des maladies chroniques, non seulement la partie médicale mais aussi tout le parcours de soins des patients, c’est faire fi de la complexité des patients, des multi-pathologies, du manque de temps médical, de la sous rémunération du travail médical, et aussi de toute la dimension sociale des problèmes médicaux. C’est omettre la baisse du nombre de médecins, l’explosion de la demande de soins médicaux. L’acte médical est si mal tarifé qu’il oblige à la multiplication. Les médecins sont toujours pressés. Les autres soignants aussi d’ailleurs. Quelques jours à l’hôpital permettent de le réaliser. On croise des soignants agités, bousculés, sur- occupés, besogneux, passant en coup de vent dans la chambre, venus juste déposer des gélules, faire une prise de sang, poser une question, dont ils écouteront la réponse en repartant vers la sortie tout en répondant au téléphone qui sonne sans relâche. On ressort de l’hôpital pour trouver un médecin traitant pas plus disponible (par quel miracle serait il moins occupé que les hospitaliers ?). Il faut aussi appeler 10 infirmières pour en trouver une, autant de kinés pour un avoir un disponible.
- Pourtant dans ce contexte, l’idée perdure que les médecins, depuis leur bureau de consultation, et tout en s’occupant d’autres malades, peuvent en même temps continuer à rouler à côté de tous leurs patients et piloter leur parcours.
- Ca arrangerait tout le monde, d’ailleurs, qu’on arrive à persuader les médecins d’assurer tout le suivi du Parcours de Soins. Car cette attente des patients va justement dans le sens des économies de santé telles que bien vues par les payeurs. Accompagnement des patients signifie meilleure observance thérapeutique, moins de recours médicaux, raccourcissement des hospitalisations, moindres réhospitalisations.
Jusqu’à ce point, ce texte est consensuel.
Cela risque d’être moins vrai avec la suite .
Mais, bon tant pis, je me lance…
- Tout d’abord, ne pas se leurrer sur la dimension économique de la prise en charge des parcours patients. Elle évite des réhospitalisations, des consultations, elle permet une meilleure observance thérapeutique. D’où la forte implication de la CPAM. Et, comme à l’accoutumée, celle-ci profite de l’inertie médicale pour installer des modèles relevant de sa propre logique comptable, et en laissant les médecins en dehors. Elle a tort, elle devrait les impliquer. Mais elle a une si basse opinion de la capacité des médecins à faire cela, que le choix a été de les contourner en douceur. Tout en assurant, bien sûr, qu’ils devraient être impliqués ! . Prado, programmes de télémédecine gérés par les ARS, tout cela relève en premier lieu d’une logique d’économies de santé.
- Ensuite, ne pas se leurrer sur les attentes des patients. Quand ils sont hospitalisés, ils retiennent en tout premier la qualité de l’hôtellerie. Quand ils sont malades, certes ils apprécient les compétences médicales de leurs soignants, mais ils réclament avant tout un accompagnement. Or, les médecins ont du mal à changer de logique. La consultation n’a guère évolué depuis un demi-siècle. Les médecins soignent l’organe, la maladie. Les intervenants médicaux successifs s’occupent chacun de leur spécialité. Cependant, il est vrai que les médecins sont tous déjà surchargés de travail, et passablement exténués, et il est donc illogique d’attendre qu’ils puissent assurer en supplément gratuit toute la transversalité des patients.
- Enfin, et surtout, il ne faut pas se leurrer sur l’inaptitude du corps médical à mettre en œuvre une sorte d’intelligence collective pour garder la main sur d’importantes questions qui le concernent.
Les forums de patients, ainsi que les groupes FB de patients, démontrent comment l’intelligence collective leur permet d’avancer quand ils sont atteints d’une maladie chronique. S’ils viennent parfois s’y plaindre du trop bref accompagnement médical, ce n’est pas l’essentiel de leur présence. Le fondamental des bons forums et groupes de patients, c’est la mise en commun des connaissances, l’aide mutuelle. Une authentique intelligence collective s’y crée. s’il y a des erreurs (car les patients ne savent pas tout), elles sont vite rectifiées. Quelques patients deviennent des experts de leur pathologie. C’est un vrai progrès. Le refus de certains médecins d’accepter l’expertise des malades et leur quête d’information n’est pas normal. C’est dans l’ordre des choses, et fait partie des parcours patients que les médecins se doivent désormais d’accepter, voire d’accompagner.
Sur le très actif groupe Facebook « les médecins ne sont pas des pigeons », comptant 33865 membres, les post des médecins se focalisent sur les luttes et les griefs. Etre contre toute la loi de santé, fermer les cabinets, faire des actions de santé morte, refuser le tiers payant. D’accord, moi aussi, je suis totalement opposée au tiers payant généralisé. Mais ce sont nos syndicats qui ont négocié cela avec les gouvernements successifs. Et nous avons laissé faire. Maintenant que c’est fait, nous sommes contre. Etre contre n’ouvre pas forcément les portes de la liberté.
Ce qui arrive aux médecins est le résultat du manque d’utilisation de leur d’intelligence collective. Ou plutôt, c’est comme si l’intelligence collective du corps médical trouvait sa seule cohésion dans l’opposition. Tous ensemble, les médecins n’ont jusqu’à présent pas su définir ce qui était important pour la profession. Ils savent surtout ce qu’ils refusent.
… Une autre manière de gagner en crédibilité pour le corps médical, serait de définir ses fondamentaux collectifs. Se battre contre tout ce qui a été mis en place permettra peut-être des reculs, mais ils ne seront jamais spectaculaires comme espéré. Le secteur 2 ne se libérera plus. Le tarif de la consultation ne sera surement pas revalorisé comme il le devrait. Les charges resteront lourdes. Le tiers payant va être un véritable casse-tête. Les pressions des caisses et des tutelles s’accentueront. Bien sûr que l’on est réticent à tout cela, mais en même temps, la majorité du corps médical a laissé faire. Ainsi, les questions a poser pourraient être : Pourquoi les programmes de suivi des patients mis en place contournent t’ils les médecins ? Pourquoi, nous médecins, n’avons-nous pas su mettre en place le dossier médical partagé, alors que nous savons bien que cela se fera quand même, mais sur notre dos si l’on ne veut pas s’en emparer. Pourquoi tant d’ordonnances sont-elles de piètre qualité, alors que c’est le fondamental du métier de médecin, et que nous pourrions « vendre » cet objectif qualité.
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Si nous, médecins, collectivement, proposions des évolutions, nous pourrions les négocier. Ce serait générateur de respect, et non d’obligation, et nous réussirions forcément à discuter d’égal à égal avec les tutelles afin que la mise en place d’actions soit considérée comme un travail médical supplémentaire et donc à ce titre reconnu et même rémunéré. Alors qu’à l’heure actuelle, non seulement tout passe dans le dos du corps médical, mais en plus, les tâches sont supposées s’ajouter bénévolement. C’est insensé que les médecins soient collectivement si désunis et si faibles, au point d’en être arrivés à montrer une incapacité de la corporation à se valoriser, à faire valoir ses qualités. Au point d’en être arrivés à se faire laminer. Au point d’utiliser le peu d’énergie qui reste juste à essayer de se défendre au lieu d’être pro-actif.
Dans la vraie vie d’un bloggueur médical, les posts non médicalement consensuels sont moins lus et moins relayés que les autres par les collègues, parce qu’ils n’aiment pas lire des choses dérangeantes. Par exemple, celui la http://www.cris-et-chuchotements.net/2015/06/d-une-consultation-mal-vecue-au-probleme-de-la-loi-de-sante.html . C’est fou, le silence assourdissant qui fait suite à un texte ou l’on évoque « Un large débat sur la santé réunissant les médecins et les patients, autour des attentes respectives et des valeurs communes …. . Pour ne pas se voir imposer des lois que personne n’appréciera, il serait temps que tous, médecins et patients, aient le courage de leurs responsabilités respectives. PS: que font les Think Tank ? on les attendrait bien sur ce thème. ».
A ce point que j’ai aujourd’hui une tentation. Celle de créer un nouveau groupe FB, que l’on pourrait dénommer : « les médecins prennent leur envol » ou bien « Intelligence Collective Médicale »
Merci de vos réflexions qui semblent d’une logique implacable : mais l’indifférence, n’est-ce pas le lot de tous les jours et souvent des professions les plus occupées ?
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