Le désert médical aux portes de la Capitale

Il semble qu’il  reste un endroit privilégié en France ou la baisse du nombre de médecins ne se fait pas sentir:  C’est le Ministère de la Santé. Visiter des hôpitaux au pas de course, et serrer les louches de quelques soignants ne confère qu’une idée vague du terrain. La ministre de la santé semble toujours aussi persuadée qu’elle va peupler illico les déserts médicaux. http://www.gouvernement.fr/lutte-contre-les-deserts-medicaux-ce-qu-il-faut-savoir

Sauf que.. définir les déserts va devenir difficile. Il suffit de quelques médecins retraités pas remplacés par des jeunes en nombre insuffisant ou terrifiés par l’installation, pour que tout ne se passe pas comme dans l’imaginaire d’une ministre dont l’optimisme résolument affiché contraste avec la réalité.  http://www.huffingtonpost.fr/2016/06/02/deserts-medicaux-departements-perdent-medecins-generalistes_n_10254542.html

La réalité est objective. Il ne faut pas écouter ceux qui disent qu’elle est le fait de médecins renfrognés, avides et portés à prédire des catastrophes qui ne se produiront pas. La réalité est que la catastrophe annoncée, tout comme l’eau des crues, s’étend par vague, insidieusement mais inéluctablement, et va devenir the problème des 10 années à venir.  inf4c3a78b6-280d-11e6-bb15-07d0dc61c50d-805x765

Si le ministère n’a pas vu, ou fait semblant de ne pas voir, le terrain a déjà remarqué la décrue du nombre de médecins. Qu’importe aux politiques. L’année prochaine, eux, ne seront plus la, mais la boue de ce problème devra être charriée durant de longues années.

Etant donné que l’on parle mieux de ce que l’on connait,  je peux déjà évoquer le minuscule mais réel problème de ma banlieue parisienne, pas très défavorisée, pas loin, à une quinzaine de kilomètres de Paris.

Plusieurs généralistes sont partis à la retraite, ou ont changé d’orientation, leurs cabinets ont purement et simplement fermé. Plusieurs spécialistes aussi  ont cessé leur activité, sans avoir trouvé un successeur. L’offre de soins commence donc à décroître, pour autant, la demande de soins ne faiblit pas. Au contraire..  les patients sont bien là, eux. Et veulent des rendez-vous rapidement.

Des signaux faibles s’accumulent petit à petit, dont la somme fait des signaux de plus en plus forts. Des avertisseurs commencent à clignoter, si près de Paris, mais n’éclairent pas le 7ème arrondissement. 

Quelques signaux parmi d’autres :

  • 30 ans d’installation. Jamais mes délais de consultation n’ont dépassé 10 jours. Avec mes associés, on a toujours pu s’adapter en ajoutant des plages de consultation si les délais augmentaient. Depuis le début de l’année 2016, augmentation rapide et inéluctable des délais de rendez-vous. On a beau rajouter des consultations, rien n’y fait. Actuellement : 3 à 4 semaines. Cela reste moins que les délais de 2 collègues installés à quelques kilomètres de là, dont les rendez-vous sont donnés à 3, voire 4 mois. Et que les délais en province, maintenant de plusieurs mois.
  • Nos délais ne s’allongent pas par manque d’offre. Parce que nous travaillons dans un lieu attractif, nous avons pu recruter 3 jeunes, installés avec nous en 2015, 2 en remplacement de départs, 1 de novo. Le premier jour, ils avaient tous une consultation pleine. En revanche, très très difficile de trouver des remplaçants en cas d’absence.
  • Chaque jour, de nombreuses demandes de consultation et d’endoscopie sont fléchées comme urgentes. Des plages de consultation sont disponibles pour cela. Mais il est difficile de faire comprendre que rapidement ou urgent  s’entend différemment par les uns et les autres.  Hors urgence avérée, la notion de rapidité de rendez-vous c’est souvent : j’ai mal depuis x semaines ou mois, j’ai déjà trop attendu pour me décider à prendre ce rendez-vous, alors je ne veux pas attendre 3 semaines pour consulter. De même qu’il faut expliquer à un patient passé hier aux urgences pour une hémorroïde qu’il est un peu exagéré de vouloir une consultation de gastro le lendemain.  
  • Mon activité augmente. Sur les 5 premiers mois de l’année + 10%. Je devrais m’en réjouir ? Pourtant  NON… J’explique : Non, parce que j’ai plus de 60 ans, et pas envie ni besoin d’augmenter encore et encore ma clientèle.  Si une partie de ce gain d’activité se retrouve dans mon bénéfice,  pareil pour mes confrères, nous lirons alors dans la presse que les médecins ont gagné plus en 2016. Serait il normal que je travaille plus sans que mon revenu ne s’en ressente ?   Mais à mon âge, gagner plus n’a pas de sens. Travailler plus n’a pas de sens non plus. Des maladies sont passées par là, je suis fatigable, et souvent bien plus fatiguée que tous les jeunes retraités de mon âge que je vois en consultation, et qui me questionnent, inquiets : dans 5 ans, pour ma prochaine colo, vous serez toujours là, docteur ?
  • Je ne suis pas d’accord avec le fait d’être considérée comme un monument de santé publique, paramétré à répondre à toutes les demandes de tous ceux qui veulent consulter dès que ça leur sied. Je n’ai qu’un cerveau et 2 mains. Je suis rincée après des journées 8h-20 heures, en déjeunant sur le pouce pendant la RCP de cancérologie de 13h à 14 heures. Comme tous les médecins, depuis la formation, j’ai appris à jouer avec ma fatigue, à finir tard et recommencer tôt le lendemain. Pour autant, on ne peut pas espérer autant d’implication de la part d’un soignant fatigué. A mon âge, le fait de travailler sur un gros établissement m’oblige à prendre des astreintes (tous les 12 jours). Non rémunérées, sauf en cas de déplacement qui prend 3 heures, le temps de tout installer, gérer, ranger. Avec une tarification Urgences dimanche ou nuit = + 20 euros . Au nom de la sacro-sainte permanence des soins, nombre de praticiens ont des loisirs bouffés par ces astreintes. Il n’en est fait mention que pour critiquer le fait que les médecins demandent une juste rémunération de leur temps de travail.
  • Certes, je prends les vacances que je veux. Certes, j’ai un jour libéré par semaine. Mais les jours de travail ont un rythme trépidant, sans aucun moment de décompression. Comme s’il était logique d’attendre de son médecin une disponibilité maximum, aucun refus de prise en charge rapide. Je ne vois pas comment ce rythme est gérable sur le long terme tant pour moi que pour mes collègues plus jeunes. 

Prendre ces faits objectifs pour des plaintes injustifiées de soignant, c’est déplacer le problème et c’est nuisible autant aux médecins qu’aux patients. En filigrane, la pensée unique, soigneusement distillée par les journaux et les politiques : le médecin est là pour ça, et se doit de recevoir les consultants dès lors qu’ils en expriment le besoin. Comme si le fait d’être patient était une position de faiblesse impliquant obligatoirement pour le médecin une réponse sans aucun délai. 

Le métier de médecin n’implique pas une mise à la disposition sans limite.  C’est un raccourci facile de penser cela, et il faudrait s’en garder.

Les médecins de ville n’ont pas le pouvoir politique de dire non, ni aux patients, ni aux tâches administratives. La to-do list s’allonge.

Les intrusions gouvernementales transforment progressivement une profession passionnante et intellectuellement stimulante en une entreprise abrutissante soumise à des critiques sur ses revenus (alors qu’ils sont corrélés au temps de travail) et sur ses scores de satisfaction patients (alors que le paramètre soins médicaux de qualité n’en fait pas partie).  

Moins il y aura de médecins, plus ça va être compliqué pour les patients.

Non, les médecins ne sont pas responsables de la désertification (ce sont des choix politiques). Non les médecins ne vont pas jouer au golf au lieu de recevoir les patients dans des délais rapides.

Une profession toute entière dont les effectifs baissent, et dont le travail est 100% présentiel, ne peut pas assurer une demande en augmentation. Mathématiquement c’est un calcul manifestement impossible.  A y réfléchir d’urgence. Sans délai…

7 commentaires sur “Le désert médical aux portes de la Capitale

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  1. 100% dans la même situation et d’accord ,le chateau de cartes s effondre et aucune solution en vue …provincial j’ajoute l’irritation vis à vis des hospitaliers qui essayent de construire un microchu de chef lieu plutot que de répondre aux besoins quotidiens

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  2. Et vous avez oublié la Sécu qui harcèle les médecins au sujets de leurs arrêts de travail, de la prescription de certains médicament qu’elle trouve abusive, des bons de transport: tout cela fait fuir certains médecins dont moi, « la délinquante statistique ». Et en plus je suis incapable de revendre mon cabinet, onéreusement ou gratuitement, tellement je plaindrais mon successeur.

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  3. Ici , à Evreux dans l’eure (normandie) dela ide RDV rhuamto = 12 mois.
    Comment bosser/attirer des jeunes ds ces conditions ?

    Pdt que j’ecris ici , j’ecoute la musique du scanner que j’apelle pour obtenir un rdv pour un patient qui a surement un cancer profond…. peine perdue. Je réessaierai demain…
    Pdt ce tems pla salle d’attente se remplit « qu’est ce qu’il fout encore ? » doivent ils penser…..
    52 ans, encore 15 ans a faire , je ne sais pas comment je vais tenir dans ces conditions…

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