Les médecins sont à nouveau en grève contre la loi de santé,
Comme d’habitude, la majorité des usagers du système de soins ne sera au courant de cette grève que s’ils se cognent à la porte fermée de leur médecin. Comme d’habitude, malgré les actions de sensibilisation réalisées par le corps médical, qu’ils soient patients ou représentants de patients ils ne se pencheront pas sur les raisons d’une grève qu’ils estiment être une grève de nantis. Quelques collectifs de patients rejoignent les médecins dans leurs actions revendicatrices, mais ne suffisent pas à sensibiliser les usagers.
Comme d’habitude, les journaux titreront « Grève des médecins : forte mobilisation selon les syndicats, quelques dizaines de réquisitions selon le ministère »
A voir ces divergences entre les uns et les autres autour de la question du système de santé, je pose la question :
Mais, qui donc est expert du système de santé ?
Les patients par leur position d’usagers ? les associations de patients qui les représentent ?, les médecins de par leur métier ? , les politiques et leur vision transversale et sociale ?
Les médecins sont les experts de la médecine. Cela fait t’il d’eux des experts du système de santé ?
Leurs syndicats ne démontrent pas forcément une vraie expertise du système de santé, les moyens et les actions vont dans des sens tellement divergents, qu’ils semblent plutôt permettre au législateur d’avancer au gré des alliances et mésalliances syndicales. Bien que certains syndicats aient signé la convention médicale, et se soient assis à la table des négociations gouvernementales, des lois se sont faites à l’encontre des valeurs des médecins. Aussi, le corps médical est-il conduit à faire grève pour tenter de faire entendre l’avis de la base, ce n’est pas normalement sa façon de faire. Les médecins se battent parce qu’ils ont la conviction que la loi de santé va tuer la médecine libérale. Leurs arguments sont « scientifiques », issus précisément de la lecture et du décorticage des textes soumis aux députés et sénateurs. Plusieurs médecins informés et médiatiques relaient ces analyses scientifiquement étayées, et le corps médical est d’accord avec les constatations suivantes:
– le contrôle et les pressions des caisses s’accentuent au point de décourager des médecins généralistes libéraux (http://blogs.mediapart.fr/blog/cecilie-cordier/061015/la-medecine-generale-asphyxiee-34-flagrant-delit-de-prescription);
– les mutuelles envahissent le domaine des frais de santé. Pas une séquence pub sans une pub pour une mutuelle, publicité payée avec les cotisations des patients. Qui ne s’en offusquent pas. Qui ne réalisent pas non plus ce que savent déjà les médecins : toutes les excellentes et pas très chères mutuelles d’employeur, c’est fini et remplacé par des contrats « responsables », à prix quasi identique mais à montant maximum de remboursement plafonné à 150% au départ, 100% ensuite.
– La partie administrative se développe, c’est la vraie crainte du tiers payant. Mathématiquement, plus les tâches administratives s’hypertrophient, plus la disponibilité aux patients s’atrophie.
– Les médecins en sont convaincus à la lecture des textes… Derrière cette loi, c’est la mise en place de réseaux de soins. Ils craignent que les patients s’en rendent compte trop tard. Le réseau de soins sera un parcours remboursé fléché par la mutuelle qui l’imposera sous condition de prise en charge. L’ouverture des données de santé aux caisses et mutuelles offrira un efficace moyen de pression des tutelles sur les patients. A un moment, plus proche qu’on ne le pense, le choix sera pour un patient: s’il ne veut rien payer, consulter le médecin agréé par sa mutuelle, être obligé de suivre correctement ses traitements, et de prendre en charge tel et tel facteur de risque de santé. Pour celui qui préfère consulter un autre médecin, ou se soigner insuffisamment, ou différemment ?. Eh bien, selon toute vraisemblance, il en règlera tout ou partie de sa poche. En résumé, cela signifie: la fin de la médecine libérale.
Les patients sont les experts de la maladie. Cela fait t’il d’eux des experts du système de santé ?
Les patients ainsi que leurs représentants ne démontrent pas forcément une vraie expertise du système de santé. Les réseaux sociaux alimentent plus la défiance que la confiance, et le terreau du mécontentement par rapport aux attentes des patients à l’égard de leurs médecins est fertile.
Ce n’est ni scientifique ni constructif de laisser faire voire d’adhérer à ces mises en cause des médecins. Est-ce ainsi qu’on pense éduquer des praticiens que l’on souhaite voir changer ? en critiquant ? La généralisation est délétère, mais facile. A partir de quelques cas, les critiques cherchent et trouvent souvent de l’écho. En témoigne le hashtag à la mode #PayeTonUterus, qui recense les maltraitances gynécologiques. Et un questionnaire actuellement en ligne « QUESTIONNAIRE D’EVALUATION DES VIOLENCES OBSTETRICALES – FRANCE 2015, contenant un nombre impressionnant de questions. https://docs.google.com/forms/d/1x0Ge7BptBEuU9Sk9yO1aDJ-mDH_vCcp_iIpATYPKOoI/viewform . Vu le nombre d’items de violences obstétricales recensées, il est impossible de répondre non à toutes les questions. Il sera forcément aisé de conclure que la majorité des accouchements se passent dans une ou des violences. Ensuite, d’en généraliser simplement la raison : « c’est de la faute des médecins »…. Puis d’en tirer d’encore plus grandes généralisations telles que « Les mauvaises pratiques viennent d’une mauvaise formation », « Il suffit d’un médecin qui fait ça, c’est trop », « le patient est trop absent de la formation » « sur le consentement partagé en médecine il y a encore du travail, non »? « Lors d’un accouchement, d’une consultation, d’une IVG, le corps de la femme ne lui appartient plus », « les gynécos sont maltraitants ».
Autour des patients et des hashtags comme celui la, entre autres, le soutien de quelques médecins qui partagent en partie l’idée que la critique serait la seule manière de pousser le corps médical vers l’amélioration. J’en conviens, le corps médical doit travailler à améliorer collectivement sa qualité de prestation. En revanche, penser que des critiques individuelles, même nombreuses, envers certaines pratiques, vont enclencher spontanément des démarches d’améliorations de la part des médecins est un non-sens. On n’obtient jamais d’améliorations relationnelles en procédant ainsi.
Donc, les patients sont des experts de la maladie. Mais pas du système de santé. Ni des médecins. Et ils ne se sont pas assez rapprochés de la majorité du corps médical pour étudier avec lui la manière d’améliorer les comportements décriés de certains médecins. Injonction ? Critique ? Remise en cause ? Puisque tout ceci ne semble pas porter ses fruits, les patients sont nombreux à se dire que finalement, la contrainte par la loi serait finalement une solution… du coup, la plupart des associatifs et des patients agréent la loi de santé. Et ne s’associent pas à la fronde médicale. La contrainte financière et administrative du corps médical leur parait être le futur garant d’une prise en charge adaptée à l’attente des patients. Sont-ils sur la bonne voie en pensant ainsi ? rien n’est moins sur…
Les politiques sont les experts des financements et des déficits. Cela fait t’il d’eux des experts du système de santé ?
Les représentants politiques ne démontrent pas forcément une vraie expertise du système de santé.
A l’image de certains patients, et en utilisant non seulement les réseaux sociaux, mais la presse, le législateur pratique la dévalorisation des médecins. Ce n’est pas pour améliorer la relation médecin patient, dont il se fiche. Seuls la gestion financière, la répartition des ressources, et le contrôle l’intéressent. Et pour ce faire, le législateur utilise une méthodologie à la mode et à l’efficacité prouvée : Discréditer les médecins. Cela lui permet habilement de faire pencher les patients de son côté, car naturellement en demande d’améliorations, les patients pensent que le législateur oeuvre dans leur intérêt.
Donc, le législateur jette l’opprobe sur les médecins pour des motifs dont ils sont loin d’être les uniques responsables. Le législateur montre du doigt les vilains libéraux qui ne veulent pas s’installer dans les déserts médicaux, ne veulent pas prendre des astreintes, refusent des patients, ne révisent pas les ordonnances, ne gèrent pas les passages aux urgences, ne régulent pas les soins, dépensent sans compter les deniers de la santé en faisant payer trop cher les consultations. Le législateur omet de rappeler que c’est lui qui a mis en place le secteur 2, et les dépassements d’honoraires, lors d’une précédente convention, donc le plus légalement possible. Et que c’est lui qui bloque les honoraires conventionnels obligeant ainsi les médecins, s’ils veulent conserver un revenu constant, soit à travailler plus, soit à augmenter les montants de dépassements. Ainsi on peut lire dans la presse « pour gagner plus, préférez les déserts médicaux ». Sous entendu, vous travaillerez plus, donc gagnerez plus. Manque de chance, ce n’est pas le désir actuel des jeunes praticiens, une grande partie d’entre eux souhaitant privilégier qualité de vie et non revenu.
Il faut donc contraindre les médecins, et le législateur ne s’en prive pas. D’autant qu’un large boulevard s’ouvre à lui, entre d’un côté les discours divergents des syndicats et de l’autre, le mécontentement des patients. Il est ainsi assez simple de de décréter des lois épouvantails pour les médecins et de tenir le cap malgré une opposition massive des médecins. En l’état, ces lois sont silencieusement approuvées par les patients parce qu’ils pensent ainsi obtenir la qualité médicale qu’ils espèrent, sans réaliser pour le moment que les améliorations espérées par les patients ne figure à aucune endroit de la future loi de santé, cf plus haut.
Finalement, qui est expert du système de santé ?
Personne n’est plus expert qu’un autre du système de santé. Même pas certains économistes dont le credo est plus de jeter des pavés dans la mare que de faire avancer la réflexion commune de ce triangle relationnel constitué par les médecins, les patients, et le législateur.
La loi de santé va probablement passer malgré l’opposition massive des médecins. Ensuite, les patients vont découvrir progressivement que les contraintes de cette loi les concernent tout autant que leurs médecins. Car la loi va imposer des contraintes aux patients, il ne faut pas rêver, pas penser que la pression portera sur les seuls médecins. Le non-règlement des consultations directement au médecins ne rendra pas gratuite la santé. L’utilisateur la payera, forcément. Et surement même plus cher qu’à présent. L’hypertrophie des obligations et tâches annexes pour les médecins sera forcément vecteur d’une hypotrophie du temps consacré aux patients. L’inverse de ce que veulent les patients. Jusqu’à quel point pourra t’on continuer à rendre la profession médicale responsable de l’insatisfaction des uns et des déficits financiers des autres ?
Se mésestimer les uns les autres n’a jamais été vecteur d’amélioration de qualité. Pourra-t’on continuer à se passer d’organiser des Etats Généraux de Santé ? Car, au delà des pressions sociétales et financières, l’expertise du système de santé n’est pas plus aux usagers qu’aux médecins ou aux politiques. Si patients et médecins veulent s’accorder sur des VALEURS communes, il faut une réflexion conjointe et tournée vers le progrès, en ces temps d’évolution de la société, de ses demandes, de ses contraintes, de ses déficits, mais aussi de ses exigences.
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