Mes relations conflictuelles avec la balance…

Elle ne connait que mes pieds, mais influence  mon cerveau… Elle ne me rencontre que nue, mais son verdict oriente  mon habillement. Constamment en conflit avec elle, je ne me résoudrai jamais à m’en séparer.  Sa mort ne me ferait pas pleurer, je la remplacerai aussitôt par une nouvelle, plus moderne.  Je ne pourrais pas vivre sans.  J’ai beau la cacher dans un coin difficile d’accès,  m’obliger  à  des contorsions  pour l’attraper, j’ai beau prendre et reprendre des résolutions de l’éviter, j’ai beau savoir à l’avance qu’elle ne m’annoncera jamais une nouvelle espérée. ..

Elle refuse systématiquement  de répondre positivement à mes attentes.  Je voudrais bien m’alléger. Inlassablement,  elle m’alourdit.  Mieux que la bourse, elle s’affiche  toujours à la hausse.   Parfois, j’ai l’impression d’en avoir acheté  une qui ne sait que faire  grossir.  Alors pour me convaincre de la justesse de son calibrage, je lui fais quelques infidélités. Une plus conciliante m’enlève un kilo, alors que je me pèse toute habillée? Je le savais, mes doutes se confirment …  ma balance ne m’aime pas.  Elle ne me pardonne aucun excès, elle les additionne. Elle refuse d’accéder à mes désirs.  M’en voudrait-elle un peu de ne lui montrer que mes plantes de pied ?

J’essaie de la manipuler, avec beaucoup d’imagination.  Je ne me présente que bien lavée, et après être passée aux toilettes. Toujours à jeun, bien entendu. Même pas de petite culotte, pour quelques grammes de moins.  Plusieurs confirmations, et en cas de discordance, bien sûr, je garde en tête le nombre le plus bas. En vérification post-prandiale, ou post  verre d’eau, quand mes pieds, par un détour extraordinaire m’y mènent le ventre rempli , et qu’elle n’a pas modifié son compte, j’en conclus qu’elle s’était trompée avant.  Ainsi je peux décompter  200 grammes . Pareil si elle oublie d’enlever le poids du contenu de ma vessie en cas de contrôle post pipi. 

Ce qui est pénible, c’est le jugement qu’elle porte sur moi, indifférente à mes états d’âme. Son affichage est  un verdict systématiquement inducteur d’une réaction. Parfois, rarement, elle annonce une décroissance. Pensant l’avoir enfin trompée, confiante dans la certitude qu’elle n’a pas remarqué mes derniers excès, je me convaincs facilement que je vais continuer à perdre du poids en poursuivant les dérapages. En revanche, la fois d’après, voici qu’elle m’annonce au contraire une hausse alors que j’espérais une baisse. C’est trop injuste. Pas la peine de se surveiller,  murmure aussitôt le petit démon tapi dans mon estomac. Puisque c’est ainsi, puisque tes efforts ne sont même pas visibles sur la balance, pas la peine de se contraindre, lâche toi… 

En insécurité à son contact quotidien ou hebdomadaire, je ne gagnerais pourtant aucune sérénité à  la faire disparaitre. Car cet objet n’est pas qu’un ennemi, mais est  aussi un garde-fou.  Si  je la remise trop longtemps, grisée de liberté par la perte de ce repère chiffré, j’en perds aussi mes repères alimentaires, en retrouvant une liberté calorique sans filet que je ne sais pas gérer.  

Récompense ou sanction,  elle  note inlassablement mes efforts et mes erreurs. Mes déceptions, elle s’en moque. Elle me fera toujours réagir sans jamais se laisser influencer.  Notre durable et fidèle liaison est … une relation qui a du poids !