Vous cherchez un produit de consommation bon marché et remboursé ? Allez chez le médecin, si vous en trouvez un !

Partout, dans de nombreuses villes et villages, ils veulent un médecin, mais un médecin avec ce profil : moins de délai, la visite à domicile, la permanence des soins le soir, la nuit et le WE et pas payant. De plus en plus, ils n’en trouvent pas…

A un moment, quand tout le monde rencontre le même problème, il serait bon d’ aborder le vrai problème. Pourquoi les médecins ne viennent pas s’installer chez nous ? Pourquoi les médecins ne viennent pas s’installer, tout simplement !  

Ben, oui, les médecins, ces produits de consommation bon marché et remboursés jusqu’à présent disponibles à outrance* (même si on ne sait toujours pas ou c’est…), les médecins donc, sont en passe de devenir un produit de luxe.

Hashtag #onpeutmourir…

En France, selon un article paru dans le journal Marianne ce WE les délais de rendez sont assez terrifiants : Les moyennes nationales de l’enquête journalistique indiquent qu’en moyenne, en France en 2021, il faut : 
– 21 jours pour obtenir un rendez-vous de médecine générale 
– 98 jours pour un rendez-vous chez un dentiste 
– 140 jours pour un rendez-vous de dermatologie 
– 101 jours pour un rendez-vous de gynécologie 
– 158 jours pour un rendez-vous chez un ophtalmologue 
– 74 jours pour un rendez-vous de pédiatrie 

La situation est critique. C’est sûr. Mais de situation critique à critique des responsables facilement désignés, il n’y a qu’un pas, facile à franchir. Critiques sur ces vilains médecins, particulièrement les généralistes, qui ne veulent pas s’installer. Critique des mêmes généralistes une fois installés. Leurs consultations sont trop courtes, les délais trop longs, ils refusent les nouveaux patients, travaillent trop peu, prennent trop de congés sans remplacement, ou sont remplacés par des médecins qu’on ne veut pas consulter, refusent les visites, ne prennent pas leurs patients en urgence, ne veulent pas « dépanner » d’une ordonnance, n’acceptent pas de faire des certificats sans voir les patients et on en passe…

La médecine générale est un métier de contact humain et d’empathie. Le propos est bien de rendre service, mais de la à confondre « rendre service » avec « c’est un service », il y a un pas qui est souvent franchi.

Vous ne vous en doutez peut-être pas, ou ne voulez pas le reconnaitre, mais les médecins regrettent de ne pas pouvoir être le médecin humain et disponible aux malades, qu’ils rêvaient d’être.  

En effet, n’oubliez pas, le médecin reste humain et l’empathie n’est pas toujours évidente. Les patients à la chaine toutes les 15-20 minutes alors que beaucoup d’entre eux auraient besoin de plus de temps. Tous ceux qui n’ont pas d’équilibre de vie solide, tant familial qu’affectif ou professionnel, tous ceux qui vont de plus en plus mal psychologiquement, ils nécessiteraient des consultations plus longues. Mais … rémunérées en conséquence, ce qui n’est pas le cas.

Car la vraie réalité d’un médecin, généraliste en particulier, c’est un planning plein à 8-10j, des créneaux d’urgence très vite remplis, des demandes multiples surajoutées chaque jour. La charge de travail s’alourdit. C’est une grosse pression.  Et comme soigner quelqu’un c’est suivre le dossier du patient, mais aussi pouvoir assurer l’aigu , les médecins généralistes en viennent à refuser de prendre de nouveaux patients. Pourquoi augmenter sa clientèle quand on sait pertinemment qu’on n’aura pas de temps pour voir les patients. Refuser de nouveaux patients n’est pas un luxe, non, contrairement à ce qu’on dit. C’est une question de temps disponible.

De nombreux médecins travaillent encore plus de 50 heures par semaine. En règle générale, ce n’est pas un choix. C’est subi, pour ne pas laisser des patients dans le besoin et sans solution. Et c’est un gros stress. Et puis, contrairement à la génération précédente, dont la vie quotidienne était peut-être plus simple en sortant du boulot, les médecins ont aussi maintenant besoin de se protéger. Les temps de repos sont une protection contre le burn-out. Ca ne plait pas, mais quelque soit le temps de présence du médecin, de toutes façons, il n’arrivera pas à satisfaire toutes les demandes.

Ce boulot de médecin use, et d’autant plus que certains patients abusent, et prennent la médecine pour un Mac-Drive, disponible 24/7 prioritairement pour eux, obligés de satisfaire sans délai à toutes les demandes de consultations, mais aussi de paperasserie dont ils ont besoin, ordonnances sans consultations, certificats, demandes diverses à remplir..

Ajoutez à cela que le mal-être des patients justifie souvent à leurs propres yeux un manque de savoir vivre et de civilité difficile à supporter par des médecins déja au bord de l’implosion.

Mettez par-dessus une dose de perte de confiance en la science, le ton péremptoire de certains qui affirment détenir la vérité après simple lecture des réseaux sociaux, la déconsidération du médecin généraliste par rapport au spécialiste.

De ce fait, nombre de médecins passent au salariat en centre de santé ou travaillent dans le médico-social, et cela entraine énormément d’heures de travail médical en moins par rapport aux mêmes installés en libéral. Et la critique de se complaire sur les médecins libéraux, les gens de se convaincre que les médecins généralistes sont des paresseux qui ne prennent pas le temps d’écouter leurs patients, n’ont pas d’empathie et ne sont jamais disponibles quand on a besoin d’eux, que ce soit en consultation ou pour juste une petite demande par mail ou auprès du secrétariat.

C’est ainsi. Le vrai problème du pourquoi les médecins ne viennent pas s’installer n’est jamais posé. Le problème est contourné en créant des centres de santé, qui permettent des consultations sans dépassement d’honoraires et libèrent les médecins de la paperasse. Que les centres de santé soient déficitaires une fois réglés tous les salaires et les loyers et charge, n’est pas évoqué. Le maire pourra juste vanter auprès de ses électeurs, d’avoir fait venir le médecin tant espéré .

Il ne faut pas négliger le fait que le libéral ce n’est ni faire ce qu’on veut ni faire ce que les gens veulent. C’est faire ce que l’on peut. Et qu’il est essentiel de se protéger pour tenir sur la durée sans craquer. De toutes manières, plus le médecin en donnera plus on lui en demandera. Les plannings seront pleins même s’il bosse 24h sur 24.  Or, la quantité de travail que peut assumer une personne est une quantité finie et il n’est pas possible de satisfaire tout le monde et toutes les demandes.   Au delà d’une certaine quantité de travail, il faut débrancher sous peine de surchauffe., et les jeunes médecins contrairement à leurs prédécesseurs se fixent des limites  qui leur permettent de vivre.

La situation actuelle est à la fois de la responsabilité des générations de médecins précédentes, et de la politique pratiquée depuis des décennies.

Demander au médecin généraliste libéral à l’ère de la technologie de continuer à faire de la médecine à papa parce qu’on n’a pas posé les vraies questions, et qu’on refuse de les poser, c’est tout simplement mener le système actuel à sa fin. Les médecins ne peuvent pas assumer une responsabilité qui revient à l’ensemble de la société, à des choix politiques, économiques qui ont conduit à cette situation intenable.

Le  comportement de une voire 2 générations de médecins précédentes n’a pas participé à valoriser le job. Générations qui n’ont pas su ou pas voulu préparer l’avenir, et laissent un terrain miné, des jeunes sans moyen, sans secrétariat, sans informatique médicale digne de ce nom, avec un DMP qui a englouti pour rien des millions d’euros, mais sans revalorisation tarifaire pour assurer décemment un exercice que l’on qualifie de libéral uniquement parce qu’il autorise de travailler plus d’heures que la légalité ne l’autorise. Personne ne peut critiquer un médecin salarié qui part une fois son temps de travail effectué au centre médical. Mettez le même en pratique libérale, et alors vont pleuvoir les critiques. Il ne veut pas consulter le soir, ne veut pas faire de visite, ne veut pas faire d’ordonnances demandées par mail, n’est pas compréhensif face aux retards.

Au final, tout a été fait pour conserver une sorte de conception simplifiée et abstraite de la médecine libérale. Le grand public, mais aussi la CPAM ou l’ARS, en sont restés à cette image d’Epinal du médecin dévoué. C’est aller dans le mur, nier la réalité. Les médecins ne sont plus assez nombreux, et à aucun moment leur pratique n’a fait l’objet d’autre chose que des saccages successifs.  

Il faut dire plus fort aux patients et autres Francis Cabrel qui pleurent de leurs déserts médicaux, que ce n’est pas la faute des médecins s’il y a pénurie, et qu’on ne peut demander à la génération actuelle d’assumer les erreurs passées.

Quand on demande aux villes qui cherchent comment ils comptent faire venir de nouveaux médecins, leur seule réponse c’est « centre de santé », comme si cela faisait rêver les praticiens. A aucun moment, ils ne tiennent compte de la réalité : ils cherchent des gens à bac +10 voire +12, des gens rares, et … ça ne doit avoir aucun coût. Alors, c’est sur, un médecin libéral c’est mieux. C’est le beurre, l’argent du beurre, et le sourire de la crémière, le tout pour pas cher, sans dépassement d’honoraires. Sauf que ça ne se trouve plus dans les conditions actuelles, on comprendra de la lecture ci-dessus pourquoi les volontaires ne se bousculent plus.

NDLR: je ne bois jamais à outrance, je ne sais même pas où c’est. Pierre Desproges

2 commentaires sur “Vous cherchez un produit de consommation bon marché et remboursé ? Allez chez le médecin, si vous en trouvez un !

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  1. Bonjour,
    Merci pour ce billet d’humeur.
    Il serait nécessaire d’écrire un traité entier pour répondre et commenter.
    je vais essayer d’être bref.
    1) Tu oublies la dimension internationale du problème : dans tous les pays développés il existe une crise de la médecine générale. Chaque pays a ses insuffisances, ses solutions et son histoire mais le fait est là : être médecin généraliste ne fait plus rêver.
    2) Les médecins généralistes (et a fortiori la plupart des autres spécialistes libéraux, voir pour les exceptions) gagnent (très bien) bien leur vie. Ils font partie des csp +, comme on dit.
    3) L’hospitalo-centrisme est virulent : tout ce qui se passe en dehors de l’enceinte de l’hôpital (et maintenant de l’hôpital privé) n’intéresse pas les décideurs académie-centrés.
    4) Les MG sont les derniers de la classe pour tout le monde. Il faut souligner pourtant que jamais les MG n’ont été aussi bien formés mais plus par les départements de médecine générale que par le reste de l’hôpital. Pourtant, la profession n’a pas évolué : elle a changé dans les rapports médico-sociaux mais elle a peu changé sur le plan de la technicité. La médecine technique s’est arrêtée aux portes de la médecine générale (il y a des exceptions). Et cette formation des MG a permis aux MG de penser par eux-mêmes, c’est-à-dire refuser les « évidences » assénées en de très nombreux domaines par des spécialistes autocentrés qui ne comprennent pas que l’on puisse remettre en cause leur autorité (cf. par exemple, le dépistage organisé du cancer du colon).
    5) Le mépris pour les MG (au-delà des déclarations d’intention et des propos de fin de banquets) est total. La profession n’est plus sexy pour les jeunes tant tout le monde la dénigre. Et la façon dont sont traités les MG par les autres spécialistes est symptomatique de ce mépris.
    6) La santé est devenue un bien de consommation au même titre que l’alimentation, les vêtements et les voitures. Ne nous étonnons donc pas de l’explosion du nombre d’actes inutiles, de bilans sans queue ni tête, d’exigences de rapidité, de jugements Google, et, surtout du développement des soins ésotériques, malveillants, sectaires… La médecine a sur promis la lune en mauvais marketers et la société se rend compte que les promesses étaient fallacieuses.
    7) Mais j’arrive au point central : la société a changé. Les MG ne sont plus des notables provinciaux. Les secrétaires des MG ne sont plus leurs épouses. Les enfants des MG ne vont plus en pension pour faire leurs études secondaires. Les femmes des MG, les maris des MG, sont des diplômés de l’enseignement supérieur, ils ou elles ont fait des écoles de commerce, des écoles d’ingénieurs, des études de droit, et cetera. Si les MG peuvent s’installer n’importe où, leurs partenaires, sinon pour occuper des fonctions subalternes ou à mi-temps, et cetera, ne trouveront pas de travail dans des déserts, non pas seulement médicaux, mais administratifs, industriels, et cetera.
    8) Enfin, il y a une critique politique sur le « service public » de la santé qui doit être présent sur tout le territoire, sur le fait que les médecins sont des privilégiés qui doivent rembourser leurs études, que les médecins sont des salariés de la CNAM, et qu’ils doivent obéir aux injonctions de l’Etat centralisateur et bon par principe.
    On peut encore en écrire des tonnes…

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