Mon propos ici sera juste d’expliquer comment il est possible de dériver d’un simple conseil de régime ou de jeûne vers un attachement anormal à des théories fumeuses. Voire même s’y engluer au point d’y consacrer beaucoup de sacrifices, en investissement moral et financier. Et au pire finir prisonnier d’une pensée et d’actions pas bonnes pour la santé, ce qu’on nomme la dérive sectaire
Je fais partie d’un collectif luttant contre les dérives en santé, le collectif NoFakemed. On nous regarde comme de doux dingues qui ne sont pas ouverts aux propositions de tous les gentils organisateurs et pratiquants de médecine alternative, tous ceux qui se donnent la réputation de s’intéresser vraiment au bien-être du patient, complétant ainsi de manière alternative l’activité des médecins qui, eux, ne prendraient pas en compte la globalité du souffrant.
Il nous semble important de rappeler souvent que toute les pratiques alternatives ne sont pas médicales, mais sont au mieux des solution de bien-être et au pire des portes d’entrée vers des dérives qui peuvent aller loin. Il est important de rappeler le fait qu’un médecin a fait au moins 10 ans d’études, qu’un paramédical (infirmier, kiné) en a fait au moins 5 ans, alors qu’un praticien alternatif n’a fait ni étude de médecine, ni étude de santé, et n’a aucune raison d’affirmer que ce qu’il pratique est médical. De plus, du fait de son absence de formation, il est également important de se rappeler qu’il n’a légalement ni le droit de porter un diagnostic, ni celui de proposer un traitement.
Pourtant de nombreux patients ont une grande conviction de l’efficacité et de l’absence de danger des pratiques alternatives. Mieux, et étonnant, comment expliquer que des gens déçus de la médecine qui n’apporte pas la solution à tous leurs maux, soient prêts à confier leur santé à des personnes sans aucune formation médicale ?
On va parler juste d’une entrée simple, classique dans la médecine alternative : l’alimentation et/ ou le jeûne. Un truc pas médical, au premier regard assez banal en somme. .
Pourquoi donc tant de naturopathes, de charlatans, de gourous de tout acabit proposent-ils des régimes et des cures de jeûne ? Et jusqu’ou et comment cela peut-il mener une personne, même si au départ elle y va sans conviction particulière ?
- En premier lieu, il faut savoir que la question alimentaire, régime, ou jeûne, est une porte d’entrée relativement neutre, pas trop risquée et de ce fait devenue incontournable dans la naturopathie. Ca n’apparait pas comme médical, et puis c’est une forte demande de conseils car nombre de gens sont absolument convaincus que ce qui entre dans leur corps quotidiennement a un fort impact sur leur psychisme
A réaliser : la personne qui dit quoi manger établit un lien d’autorité et de confiance qui peut être utilisé à mauvais escient. Et notamment elle peut facilement dérouler ensuite d’autres propositions dans le domaine de l’alternatif
2. La demande de régime alimentaire ne vient pas de n’importe qui. Celui qui demande des conseils alimentaires ou pense que son alimentation l’intoxique est en demande de sens, soutien, de guidance. Donc vulnérable
A réaliser : Un effet de contexte : la demande de soutien est une situation de vulnérabilité qui rend plus aisée d’autres propositions d’accompagnement au-delà d’un simple conseil alimentaire
3. La demande alimentaire, et particulièrement celle de jeûner déborde largement la question de l’alimentation quotidienne. Elle sous-entend une diabolisation de la nourriture habituelle, des changements comportementaux, des notions de nettoyage, de purification. Au-delà du jeûne, ou des régimes d’exclusion, c’est une vision sacralisée du corps qui est proposée. On ne doit pas mettre n’importe quoi dans son corps car ce serait aussi mettre n’importe quoi dans son esprit.
Alors, les régimes prescrits sont forcément intégrés dans un cérémonial et accompagnés du déroulement du verbatim de la naturopathie et des bienfaits supposés et spirituels des nombreuses options qu’elle comporte pour purifier, nettoyer, régénérer, épurer, donner une meilleure vitalité, un meilleur sommeil, moins de stress, moins de douleurs.
A réaliser : L’alimentation est le premier pas vers d’autres propositions de diversification de « soins » naturopathiques, car la naturopathie c’est tout un ensemble, ce n’est pas manger sain en ajoutant quelques plantules. C’est aussi : l’hydrologie, les techniques manuelles (appel à un ami ostéopathe), la réflexologie,, la phytologie-aromatologie. (et pas la phytothérapie ou l’aromathérapie, pratiques réservées aux pharmaciens), et tout un tas de techniques diverses et pleines d’imaginaire ( respiratoires, énergétiques, vibratoires). On fera vite comprendre à l’intéressé qu’il n’arrivera à rien avec un conseil alimentaire seul ou une petite cure de jeûne
4. De la modification alimentaire à l’idée d’auto-guérison, le pas est plus petit que ce qu’imagine le consultant venu chercher du soutien.
Le déroulé du glissement est hypersimple. Au départ, le concept d’autogestion du corps obtenue sans médicament, juste par le régime ou mieux encore par une cure de jeûne.
A l’arrivée, un glissement sémantique. Passer de l’autogestion du corps à l’autogestion des cellules du corps. Puis de l’autogestion des cellules à la notion d’autodéfense cellulaire, et d’autophagie. A partir d’un processus physiologique connu, l’autophagie, il est alors facile d’inventer des explications foireuses affirmant que les cellules inflammatoires mais aussi cancéreuses affamées par le jeûne vont trouver alors les ressources pour s’autodétruire. Dommage, c’est faux, bien évidemment.
A réaliser : sans se rendre compte, le raisonnement d’une action de la privation alimentaire sur les cellules du corps puis par extrapolation sur les cellules cancéreuses ou inflammatoires est devenu conceptuel pour le pratiquant et il peut en être maintenant convaincu.
Ce qui ne lui sera pas dit, c’est que les essais en cancérologie préconisant un jeûne de 48 à 72 heures avant chimio en vue de sensibiliser les cellules cancéreuses, ne sont pas concluants. Toutes les études ont des biais qui n’ont jamais permis d’affirmer un effet probant. Et que évidemment, le jeûne n’a jamais arrêté ni guéri aucun cancer, ni aucune maladie rhumatismale inflammatoire, ce serait trop beau
5. La promesse de bénéfice des changements alimentaires facilite la manipulation émotionnelle.
Aucun médecin ne donne un régime en affirmant que c’est bon pour aller mieux dans sa tête. Les médecins savent que l’on peut aller mieux dans son corps mais qu’un régime n’influence le cerveau que par les constatations de ses effets sur le corps (amaigrissement) Au contraire un charlatan assure qu’un régime fait aller mieux dans sa tête.
Pour cela, il utilise des mots pompeux, tout un cérémonial dont la première étape est son site internet, avec communication positive, images rassurantes et apaisantes, mise en scène ambiguë de contexte de soin.
A réaliser : la manipulation émotionnelle vient de la promesse d’aller mieux. Le patient est si intensément absorbé par la modulation de ses sensations qu’il attend un résultat le soulageant de ses symptômes
Et ce qui découle des fausses promesses est simple
- Si cette promesse est tenue : c’est bien grâce aux modifications alimentaires. Il faut donc continuer, modifier d’autres aliments, jeûner, faire un séjour ou un stage consacré à l’alimentation, mais aussi optimiser avec l’ajout de pratiques complémentaires
- Si la promesse n’est pas tenue : Culpabilisation ! c’est à cause du patient qui n’a pas bien suivi ou est réfractaire. Et donc il faut tenter autre chose, modifier d’autres aliments, jeûner, faire un séjour ou un stage consacré à l’alimentation, mais aussi optimiser avec l’ajout de pratiques complémentaires
- Et en plus, si la promesse n’est pas tenue, et que la santé du patient s’aggrave, il n’aura pas de recours. La honte d’avoir été si crédule en retient surement beaucoup d’aller affronter au tribunal la personne qui l’a mal conseillé. Mais surtout ce soi-disant thérapeute n’a aucune obligation de moyens et encore moins de protocoles, contrairement aux médecins et autres soignants. Personne ne pourra prouver la responsabilité quand ce qu’il a vendu comme un traitement miracle s’est avéré inefficace, voire dangereux.
6. L’alimentation est un mode d’entrée facile dans le charlatanisme. Mais le charlatanisme a bien d’autres cordes à son arc
Souvent la crédibilité du truc aime à s’appuyer sur des vrais dosages médicaux. Souvent, le naturopathe demande au patient de demander à son médecin d’avoir l’obligeance de prescrire le long bilan hypercomplet avec de nombreux dosages qu’il a noté sur un papier. Souvent hélas, les médecins ont l’obligeance d’accepter, ce qu’ils ne devraient pas, car ils ne réalisent pas l’objectif de cette prise de sang. Tout simplement de constater qu’au moins un résultat, forcément sera en gras, même si à peine en dehors des normes. Mais cela constituera un puissant levier de sensibilisation et d’adhésion à la nécessité d’une prise en charge plus large (plus globale affirmera t’on) que la simple alimentation.
A réaliser : changement alimentaire ou jeûne initiatique, mais pas que. De nombreuses autres propositions alternatives seront ensuite déroulées une fois que le patient a adhéré à la première étape. Ces propositions sont innombrables et laissent libre cours à un imaginaire imagé. Thérapie énergétique, facilitatrice, libération émotionnelle, mémoire transgénérationnelle, nutriponcture, courants vitaux, lifting énergétique, massage des organes internes, dynamitation des mitochondries, augmentation des connexions neuronales, autophagie des cellules malades, psychomagie, respiration holotropique, biodécodage, exploration transpersonnelle, étiopathie, engorgement, reiki, numérologie, technique humaniste… stop ça prendrait des milliers de pages
Avec des références de pratiques en chi, tao, les plus exotiques et lointaines possibles, Chine, Inde, etc), invérifiables et toujours sous la conduite d’un Pr machin renommé.
7. La proposition de faire un « stage » ou « une cure » fera rapidement partie de l’arsenal proposé en tant que thérapie globale. Stage de jeûne, ou en tous cas stage comportant une alimentation très contrôlée. Ce stage naturopathique et réputé naturel se fait évidemment dans la nature. Les publicités comportent toujours un beau soleil sur une futaie bien verte.
A réaliser : l’intérêt du stage (pas pour le patient) c’est l’isolement de ses amis et de sa famille, et la pression sociale du groupe de participants. Rapidement les gens se mettent à penser comme le groupe et les plus influençables pourront alors adhérer plus facilement à toutes les autres propositions et options qu’on leur soumet.
8. Il faut connaitre les différentes étapes du ressenti dans une cure de jeûne, afin de comprendre comment elles peuvent permettre des influences potentiellement néfastes
Du J1 au J3 : ne pas manger procure une sensation de liberté, d’euphorie, de grisement, de toute puissance, comme une sorte de révélation. Très bonne occasion de proposer d’autres expériences à des personnes qui se sentent ouverts à leur moi profond parce qu’ils ont résisté à la faim en consommant leurs réserves glucidiques
Vers J4/ le jeûneur n’est pas très bien car les réserves en glucose du corps sont épuisées et il va commencer à puiser dans les réserves lipidiques. Les charlatans nomment cela la crise de détoxination et expliquent que c’est un grand moment ou s’éliminent les déchets
Après J4 : le jeûne est réputé avoir un effet sédatif. En réalité c’est de la fatigue, physique et psychologique. Cette fatigue fait perdre l’esprit critique et rend perméable à de nouvelles injonctions et propositions
A réaliser : les effets physiologiques du jeûne sont facilement utilisables pour d’autres objectifs que la seule santé du patient. Ils permettent notamment de capter l’esprit d’une personne qui n’est pas dans son état habituel et de lui suggérer pas mal d’affirmation pas forcément exactes ou bonnes pour lui, et de lui proposer d’autres thérapies ou autres formes de prise en charge pour confirmer l’amélioration de son état.
9. Enfin, a ne pas oublier : le risque financier. Toutes ces propositions et pratiques alternatives ne sont ni gratuites ni remboursées par la sécu. Elles sont chères, d’autant plus chères que le naturopathe ou tout autre pathe est connu, est un leader, ou se relève d’un gourou en vue sur le marché du bien-être. Une consultation est 2 fois plus chère qu’une consultation de généraliste. Une semaine de jeûne, c’est au moins entre 800 et 1200 euros. Ca montera jusqu’à 3000 avec une sommité. Avec de nombreuses propositions d’achat de matériel ou de poudres en plus.
A réaliser : la naturopathie et plus largement tout ce qui relève de la soi-disant médecine alternative, c’est un commerce, un marché. Pas un marché de la maladie, mais un marché de la demande de bonne santé. Pratiqué par des thérapeutes dont il ne faut pas oublier le peu de formation ou même son absence. Des dérapeuthes parfois, qui vendent des croyances à coup de promesses qui ne les engagent pas
10. Ce n’est pas dangereux ?
Alors ça dépend de quoi on parle.
Les indications supposées du jeûne sont très nombreuses. Pour autant les mécanismes d’action sont hypothétiques. Et surtout les preuves statistiques sont très faibles et ne répondent pas aux exigences de la médecine factuelle, celle que les médecins pratiquent au quotidien.
Ceux qui proposent des cures de jeûne expliquent l’absence d’études par de bonnes raisons :
- c’est trop difficile de faire des études parce qu’il y a trop de variables indépendantes
- le fait qu’il y a une demande justifie l’absence de théorie et de preuve. C’est la loi du marché qui dit que le marché a toujours raison et donc si demande, l’offre non réglementée est justifiée
Faire un régime d’exclusion ce n’est pas dangereux, mais trop d’exclusions alimentaires peuvent entrainer un isolement social, car il devient impossible à un moment d’aller diner avec des amis ou au restaurant.
Jeûner quelques jours, du moment que l’on boit, du bouillon et même quelques boissons sucrées, ce n’est métaboliquement pas dangereux en effet
Jeûner plus longtemps que quelques jours, ce qu’on appelle les cures de jeune, peut être dangereux pour la santé si c’est fait sans aucune supervisation médicale et biologique, et dans un contexte d’isolement social entouré de promesses de bien-être et agrémenté d’autre propositions. Il y a régulièrement des décès publiés dans la presse.
Si jeûner un peu n’est pas dangereux en soi, pour autant la naturopathie et ses conseils alimentaires sont un sujet qu’il ne faut pas prendre à la légère parce que le danger est infiniment plus grand que le simple fait d’aller passer des vacances à jeûner ou manger droit dans un endroit vert en embrassant des arbres. Le cadre « cure de » cache bien des choses… Il ne faut pas oublier la logique utilisée par ceux qui veulent capter cette clientèle. Elle est puissante, c’est un marché de la crédulité.
Le thérapeute vend une croyance, la crédulité des patients l’achète.
Le glissement peut se faire de façon tout à fait naturelle et insensible
Et cette confiante crédulité peut mener à l’emprise mentale, avec notamment la multiplication et la diversification des actions et thérapies entreprises
Puis selon celui qui a pris l’emprise, finir en vraie dérive sectaire, avec un isolement de la familial et social
Cela peut aller bien plus loin que ce qu’a pensé au départ le simple demandeur de consignes alimentaires à un naturopathe, comme j’ai voulu vous le démontrer dans ce texte.
Pour info => collectif NoFakemed: nofakemed.fr
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