Cette semaine, les médecins ont décidé de faire une grève assez dure, et cela, alors même qu’ils sont parfaitement au courant que leur grève ne vient pas au bon moment question santé publique, ce que n’a pas manqué de souligner leur ministre, en les invectivant directement. Je n’écris pas ici pour donner mon avis sur le bien-fondé de ce mouvement, mais pour réfléchir au-delà du leit-motiv number one : l’augmentation du prix de la consultation de 25 à 50 euros..
C’est clair qu’une telle demande est pour le moins osée. Ca fait antisocial de vouloir faire de la médecine plus cher et de ne pas se cacher derrière l’illusion qu’elle est gratuite.
La demande d’augmentation n’est pas isolée. Le collectif de médecins gréviste a rédigé plein d’autres demandes dont personne ne parle. Ce que je trouve intéressant d’explorer, c’est de de se demander si, à l’identique de ce qui se passe pour leurs patients, la demande affichée par les médecins ne cache pas en réalité une ou plusieurs autres plaintes que celle qui motive la grève ? C’est ce qu’en consultation, on appelle « l’agenda caché ». Trouver les questions qui se dissimulent derrière la demande initiale peut faire passer dans l’explicite des informations qui autrement seraient restées dans l’implicite.
Faisons cela vous voulez bien : Quelles pourraient donc bien être les questions implicites de l’agenda caché des médecins en grève ? Est-ce que c’est seulement le prix de la consultation qu’ils voudraient revaloriser, alors qu’il y a tant d’autres choses à « revaloriser », en réalité ?
1/ En question cachée numéro 1, je propose la question de la qualité de la médecine que veulent pratiquer les médecins.
Il y a beaucoup d’intérêts à continuer de véhiculer cette position sacrificielle du médecin, incarnée par le généraliste libéral qui ne comptait pas ses heures au service de ses patients, en s’asseyant sur sa vie privée. Pourtant, ce médecin, faisait-il de la médecine de qualité ? eh bien pas forcément… il distribuait larga-manu des antibiotiques à la demande, des ordonnances et des certificats sur simple appel téléphonique, Il faisait de l’abattage pour répondre, déjà, à un consumérisme en phase exponantielle, et aussi par crainte que son patient aille voir ailleurs au temps de pléthore médicale.
La première exigence des médecins d’aujourd’hui c’est : « on ne veut plus travailler comme ça ». Demande légitime. Mais en pratique ? Si 10 patients demandent un certificat dans une journée, ça prend 30 secondes au médecin à l’ancienne d’écrire n’importe quoi sur une ordonnance volante sans vérifier le dossier. En revanche, le médecin de maintenant ne veut plus faire comme ça, mais pour autant, il ne peut pas ajouter 10 consultations à son travail du jour. Il est largement démontré que cela prend bien plus de temps de dire non, et en plus d’expliquer pourquoi on refuse. Dire oui à toutes les demandes va bien plus vite. Les générations précédentes de médecins ont bien savonné les planches sur ce point.
2/ En seconde question cachée, mettons la question de la relation médecin/patient.
Une fois encore, désolée pour les vieux (dont je fais partie), parlons de leur prédécesseur (souvent encore en activité à plus de 70 ans parce qu’il aime ses patients, lui…).
Il n’avait pas le même profil de clientèle. Il pouvait être paternaliste, autoritaire, pressé, aimable ou pas. Il pouvait faire attendre 3 heures les gens dans la salle d’attente. Il n’était pas cloué au google-pilori pour le moindre retard, pour le moindre refus, pour la moindre remarque mal prise. Il était paternaliste, oui, mais on le respectait. Ce n’est plus comme ça maintenant. Le médecin est tombé de son piédestal paternaliste et a perdu sa position d’autorité. Les patients se permettent toutes les réactions , à chaud, souvent directement face au médecin, réactions souvent irrespectueuses, on le sait.
Bien évidemment, on ne peut pas forcer les médecins à accepter l’irrespect, mais ce n’est pas politiquement correct d’en parler. Comme avec les profs, etc. Débrouillez-vous à l’ombre de vos murs…
3/Dans l’agenda des questions cachées, je vous propose de mettre en 3 : la peur.
Oui, c’est une sorte de trouille diffuse, permanente ou cyclique, mais il apparait que les médecins ont très souvent peur.
Ils ont peur des patients. Peur de se tromper avant tout. Mais aussi peur des exigences, peur des plaintes. Qui sait le remous que provoque chez nombre de praticiens un avis google dégueulasse et leur semblant injustifié quand il ne s’appuie pas sur la qualité de leur médecine mais sur celle de leur service. Qui mesure à sa juste valeur le remous provoqué par un dépôt de plainte devant le conseil de l’ordre, même si elle finit sans suite.
Ils ont peur aussi de la sécu. Ils se savent fliqués en permanence. Ils savent qu’on peut venir critiquer leurs prescriptions. Ce n’est pas dans l’ADN du médecin d’être contrôlé sur la médecine qu’il pratique. Les médecins rêvent de libéralisme en brandissant le mot libéral, mais ils savent bien que la solvabilisation des patients par le système de sécurité sociale ne peut-être nié et qu’un vrai métier « libéral » serait différent. Et que le rêve de se libérer de la contrainte de la sécu serait l’illusion d’une autre vie qu’ils ne préfèrent, pour la majorité, pas tenter. Alors, Ils brandissent l’hypothèse du déconventionnement, comme une menace illusoire jamais mise à exécution, et de ce fait perdent de la crédibilité.
4/ En quatrième question de l’agenda caché, je vous propose la sensation d’impuissance et de fragilité
Quotidiennement ressentie par les médecins, et l’impuissance constitue une permanente fragilisation que personne ne veut leur reconnaitre.
Les médecins se sentent fragiles parce qu’ils sont dans l’incapacité de répondre à la problématique de l’accès aux soins tel que présenté par d’autres qu’eux et sans leur avis.
Ils se sentent fragiles parce qu’ils n’arrivent pas à répondre aux inégalités sociales et à aider les plus faibles comme ils le souhaiteraient.
Ils sont fragilisés et impuissants face au glissement progressif de la notion de santé financièrement accessible à tous vers la santé en accès libre permanent. L’état veut passer pour social en en ne refusant rien aux pauvres gens qui souffrent. Il a trouvé la un terreau fertile pour des promesses qu’il n’assure pas lui-même. Pour des promesses qu’il fait tenir par les asservis de l’honoraire sécu ou du salariat hospitalier.
Une partie de la fragilité du corps médical vient quand même aussi directement de la mentalité des médecins. Ce que nombre de médecins appellent libéralisme est bien trop souvent plus de l’individualisme et un manque de sens collectif. Là encore la génération précédente a semé le terreau bien planté d’une peur ne réussit pas à s’estomper complètement, celle de la concurrence entre médecins (et maintenant avec les paramédicaux quand on parle de délégation des tâches). Cet aspect concurrentiel, qui n’a pas lieu d’être dans un marché ou il y a trop de travail, empêche pourtant le médecin de sortir du petit cercle rassurant qu’il connait, et ne favorise pas la démarche d’organisation de soins, ne serait-ce qu’à son petit niveau local. Et cette difficulté d’entrer dans un cercle plus large que celui des murs de son cabinet nuit aux médecins, qui se voient imposer cela par la coercition. Il y aurait beaucoup de matière à réfléchir sur ce point, je trouve, notamment sur la réflexion qui accompagnera le développement des IPA.
Pour conclure
En tout état de cause, je pense finalement que la demande de 50 € par consultation est légitime en ce sens qu’elle est si inattendue et si inhabituelle dans le contexte social actuel, qu’elle sert d’accroche aux autres revendications. L’état, lui, s’accommode d’avoir peu de médecins, puisque c’est lui qui paye, il a donc intérêt à payer le moins de médecins possibles, le moins cher possible et à leur donner des miettes quand ils réclament trop fort, ce qu’il va probablement faire. Les médecins, eux, ont probablement intérêt à rendre plus explicite leurs questions cachées, qui sont le vrai fond d’un problème qui ne sera pas résolu simplement par du pognon. Ils demandent avant tout de la qualité de vie au travail, qualité qui semble être perdue actuellement aux yeux d’une large partie des médecins grévistes.
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