Trouble de l’élection, c’est mortel ou ça se soigne ?

  • Donnez-vous un petit moment, disons une quinzaine de jours.
  • Durant ce temps, discutez avec 100 docteurs,
  • Faites vos calculs : un minimum de 60,8% d’entre eux se plaindront au moins une fois de la loi de santé, du tiers payant généralisé qui se profile et leur fait peur, des mutuelles , tapies derrière le tiers payant, envahissant le champ de la prise en charge des patients, des conditions de travail de plus en plus difficiles
  • Faites également un tour sur les réseaux sociaux, Twitter, Facebook. Vous croiserez des médecins vent debout contre la loi de santé, actifs à fédérer et entrainer leurs collègues dans le front et la fronde de l’opposition.
  • Puis à ce moment de l’histoire, où les médecins sont massivement opposés à la loi de santé et ce que l’on veut leur infliger… Mettez : un vote pour des élections professionnelles

Un vote , par lequel le corps médical va élire ses représentants syndicaux aux Unions Régionales de Santé. Elire ceux qui les représenteront dans les discussions autour de loi, mais surtout dans toute la période de négociation conventionnelle qui va suivre.

  • Donnez vous ensuite encore un petit moment, disons une quinzaine de jours
  • Durant ce temps, envoyez dans tous les cabinets médicaux tout le nécessaire pour voter. Même pas besoin de se déplacer
  • 15 jours plus tard, dépouillez les votes
  • Faites vos calculs à nouveau : 60,8% des médecins n’ont pas voté.

En conclure vite fait que, dans cette élection médicale, ceux qui ne votent pas sont plus nombreux que ceux qui s’expriment.

Puis, essayer de comprendre pourquoi. Pourquoi  une profession si farouchement opposée à une loi qui la concerne pratique t’elle la politique de l’abstention ?

De nombreuses raisons sociologiques, politiques, sociales et individuelles, sont évoquées pour expliquer l’abstentionnisme. C’est un phénomène complexe, multifactoriel, et mal appréhendé, et surprenant dans les démocraties, puisque la liberté d’expression est stupéfaite quand elle s’exprime par la liberté de ne pas s’exprimer. Les spécialistes américains ont appelé tous ces motifs le « puzzle » de l’abstention.

D’un point de vue sociologique (Alain Lancelot), il est noté habituellement que les professions intellectuelles et les individus de classe socialement élevées coïncident avec un certain degré d’intégration dans la société, de compétence politique et de participation à la vie de la cité.  On attendrait donc une implication des médecins sollicités pour la vie de LEUR cité. En clair, cela signifierait-il que les médecins ne ressentent pas forcément de lien social avec les autres membres de leur cité professionnelle ? 

Autre facteur de démotivation autour du vote en général, la nécessité de se déplacer et de faire la démarche d’aller s’inscrire sur la liste électorale, puis celle d’aller au bureau de vote. Or, pour l’élection aux URPS, pas besoin de s’inscrire sur des listes, tous les médecins étant inscrits d’office. Pas besoin de se déplacer pour aller voter, un courrier arrive directement chez le médecin. Le vote a donc lieu à domicile et n’implique pas de déplacement. Il fallait donc juste prendre le temps de mettre son bulletin dans l’enveloppe puis la poster dans les délais.

Alors, que reflète ce taux d’abstention si élevé venant d’une profession mobilisée à se défendre contre une loi qu’elle juge inappropriée à sa pratique, dangereuse pour les patients et pour le secret médical ?

  • L’indifférence, le désintérêt: pas possible, Zéro point…  La loi de santé est au cœur des préoccupations des médecins
  • La méconnaissance de la loi, ou le manque d’information: 10 points. On en parle, on en parle de cette loi. Mais qui a pris le temps d’en lire les grandes lignes, de voir que le tiers payant généralisé est l’arbre cachant la forêt.  Qui a pris le temps de lire et comprendre les programmes des syndicats se présentant à l’élection. Il faut reconnaître que c’est touffu et difficile à décrypter… 
  • La méconnaissance des enjeux. 10 points Pourtant, on observe dernièrement des mouvements protestataires d’ampleur. Grande manifestation à Paris du corps médical en mars, marches médiatisées, déconventionnement en groupe des médecins de Roanne. On a vraiment l’impression que les médecins se bougent autour de l’enjeu qu’ils redoutent.  Alors, l’abstention vient rappeler que la majorité reste dans une attitude de retrait, en espérant tout de même voir leurs intérêts défendus par cette minorité remuante et active. Mais, au fait, quels sont les intérêts communs des médecins?. Ils sont peut-être fondamentalement différents d’un médecin à l’autre, et mènent finalement à une méconnaissance de l’enjeu global pour la profession.  
  • Le désanchantement voire la désillusion: 10 points. L’impression que son propre vote ne pèsera pas sur le résultat électoral, et que le bénéfice d’avoir exprimé sa voix sera quasiment nul. Le sentiment de la non rentabilité de son vote individuel.
  • Le rejet: 5 points
    • Le rejet de la politique et autres ministres honnis. Il conduirait à se dire que l’abstention est somme toute une preuve d’intelligence, celle de ne même pas s’abaisser à donner son avis face à « ces gens là »
    • Le rejet des syndicats. Consistant en une pensée un peu globale que les élus quels qu’ils soient seront incapables de défendre les intérêts du médecin
  • Le manque de confiance vis-à-vis des syndicats. 7 points. Les programmes sont plutôt touffus https://cris-et-chuchotements-medicaux.net/2015/09/25/elections-urps-2015-demandez-les-programmes/. Voir des syndicats clamer leur opposition à la loi de santé, après y avoir collaboré, cela n’inspire pas forcément confiance aux électeurs potentiels. Pourtant l’offre syndicale est large, un véritable choix était possible.
  • La volonté de manifester son mécontentement et son hostilité en s’abstenant de voter. 4 points
  • Le sentiment d’individualisme, 7 points, avec l’impression de ne pas faire partie du groupe appelé à voter. Individualisme, comme on le sait, assez répandu chez les médecins.

C’est bien une polypathologie multifactorielle qui mène les médecins à une abstention de 60% au moment d’élire leurs représentants syndicaux.

Après l’élection, que se passe t’il donc …

Comme dans toute élection normale, chaque syndicat donne au résultat son sens politique : tous, y compris ceux qui ont pris un gros coup de décalage vers le bas, se déclarent haut et fort gagnants de l’élection, que ce soit en voix, en augmentation de pourcentage, en avancée dans les places, en nombre total d’élus, etc. On pourrait appeler cela le jeu du Primpéran…  Celui que doivent prendre les 40% d’électeurs ayant voté pour ne pas ressentir de nausées face à ces interprétations à la con.

Plus préoccupant est le poids des syndicats ainsi élus dans la représentation du corps médical. Il est clair que les 60% d’inexistants des urnes pèsent bien plus lourd qu’ils n’imaginent dans la balance des négociations conventionnelles . Il est clair que savoir qu’une majorité est et reste silencieuse est un délice pour ceux qui veulent contraindre les médecins. Il est clair, qu’il sera rappelé aux syndicats, dans toute négociation, qu’ils ne représentent pas forcement les taiseux invisibles. Etat 100%-médecins 40%.

La participation électorale est considérée comme un signe de bonne santé de la démocratie. Un individu qui vote est habité d’une certaine estime de soi, et d’un sentiment de compétence, lui permettant de faire la démarche utile pour exprimer son point de vue. L’abstention du corps médical à ces élections est un symptôme de malaise de l’hippocratie. Même mécontents, même inquiets pour leur avenir, les médecins semblent déstructurés par la crise affectant leur profession au point de ne pas exprimer leur point de vue par un vote.

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