Je ne suis pas ce que j’écris

L’autre soir en rentrant de consultation, j’ai rédigé un post titré « 20 remarques que j’aimerais faire au 25 patients de la journée »

Twitté et retwitté par beaucoup de membres du corps médical, ce texte n’a pas soulevé de polémique. On m’a souligné son côté un peu cru. Mais, bon, je suis comme ça dans la vie. J’ai un truc à dire, et je le dis tel que je le pense.

Après 48 heures, certains patients ont commencé à commenter. Ils n’ont pas critiqué l’écrit, mais ont tout de suite jugé la personne qui écrivait. 

Or, je ne suis pas ce que j’écris…

Comme tous ceux qui écrivent,  je tente d’exprimer un ressenti. Maladroitement peut-être, mais jamais méchamment.

Alors, me voir alléguer que ce texte traduisait ma haine des patients, mon burn-out proche, une vraie nécessité de changer de métier, ça m’a atteint à un point que vous n’imaginez pas.  

J’ai aussi reçu des mails de la part de 2 personnes que j’estime et connais. Si l’une se contentait de critiquer le post, et me conseillait du repos, l’autre m’a accusée violemment et agressivement de patient-bashing.  Ce mail menaçant m’a fusillé le moral. J’ai fait le choix d’effacer  mon texte.

En le relisant, maintenant qu’il a disparu de mon blog, il ne me semble pas si agressif quand on prend la peine de le lire sans idée préconçue. Pourtant, il ne reviendra pas en ligne parce que je me sens encore terriblement déstabilisée  par ces interventions.

J’écris, mais je ne suis pas ce que j’écris. J’écris pour témoigner de la fatigue et de l’usure d’une grande partie du corps médical. Avec mes mots, à ma manière, je veux parler de la difficulté de l’exercice quotidien de la médecine.

 Ceux qui lisent les post sur le net et tempêtent au nom du patient-bashing ne sont pas si représentatifs de la diversité des publics rencontrés chaque jour par un médecin.  Il devraient venir passer une journée dans un service d’urgence ou suivre 12 à 14 heures de consultations, et ils se rendraient compte qu’ils sont à des lieux de la vraie vie qu’ils croient défendre et font bien du médecin-bashing dès que l’on sort des clous de ce qu’ils nous autorisent à exprimer.

L’auteur du mail incendiaire de ce matin n’a jamais été véritablement malade.  De mon côté, j’ai eu beaucoup d’occasions de me faire une idée du système de santé. Comme déjà dit dans pas mal de textes de ce blog, non seulement j’ai un mari handicapé depuis des années, mais j’ai eu un cancer du sein. J’ajoute, puisque c’est la journée de l’Alzheimer, celui de ma mère, qui me crée bien du souci. Alors, en effet, je me permets de m’étonner des comportements de certains consultants, des exigences, des incivilités. Le parcours de santé qui fut le mien m’a donné l’occasion de réfléchir.  Qu’attend t’on des médecins ? qu’ils vous reçoivent à l’heure que vous voulez, qu’ils acceptent les retards, les exigences, les personnes incorrectes avec eux ?  Les médecins sont avant tout la pour soigner et être humains. Cela n’implique ni d’être toujours à l’heure, ni de ne pas avoir d’état d’âme, ni de n’être jamais fatigué, ni de consacrer des heures à chacun, parce que le temps est compté, ni de sacrifier sa vie personnelle. Je crois que beaucoup de patients, et notamment ceux qui se disent porteurs de la voix des patients,  pourraient réfléchir avec les médecins au lieu de les critiquer dès qu’ils se plaignent.  SI les  médecins osent élever la voix pour se plaindre, c’est qu’ils ont de bonnes raisons.

Car il ne faut pas demander aux médecins plus qu’ils ne peuvent donner. De nombreux textes de ce blog en témoignent. Celui que j’ai enlevé voulait aussi le dire.  Sauf que,  c’était mal exprimé

Je regrette ce monde de pensée unique. Dès lors que votre pensée ou votre expression se démarque,  certains ne supportent pas. Il y a toujours, en tout domaine, une personne qui s’oppose et ses protestations, fussent-elles justifiées ou pas, dominent la conversation. Il devient alors très difficile de défendre son point de vue face à des attaques directes et agressives. .

Plus j’avance en âge, moins j’ai envie d’affrontements inutiles. Encore moins pour un article de blog. La vie est difficile pour nombre de gens, mais je trouve que crier au loup à tout bout de champ n’est pas une manière logique de la rendre plus supportable.   Plus j’avance en âge, plus je préfère renoncer aux affrontements. C’est le choix que j’ai fait en retirant mon post.

Et non, je ne déteste pas les patients. Au contraire, je leur offre à chaque consultation, à tous, un espace d’expression et d’échange et de sérénité. Et non, je ne suis pas en burn-out. En avoir marre des exigences n’est pas un signe de burn-out. Juste de lassitude. 

Les patients critiquent souvent les ou leurs médecins. Les médecins, eux, ne doivent donc pas décrire les aléas journaliers de leurs consultations sous peine de se faire incendier ?    

J’écris. Mais je ne suis pas ce que j’écris. Il est important de faire la différence.

« Les choses ne sont jamais ce qu’elles semblent. Elles deviennent ce que nous en faisons… »

13 commentaires sur “Je ne suis pas ce que j’écris

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  1. Je suis profondément désolée du retrait de votre post qui me semblait parfaitement respectueux et surtout particulièrement représentatif des conditions de travail. Je regrette moi aussi ces attitudes politiquement correctes. La capacité à prendre du recul sur ses comportements semble hélas faire défaut dans notre société « moutonnière ». Merci pour vos écrits.

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    1. VOtre remarque est de plus en plus vraie. Que ce soit en réunion physique ou par échanges sur le net, celui qui crie le plus fort fait hélas souvent taire les autres, et tous les points de vue ne peuvent être exprimés et échangés sereinement.

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  2. Avec internet les gens sont prompts à juger sans réfléchir et sous le coup de l’émotion de l’instant et en rapportant tout à leur cas personnel sans voir l’ensemble et remettre les choses dans leur contexte …
    Je travaille dans le médical et je subi au quotidien le comportement irresponsable des patients, ce qui n’empêche nullement de les accueillir et de les soigner avec toute l’empathie dont je suis capable et d’apprécier le bonheur que me procure cette relation que j’entretiens avec eux.
    Je comprends tout à fait votre démarche et ne l’ai pas pris pour mon compte que ce soit en tant que patiente (je l’ai été plus qu’à mon tour !), aidante, paramed …
    Bon courage à vous et restez vous même c’est l’essentiel pour vous et pour vos patients 🙂

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  3. Un petit mot de soutien. J’ai lu le post quand vous l’avez publié et j’ai pensé, en souriant « OUPS, attention les réactions !  ». Pourtant, je suis une patiente et j’ai compris l’essence du message. Je crois que c’est vraiment votre style qui peut déranger et surprendre parfois et amener les réflexions émises.
    Vos sujets sont toujours très documentés, variés dans les thèmes, on comprend vos combats, les causes que vous voulez défendre et l’on sent souvent que toutes ces choses vous touchent.
    Mais en fait nous, en vous lisant nous devons nous poser en lecteur du blog, pas en patient, pas en confrère, nous ne devons pas chercher ce que docML, nous dit d’elle, mais, individuellement, ce que le contenu du post me dit à moi, lecteur ou lectrice. L’important c’est ce que raconte le blog, ce qu’il dit des médecins, de leur ressenti, de leur vécu de leurs difficultés et ce qu’il dit des patients aussi. C’est la vision d’un médecin.
    L’important c’est tout de même ce que raconte le blog.
    Ne renoncez pas, persévérez et écrivez.

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    1. Je vous remercie. Je n’ai pas imaginé la violence des réactions en écrivant, et j’avoue ne pas avoir trop bien supporté, raison pour laquelle j’ai préféré le mettre de côté.
      J’ai trouvé consternant ceux qui jugent la personne directement à partir d’un texte qui leur déplait. La réaction agressive de quelques uns empêche l’expression de ceux qui ont envie de discuter calmement et de réflechir à la situation. J’en apprécie d’autant plus les retours positifs qui m’ont été faits ce jour, ils prouvent que l’opposition n’était pas totale mais bruyante et aggressive, n’autorisant pas à se justifier.

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  4. quel dommage que vous ayez supprimé votre texte.
    Médecin, j’ai adoré vos réflexions… mais aussi actuellement patient, je ne vois pas de choses réellement choquantes.
    J’ai transmis votre billet à mon entourage qui regrette de ne pouvoir le consulter

    bien à vous

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  5. Désolée de cette petite note discordante dans le concert de louanges. Mais si : on est ce que l’on écrit. Ou du moins ce que l’on écrit publiquement révèle une partie de ce que l’on est.
    Sauf si on écrit de la fiction.
    Et encore, même quand on écrit de la fiction: le choix des mots, les images que l’on emploie, les analogies, les métaphores, les sentiments que nos mots véhiculent: l’ironie ou la compassion, la méchanceté ou l’empathie… révèlent une partie de nous, de notre personnalité, de nos opinions.

    Ainsi je ne peux pas écrire ici « La France est un pays de race blanche » et prétendre le lendemain que je ne suis pas raciste parce que « je ne suis pas ce que j’écris ». S’il est peut-être vrai que malgré cette phrase idiote, je ne suis pas raciste au fond de moi, il convient alors que je prenne la responsabilité de la parole et du message que je transmets par l’écrit. Que je convienne que mes paroles ont dépassé mes intentions. Et que je présente mes excuses à tous les Français de peau noire.
    L’écrit est un média puissant, il reste un moyen de communication hors du commun: lorsqu’on prétend l’utilser en public, on doit en connaître la portée et la force.

    Je peux comprendre que votre pratique vous expose à un stress particulier qui est celui des médecins: soigner est un sacerdoce dont vous avez choisi de faire un gagne-pain et il faut jongler avec ce dilemne au quotidien. Vous avez dès lors parfaitement le droit de parler de votre métier et de ses aléas, c’est même bien de le faire comprendre à ceux qui ne voient que leur côté des choses: celui du patient qui attend, se sent bête quand il pose des questions, et s’inquiète de ses petits bobos (ma mère est morte d’un cancer à 47 ans alors oui parfois quand je ballonne à droite le matin et à gauche le soir, je me pose des questions idiotes mais qui me collent des sueurs froides la nuit). Vous avez le droit, publication après publication, de soulever votre pan du voile sur votre métier, partager vos questionnements et tenter de nous faire entrer dans votre univers. Adroitement ou maladroitement, je ne discute même pas le post original que vous avez supprimé.
    Mais si vous avez fait ce choix, louable en soi, de révéler publiquement ce qui vous tripotte, alors ne me dites pas que vous n’êtes pas ce que vous écrivez. Lorsqu’on fait le choix d’un blog public, on a fait son choix: on est ce que l’on écrit.

    Le média électronique semble conférer à l’auteur d’un écrit une immunité particulière: la parole se délie. Ainsi il est plus facile d’écrire ici que la France est un pays de race blanche. Il faut être sacrément gonflé ou idiot pour le dire sur un plateau de télévision. Mais cette immunité est artificielle. La portée de l’écrit électronique est en fait encore plus forte que celle de l’écrit de papier. Je dis à mes enfants que chaque fois qu’il écrivent un commentaire sur Facebook, ils doivent d’abord se demander s’il serait acceptable qu’ils se mettent debout dans la cour de récré et crient ce commentaire devant tout le monde.
    Si j’ai un seul conseil à vous donner, c’est d’appliquer cette règle à vous-même: lorsque vous écrivez publiquement, demandez-vous s’il vous serait possible de vous tenir debout dans votre salle d’attente et de dire à haute voix ce que vous allez publier sur votre blog. Car il ne faut pas l’oublier, c’est bien cela, un blog public: ça revient à se tenir debout sur la place du village et crier ce qu’on pense.
    Et ce faisant, aux yeux de ceux et celles qui vous liront, vous serez, que vous le vouliez ou non, ce que vous venez d’écrire. Ou du moins ce que vous venez d’écrire représentera pour vos lecteurs, qui ne connaissent pas les autres facettes de votre personne, votre rapport humain au patient ou votre propre parcours dans la maladie; ce que vous venez d’écrire donc représentera bel et bien une partie de ce que vous êtes: une gastro qui se rit de leurs ballonnements bizarres en public.
    Ne vous étonnez pas, dès lors, qu’ils réagissent à ce que vous avez vous-même choisi de leur montrer : votre choix, j’insiste, d’employer le sarcasme, d’adopter le prisme de votre lassitude et de votre ras-le-bol, plutôt que celui de votre dévouement ou de votre professionalisme. Par ce choix, vous devenez, de facto, ce que vous écrivez.

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  6. Merci d’avoir pris la peine de faire ce long commentaire, il est très intéressant.
    En fait dans la vraie vie, j’essaie, j’ai toujours essayé, d’être un médecin, disons « optimal ». Je suis très (trop) dévouée, très (trop?) professionnelle, je prends les patients en charge le mieux que je peux, en leur consacrant toute mon attention et dans une atmosphère la plus sereine possible.
    Ca ne m’empêche pas de grogner. Pas seulement le soir en rentrant chez moi, mais en consultation. Toujours pour les mêmes raisons, celles qui figuraient dans le post effacé. Ces aléas m’empêchent de faire correctement mon travail de médecin. De plus, ils me perturbent. Je m’adapte, mais émotionnellement c’est un effort. Je ne suis plus toute jeune non plus, donc moins adaptable… Peut-être en fait suis-je comme tous les gens exigeants envers eux -mêmes ? . J’attends autant de rigueur de la part des autres que de moi-même. Et dans les conditions actuelles d’exercice, c’est en effet, irréaliste.

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  7. Bonjour. J’ai la chance de te connaitre « IRL », in real life.
    Tu as la réputation d être à l’écoute de tes patients, à tel point que dans ta spécialité tu es souvent consultée en dernier recours. Pour avoir echangé avec toi, ou par les quelques patients que nous avons en commun je connais en tant que confrère tes grandes valeurs de médecin.
    Sur le plan non médical, ceux qui feront la lecture de ton blog, ou qui te rencontreront « irl » pourrons se faire un belle idée de tes valeurs extra medicales, un femme exceptionnelle..

    Aimé par 1 personne

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