Le temps du « moi-je »

A force de contraintes, une des vraies libertés qui reste se trouve dans le fait de un avis écrit (et souvent anonyme). Il est totalement permis de proférer avec assurance des tas d’inepties sans aucun fondement. Pas de règle sauf celle du racisme et de l’insulte, pas de législation, pas d’encadrement, pas de contrôle, pas d’empêchement, et en plus pas de taxe, c’est gratuit. Les conneries qui se disaient autrefois en petit comité sont devenues des fleuves impétueux qui inondent les réseaux sociaux.

De cette liberté, nombreux sont ceux qui abusent. Quel que soit l’article, le texte, l’histoire, les commentaires sont souvent acerbes, méprisants, insultants sous couvert d’anonymat. Point de dialogue. De la déconstruction.

Personne n’y échappe. A commencer par mes chers confrères dont les commentaires sous les articles et sur X sont déconcertants et, je l’avoue, déceptifs, témoignant d’un nombrilisme, d’une étroitesse de vue, d’une autosatisfaction qui fait craindre pour l’avenir de la médecine si elle continue à penser individuellement de cette manière, sans porter son regard sur l’horizon, sur le collectif, sur la santé publique, sur la place des médecins dans la santé publique, sur le rapport entre santé publique et dépenses de santé.

Ca donne envie de déplorer tristement que le plus fort intérêt transparaissant des commentaires sur les réseaux soit que l’exercice médical ne serait plus satisfaisant que s’il était mieux payé. Gagner correctement sa vie est une chose, et pour les médecins c’est quand même généralement la cas. Gagner correctement sa vie en faisant en plus un métier qui te plait est une des grandes prérogatives des médecins, il semble. Mais cela n’apparait pas dans leurs commentaires le plus souvent écrasants de récriminations. Cela me rend triste, et je ne suis pas la seule à déplorer la trop faible implication des médecins, de leur ordre, de leurs syndicats dans la prise en charge du présent et de l’avenir de la santé. Les chaines de décision sont indéchiffrables, et ont été rendues encore plus indéchiffrables du fait que la non implication collective du corps médical.  

Parce que les dépenses de santé ne sont pas le fait des patients ne l’oublions pas. Ce sont bien les médecins qui les génèrent. Certes ils ne gèrent pas la demande, ou en tous cas n’ont rien mis en place pour éduquer cette demande excessive de soins. Autrefois les médecins ne refusaient rien aux patients, ni l’accès ni les traitements, et  c’’était par pur clientélisme, par peur de les perdre. Aujourd’hui c’est par peur de se faire attaquer en cas de refus, et aussi parce que cela prend plus de temps de refuser, d’expliquer que d’accepter. Sauf qu’à force de tout accepter, de donner des antibiotiques n’importe comment, de faire des examens aux indications foireuses, d’affirmer avec conviction que ce n’est pas moi qui fait ça, c’est toujours les autres,  les médecins se sont mis en position d’infériorité, et sont devenus les jouets des patients et des tutelles. A force de s’accrocher a un individualisme qui permet de faire n’importe quoi, à force d’affirmer que l’imperfection est toujours chez les autres médecins, les libéraux, les hospitaliers, les médecins salariés (les traitres), la profession a oublié de travailler à son auto-régulation. De ce fait, la régulation vient d’en haut, des règles et des lois, et n’est vue que sous l’angle de la contrainte extérieure. Cette contrainte devrait venir de l’intérieur.

Les médecins méritent bien plus de liberté que celle de se plaindre. La vraie liberté du corps médical serait d’être une profession collectivement en accord sur de grands principes, loin des corporatismes quotidiens qui la rendent aigrie et inaccessible à un dialogue d’envergure.

Il faut vraiment axer l’avenir sur la prise en main de son destin, qui passe certainement par la régulation de ses pratiques par la profession elle-même et pas par la contrainte de la tutelle. C’est cela qu’il faudrait négocier en échange de l’augmentation d’honoraires. Ne pas partir dans cette direction  c’est rester faible et continuer individuellement à  mettre en commentaire que moi-je, moi-je sais mieux, moi-je fais mieux, moi-je dis mieux, moi-je n’aurais pas fait comme ça, moi-je ne propose rien de concret, seulement moi-je

Il reste à proposer de vraies solutions concrètes pour favoriser cette autorégulation et encourager le dialogue constructif entre les membres de la profession. Également, mettre l’accent sur les mesures spécifiques qui pourraient être prises par les médecins eux-mêmes pour favoriser cette autorégulation.

2 commentaires sur “Le temps du « moi-je »

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  1. Bonjour,
    Je comprends ce que vous dites et partage en grande partie ce constat. Mais pas la suite ou les solutions.
    Je vois tous les jours les imperfections (voire dérives) de collègues… comme les miennes. Mais pourquoi serions nous (medecins) meilleurs que les autres ? Pourquoi serions nous un corps d’élite animé seulement de l’intérêt général, bien au-dessus des bassesses des humains ? Il y a chez les médecins, comme chez tous les autres, des travers humains.
    Et même si nous étions tous drapés de vertu, peut-être ne serait-elle que la notre ?
    Moi-même, grand défendeur de l’intérêt général, urgentiste dans l’hôpital public, suturant un Sdf bourré qui me crache dessus a 3h du mat’ et lui refusant un VSL à 8h pour faire attention aux dépenses publiques, … suis probablement le nigaud, l’andouille, le fainéant ou le dépensier pour certains de mes collègues ? Les Facteurs Humains sont trop importants.
    Il est amusant de voir que 90% des français pensent être dans la moitié des meilleurs conducteurs ! (90%≠50%)

    Je ne pense pas que vu la taille et le poids du système de santé, la demande et l’offre, nous puissions échapper à une régulation. Il faut une vision «macro » qu’aucun de nous ne peut avoir. Que cette vision macro soit serrée ou lache, orientée vers telle ou telle partie du soin (personnes âgées ou enfants par ex), permissive ou contrôlante, dépend tout autant des données santé pub que du bord politique au pouvoir et de la culture du pays.
    Ni l’ordre ni les syndicats de médecins (ou de patients ou autres) ne sont capables de sortir du clientélisme où ils se sont fourvoyés et pourraient se porter garants de politique de santé. Je ne vois guère que cette vision d’état (mais y en a t’il réellement une ?), dans laquelle chaque médecin a sa marge de manœuvre (type d’exercice et modalités de l’exercer).
    La société entière évolue vers du «moi je », les politiques tirent les marrons du feu dans le jeu de contraintes (budget vs électeurs) possible et les médecins ne sont, de fait, pas les Gandalf le Sage de la partie. Ils sont a l’image de tout cela.

    (Les RS étant la partie émergée de tout cela, réduite à 180 caractère)
    Très bonne journée à tous,
    Adrien Vague

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  2. « ..les dépenses de santé ne sont pas le fait des patients ne l’oublions pas. Ce sont bien les médecins qui les génèrent ».
    Je ne trouve pas, ce sont les maladies qui génèrent les dépenses de santé.
    Or l’Etat ne prend pas ses responsabilités (lutte contre les drogues, contre la malbouffe, contre les substances toxiques comme les perturbateurs endocriniens, les pesticides, herbicides, prévention en général…). Tout ça coûte très cher en santé et après, on dit que ce sont les médecins qui coûtent.
    Et puis, on ne paie pas les médecins pour faire des prises en charges globales, mais de l’abattage. Si on travaille bien, que l’on prend 30 mn par patient (c’est le temps qu’il me faut pour trouver que j’ai fait du bon travail), et bien, on ne gagne pas sa vie. En tout cas comme MG.

    Où je suis entièrement d’accord avec toi Marion, c’est que l’on n’éduque pas à la santé et que certains patients consultent pour n’importe quoi. Le pompon étant une collègue qui a eu une patiente parce que son nez coulait la semaine dernière.
    – Mais il ne coule plus ?
    – Non.
    – Alors, pourquoi êtes-vous venue ? Pourquoi ne pas avoir annulé ?
    – Parce que c’est si difficile d’avoir un rendez-vous, j’ai voulu en profiter !

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