De plus en plus souvent, tous les jours maintenant, nous sommes confrontés aux demandes de rendez-vous plus rapides. Il semble que les délais de rendez-vous s’allongent inexorablement, et pourtant les médecins ne travaillent pas moins, bien au contraire.
Chez nous, la secrétaire collige les noms et téléphone de tous ceux qu’elle a promis de rappeler si un rendez-vous se libère. Hier, il y avait 8 noms sur la liste d’attente d’un seul médecin, le prochain RV est à 3 semaines.
On développe des parades, des techniques pour réduire les délais. Tout d’abord depuis quelques mois, l’envoi systématique de SMS 48 heures avant la date de rendez-vous. Cela motive les patients imprévoyants à nous prévenir de leur absence, au lieu de poser un lapin. Ainsi, on peut rappeler certains patients de la liste d’attente pour rapprocher leur rendez-vous. Encore faut il payer les SMS, et avoir une secrétaire pour gérer les rappels.
Ensuite, il y a la plage dite « d’urgence ». A remplir en principe le jour même où bien la veille. En pratique, on y case tout patient urgent, et aussi tout patient qu’il est nécessaire de revoir rapidement. Mais ce n’est qu’une ou 2 consult par jour, bien moins que nécessaire pour résorber les délais.
Il y a aussi la compliance du médecin à accepter les demandes en plus. Cette compétence de dévouement dont tout le monde semble penser qu’elle est inséparable de l’exercice médical et sur laquelle tout un chacun semble compter de plus en plus. Le dévouement du médecin est un paradigme admis. Le problème du dévouement est le temps qui va avec. Aussi dévoué que l’on soit, accepter toutes les demandes des patients implique forcément plus de présence. Etre dévoué sous entend que le médecin accepte constamment de commencer plus tôt le matin, terminer plus tard le soir, ne pas avoir de temps pour s’interrompre au moment du déjeuner. Compter avec le dévouement médical, comprend donc comme légitime qu’un médecin empiète sur son confort et sa vie personnelle pour répondre à toutes les demandes. Et implique in fine que le médecin soit différent de tous les autres travailleurs au service des autres, et dispose, lui, d’un temps de travail extensible à l’infini, tant qu’il y a des demandeurs. Attendre des médecins cette disponibilité maximale sous entend la pensée qu’il est logique qu’un médecin s’épuise et dépasse ses propres limites pour être répondre à la détresse de tous ceux qui le sollicitent.
Ces demandes constantes de rendez-vous pressés sont génératrices de conflits. On reproche aux médecins ces délais qui s’allongent, on considère cette attente forcée comme une négation de vouloir aider les autres. Pourtant, ce n’est pas la faute des médecins si la demande explose et l’offre baisse. La demande étant toujours considérée comme légitime, ne subissant aucune régulation, les refus et délais médicaux sont assimilés à un manque de considération des problèmes de santé de l’autre, voire à une quasi volonté de nuire. Et des conflits, il y en a bien. Ceux qui veulent consulter sans délai tentent des techniques variées, insistance, supplications, menaces, exagération de l’urgence de leur problème de santé. Ils estiment d’une certaine manière que les médecins n’ont aucun droit inaliénable de refuser un rendez-vous rapide à une personne qui le demande. Les refus s’apparentent à une attitude égoïste (quoi, il ne veut pas rester pour moi, me prendre en plus..).
Les médecins ne sont pas insensibles aux problèmes posés par les délais. Déjà, il est difficile de voir un carnet de rendez-vous plein à 1 mois, 3 mois, 6 mois, voire plus. Il n’est pas possible pour un médecin de ne pas venir travailler s’il est malade. Comment et ou recaser tous les patients du jour manqué. Ces problèmes de délais fragilisent d’une certaine manière la santé des médecins, qui ne se reposent pas quand ils ont eux-mêmes un souci de santé.
Une autre fragilité est un sentiment de peur, toujours en filigrane. Et si on loupait la vraie urgence, et que l’on se retrouvait mis en cause?. C’est dans le domaine du plus que plausible, et déjà arrivé à certains.
Ensuite, la volonté de répondre aux demandes des patients pousse à vouloir dire oui à toutes les demandes, considérant la faiblesse de la situation de malade. Mais un moment peut venir ou le médecin ne pourra plus suivre, ou il s’épuisera, aura du mal à se concentrer sur les tâches multipliées. Est-on aussi performant à 20h après avoir vu 30 personnes ou plus ? . Comment garder ses facultés d’empathie quand on n’a aucun temps de relâche? .
Enfin, il y a l’impression diffuse de malaise. Latentes, ou affirmées, les situations conflictuelles se multiplient. Les patients acceptent mal les explications et n’admettent pas facilement d’attendre. Face à un patient se sentant rejeté parce que non, ce n’est pas possible maintenant, ni demain, le médecin ressent lui aussi une certaine frustration. Animé du désir d’aider l’autre, de rendre le service demandé, le médecin se questionne alors sur son dévouement. Devrait-il dire oui à tout, rester plus tard, commencer plus tôt, ajouter des consultations supplémentaires. Mais en cédant à cette pression, en acceptant toutes les demandes, le médecin sacrifie sa vie personnelle, et souffre également des frustrations ainsi engendrées.
Il existe des techniques pour dire « non, je ne peux pas maintenant, je ne suis pas obligé, je dis stop ». La difficulté de refuser vient de la répétition des mêmes situations de demandes, des mêmes insistances, des mêmes impatiences. L’offre de soins se raréfie et se complexifie, mais l’idée perdure que les médecins sont redevables de leur temps aux patients . On continue à penser les médecins obligés de tout et pour tous. On les fait culpabiliser de leurs refus, de leurs délais de rendez-vous, comme s’ils étaient des égoïstes indifférents à la misère de ceux qui veulent recourir à leurs services. De nombreux médecins, se sentant en quelque sorte indispensables, ayant un grand besoin de reconnaissance, sacrifient une partie de leur vie personnelle au soin des patients. Mais c’est de moins en moins le cas. Les médecins acceptent beaucoup, mais sont tant critiqués sur tant de points, délais de rendez-vous, tarifs, empathie, temps consacré aux patients, qu’à la fin ils finissent par se sentir des humains normaux qui ont envie d’une vie personnelle et de quelques loisirs. En plus, la population médicale est vieillissante et en vieillissant, on est moins dynamique, forcément.
La régulation de la demande de soins repose en pratique sur les épaules et la disponibilité des médecins. Ce n’est pas générateur de bien être, tant pour les consultants que pour les médecins en proie aux demandes multiples et ne pouvant y faire face.
La question des délais de rendez-vous, de la disponibilité médicale à toutes les demandes de consultations est un problème émergent, d’évolution foudroyante, qui se concrétise à chaque retraite de médecin non remplacé. C’est un vrai problème. De santé publique, et de santé physique et psychique du corps médical aussi. Les vrais problèmes en santé ne sont toujours pas abordés. Au lieu de s’intéresser à la question des délais, vraiment, sans rendre responsables les médecins de ça aussi, on prévoit de leur ajouter encore des tâches administratives. Mais, dans quel monde de la santé on vit ?
Excellent article, Maître ! 🙂
Un compatissant !
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Parfaitement d’accord avec ce qui est écrit, mais je déplore la façon dont les secrétaires médicales envoient paître les patients. Les médecins ne sont pas le problème, mais quand on appelle et que la secrétaire nous répond sèchement « non pas de rendez-vous, vous n’avez qu’à rappeler demain matin et peut-être qu’il y aura de la place », ça explique les insistances et les énervements. Si elles ne sont pas capables de faire preuve d’empathie et d’être plus aimables au téléphone, il faut changer de métier vu tous les refus qu’elles font dans la journée. Je travaille moi-même au téléphone, et jamais je ne me permets de parler comme ça aux gens…
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Cher Monsieur, malheureusement les délais de rendez-vous s’allongent, les médecins sont moins nombreux, moins disponibles, mais les personnes qui appellent pour prendre rendez-vous souhaitent qu’on leur réponde avec le sourire ‘oui, venez tout de suite, ou demain au plus tard’. Les secrétaires des médecins répondent sans cesse à des personnes qui ne comprennent pas cette problématique, les accusent presque de mauvaise volonté quand elles ne donnent pas le rendez-vous souhaité. Cette situation se reproduit un nombre significatif de fois chaque jour, et les secrétaires, qui sont des êtres humains, qui n’ont pas de pouvoir d’inventer des rendez-vous ou de décider du degré d’urgence a la place du praticien, elles sont fatiguées et laissent parfois transparaitre de l’impatience, en effet.
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Quand on souhaite pratiquer la medecine comme un salarié, il faut choisir d’être salarié
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Dans toute discussion, et face à quelqu’un qui tente d’expliquer un problème, il y a toujours un agressif qui veut avoir le dernier mot en disant une méchanceté, qu’il tient pour vérité. Cette personne, qui n’a bien sur pas le courage de mettre son nom, est donc passée voir mon blog aujourd’hui.
Surtout ne revenez plus, rien ne vous oblige à me lire avec tolérance et empathie.
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C’est vrai que le médecin généraliste est encore vu comme le médecin à l’ancienne, disponible (corvéable?) jour et nuit, accourant avec sa mallette au moindre appel.
Malheureusement c’est une image d’épinal.
Le problème est que les questions administratives sont encore basées sur la disponibilité utopique des médecins: employeur et SS qui réclament un arrêt maladie dans les 48h quand souvent il est impossible d’avoir un rdv dans ces délais, et qu’on ne peut se déplacer puisque souffrant (amusez vous à courir les salles d’attente avec une gastro carabinée, une grippe, une sciatique, c’est impossible mais obligatoire pour avoir ce fameux arrêt…).
Que faire alors? Pour ma part je ne me soigne plus, je perds une journée sans solde à chaque fois que je suis malade…Voilà la réalité pour une grande partie de la population. C’est aussi frustrant pour le patient que pour le médecin j’imagine.
Je ne vais jamais chez le dentiste, l’ophtalmo ou le gynéco puisque pas de place avant des semaines et que mon planning je ne l’ai que quelques jours avant… La prévention on repassera…
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